Gingee

Non loin de Pondichéry, à quelques 70km au nord-ouest se trouve la ville de Gingee (que l’on prononce « jinji », je crois). Ça me fait une belle jambe me diriez vous, mais il se trouve que c’est également le lieu d’un ancien complexe de forts construit initialement au 9ème siècle et qui passa ensuite de mains en mains en fonction du pouvoir du moment. Initialement construit par l’empire Chola, il fut ensuite repris par l’empire Vijayanagar (oui, tout à fait, le même qu’à Hampi), puis Moghol (le Taj Mahal, c’est eux) et enfin britannique (Big Ben, c’est eux). Chacun apporta sa petit pièce à l’édifice, sauf les britanniques, car il faisait trop chaud. Mais surtout, l’histoire retiendra que ce fut l’occasion pour moi d’une petite sortie journée avec un mémorable aller-retour en bus.

Départ le matin relativement tôt car mine de rien, 70km en bus en Inde, ce n’est pas la porte à côté. Il faut compter facilement deux heures de trajet. On irait presque plus vite à vélo. Je m’apprête donc à entamer la première étape du voyage en demandant au propriétaire de la guest house (dont je vous parlerai sans doute dans un autre billet car il incarne à lui tout seul par son physique toute la noblesse indienne) son estimation d’une course de rickshaw vers la gare routière de Pondy. Pour avoir fait ce trajet deux fois à pieds, je le savais être de distance moyenne, proche de quarante minutes de marche. L’estimation tombe : autour de 60 roupies.

70 roupies plus tard, me voici arrivé à la gare routière où commence la sempiternelle période d’observation des lieux à la recherche d’un éventuel panneau « départs ». Non, je plaisante. Je ne cherche même pas, d’une part car je commence à avoir l’habitude et surtout car j’avais déjà repéré les lieux. Je me dirige donc directement vers un comptoir quelconque (oui car il y a plusieurs compagnies de bus), et interrompt le préposé dans ses travaux (dont je n’identifie pas la nature) en demandant, après un vanakaam d’usage, « Where is the bus to Gingee ? ». Je suis quand même poli. Au passage, « vanakaam » veut dire bonjour en tamoul. Je me rends compte assez rapidement que contrairement à ce que je vous ai dit plus haut, Gingee ne se prononce pas « jinji » car une incompréhension évidente se lit sur les traits de mon interlocuteur. Heureusement, j’avais été prévoyant, et sort mon petit carnet où j’avais inscrit les six lettres « GINGEE », carnet que je fourre dans le champs de vision du préposé. Il me fait un vague signe derrière moi à gauche en disant « tirouvanamalaï ». N’étant plus né de la dernière pluie, et ayant au préalable potassé le sujet, j’acquiesce et me dirige vers la plate-forme indiqué : Tirruvanamalai est la grande ville dans la direction de Gingee. Néanmoins, je constate que mon cerveau a toujours du mal à retenir ces noms de villes indiennes que je massacre encore de mémoire en tiruvanalaman ou tiruvaïlamanam. Si toutes les villes pouvaient s’appeler Gingee ou Goa, ce serait plus simple.

DSC_5347_DxOJe repère un bus garé, de marque Ferrari, avec un panneau derrière le pare brise indiquant en alphabet tamoul et latin ma destination. Les bus locaux ne sont pas de première jeunesse mais ça m’a l’air rustique et costaud. De plus, il me tarde d’entendre rugir le V12 atmosphérique de Maranello qui doit se cacher sous ce capot anodin. Je patiente donc en observant les gens, mon occupation favorite. Rapidement je constate des mouvements dans le bus. Des personnes commencent déjà à s’asseoