Mince. Je me rends compte que je vous promet des choses que malheureusement je ne peut même pas réaliser. Là, par exemple, au dernier billet, je vous avais promis que j’allais voir la Great Ocean Road aujourd’hui. Malheureusement, encore une fois, j’ai sous-estimé les distances. Attention, soyons précis, j’ai vu de l’océan, pour sur. J’étais sur une route, pour sur. Par contre je ne peux pas affirmer que c’était « great ». Ceci dit, point d’inquiétude, je vous ai bien dit que la route susnommée ne méritait son nom que sur sa partie orientale, que j’estime commencer au niveau des Douze Fucking Apôtres.
C’est donc sous une ambiance de tempête, vent force 9, bruine, ciel bas, mer agitée à très agitée, que j’atteins pour la première fois la côte sud, face à la mer de Tasmanie. De manière fort sympathique, les responsables du développement touristique ont, pour une fois, placés des « look out point » tout les 500m. C’est vraiment tant mieux car la plupart du temps, la route suit la côte légèrement en retrait derrière un mur de gros buissons rabougris, battus par le vent. Je m’arrête donc régulièrement pour aller apercevoir une petite crique et de petites falaises sympathiques mais à l’aspect fragile. Aussi régulièrement, je me précipite dans la voiture pour retrouver une atmosphère plus feutrée et calme.
Après quelques heures de ce petit manège, je commence à me lasser de sortir tout plein d’excitation pour finalement n’apercevoir qu’une côte, certes jolie, mais loin d’être grandiose. A sa décharge, le temps ne met pas vraiment en valeur le paysage même s’il met en valeur l’atmosphère. Ce n’est que vers la fin de l’après midi que finalement, après un ultime « look out point », que j’assiste à un magnifique déclin de soleil à travers des nuages de tempête baignant une côté agitée par les vagues où percent des rochers sérieusement entamés par l’érosion. Là, ça commence à causer. Ce n’est pas encore les Douze Apôtres mais c’est un joli avant goût. Ici les falaises ne sont finalement pas très hautes, à peine dix à quinze mètres au dessus de l’eau mais le chapelet d’îles isolées par les assauts répétés de l’eau rend la baie photogénique. Quand le soleil s’y met, ça devient glorieux. Je crois qu’un jour je deviendrai aveugle à force de contempler des soleils couchant.
La conséquence de ce coucher de soleil est qu’il faut vite fait que je me trouve un camping pour la nuit sous peine de me faire vilipender par mon loueur de voiture qui, je suis sur, me suit par satellite. Comme par hasard, c’est au moment où on en cherche un, sur une des routes les plus touristiques de la région, que l’on est bredouille. Finalement, je trouve un caravan park à Peterborough, état du Victoria, capitale Melbourne. La fréquentation étant proche de zéro, on m’offre même gratuitement un emplacement avec électricité. Il faut dire que cette pluie n’attire pas grand monde.
Le lendemain matin, la vérité nue éclate au grand jour, l’impudique : il va faire un temps de chien pourri à ne pas mettre un bébé dehors. Le vent souffle fort en rafale et la pluie est drue. Quand au ciel, il est bas, merci pour lui. Ce doit être le temps rêvé pour effectuer une journée de ballade le long d’une route scénique. Aller, pas le temps de s’apitoyer sur mon sort, je petit déjeune rapidement, me lave et repart sur la route.
Assez rapidement, je retombe sur de nouveaux point de vues que j’attaque avec gourmandise. Oh que… c’est… pfff… beau… pfffrrt. Rhaaa, ce vent qui m’amène des seaux d’eau dans la gueule, qu’est ce que c’est bon ! Je remonte dans la voiture et enlève mon blouson, trempé. Pour le pantalon, c’est beaucoup plus difficile. Allez, en route vers le prochain « look out point ». Essuie glaces à vitesse maximale (après un clignotement intempestif) je continu pendant un demi kilomètres et m’arrête à un nouveau parking. J’ouvre la porte et me retrouve instantanément sous la douche. Pffff, wah, c’est…. vraiment… drôlement, euh, ppfffffrt… agité ? Après quelques minutes pendant lesquels mes habits se retrouvent imbibés d’eau, je retrouve la voiture. En route pour le point suivant.
Un petit kilomètre plus loin, j’endure la même punition et abandonne l’idée de maintenir ma capuche en place. Bon, là, ça commence à être pénible. Je décide donc de ne m’arrêter que pour les points de vue haut de gamme. D’ailleurs je me souviens avec un petit sourire d’auto-connivence que j’ai dans mon sac à dos un pancho récupéré du Vietnam. J’ouvre le sachet plastique et découvre un mince kway bas de gamme d’une épaisseur équivalente à une poche plastique de supermarché. Je tente malgré tout le coup et l’enfile comme je peux. Je sort. Pfffffrrrttttttt, rrrrhaaaaa, bon c’est un… échec…. ppfffffrrt. Regardons le point de vue en essayant de résister au vent. Allez, c’est bon. Je repart en courant vers la voiture et constate les dégâts. Le poncho est en lambeau. Aaaah, mais c’est quoi cette camelote vietnamienne?!
Maintenant, c’est décidé, je ne m’arrête plus jusqu’aux Douze Fucking Apôtres. Le chauffage à fond, je tente d’évaporer le maximum d’eau de mes habits tout en suivant la route, les essuie glaces en marche. Après quelques kilomètres pendant lesquels je snobe ostensiblement tout panneau indiquant un point de vue, j’aperçois une indication « parking Twelve Apostles ». Mon intuition et mes connaissances en anglais me hurlent que c’est ici. Je me gare donc parmi un nombre notable d’autres voitures, fait rarissime depuis hier. En inspirant un bon coup j’ouvre la porte et me précipite dehors jusqu’au centre des visiteurs. Première étape. Après quelques minutes à regarder s’il n’y aurai pas une petite exposition histoire de sécher, je reprend une nouvelle inspiration et part en courant dehors, empruntant un passage souterrain pour atteindre les falaises.
Quelques secondes plus tard, j’aperçois à droite la côte déchiquetée et une enfilade en perspective d’aiguilles rocheuses. Les voilà ces saloperies d’Apôtres. Dans la foulée, je me fait copieusement arroser et tente malgré tout de prendre quelques photos. Je dois dire que c’est extrêmement difficile de maintenir le cadre stable avec des rafales de vent. Ci fait, je repart en joggant vers un point de vue un peu plus loin en hauteur. Cette fois-ci j’ai une vue un peu plus large des aiguilles. Ma première réaction est alors : ah, oui, c’est joli. Ensuite, j’ai le vague sentiment de m’être fait tromper. Les photos que j’avais vu me donnait l’impression que ces falaises et aiguilles étaient gigantesques. Certes, il n’y a pas que la taille qui compte, mais par rapport aux falaises de Mohair en Irlande ou les falaises de craie de Normandie, je trouve ça moins impressionnant. Sur une des photos ci-dessous, à droite vous apercevrez un petit personnage. Cela vous donnera une idée de l’échelle. Je vous laisse juge. Peut être suis-je démoralisé par le temps, par la lumière plate, mais après cinq minutes, je repart à la voiture. Heureusement que j’ai vue Uluru, sinon…
Après quelques kilomètres, la route et les paysages changent. Le relief devient plus prononcé et forestier. De grandes forêts de hauts eucalyptus bordent la route qui commence à zigzaguer. De manière assez étrange, cette transition s’opère quasiment au point le plus au sud de la côte, à hauteur du cap Otway qui signale l’entrée occidentale du détroit de Bass, le bras de mer séparant le continent de la Tasmanie. D’ailleurs, en redescendant de l’autre côté, vers l’est, le temps s’éclairci quelque peu et j’atteins la petite ville d’Apollo Bay avec un peu plus d’espoir pour la suite de la journée.
Trempé, je ne suis pas très motivé par l’idée de manger un nouveau sandwich froid, même s’il est fait maison. Je gare donc la voiture au bord de la plage et parcourt un peu la rue principale à la recherche d’un restaurant pas trop cher. De manière surprenante, je constate une petite poignée de petits cafés restaurants chaleureux proposant des plats du jour bio. Je me laisse tenter par l’un d’eux proposant une soupe du jour et un pain fait maison. Je peux vous le dire maintenant, avec le recul, ce sera le clou gastronomique de mon séjour australien. C’est fou comme tout est une question de moment, d’alignement des astres, de conjonction planétaire. J’avais besoin d’un bon plat chaud et on me sert un exquis potage aux châtaignes (attention, profitez en, j’use peu des superlatifs), admirablement relevé et avec ce trait de génie brute consistant en un subtile saupoudrage de cacahuètes concassés. Le bol est servi chaud, juste comme il faut pour ne pas souffrir inutilement, et comme promis en devanture, accompagné d’une boule de pain, chaude également, ainsi qu’un généreux pot de beurre. Voilà. C’est tout ce qu’il faut pour être heureux. Quand on pense en plus que l’ambiance était au sympathique dans ce petit café restaurant, autant vous dire que je suis resté un peu plus pour prendre un café et bouquiner mes aventures de Richard Bolitho. Le tout, avec la mer en face, de l’autre côté de la route. Sinon, ça n’a pas d’intérêt.
Après une petite sieste digestive dans la voiture, je reprend la route. De ce côté ci, la côte est montagneuse et pour le coup, c’est la véritable Great Ocean Road. D’accord, là je veux bien. Ok. Effectivement, c’est plutôt chouette voir même très chouette. Un grand soleil perce sur la mer mais les reliefs sont encore sous la pluie. Magie de la nature mainte fois renouvelée mais jamais égalée, un arc-en-ciel fait son apparition, le modèle haut de gamme, double. Ma moyenne en prend un coup. Je poursuit malgré tout, m’arrêtant régulièrement lorsque la route s’élève pour profiter du panorama au moins du même niveau que Big Sur, en Californie.
Malheureusement, rapidement je suis rattrapé par la pluie et les choses reprennent un aspect plus morne et déprimant. C’est finalement arrivé à Geelong, une ville moyenne au sud-ouest de Melbourne, que la route côtière s’achève. M’en fout, j’ai fait la Great Ocean Road. Je peux maintenant quitter l’Australie en paix.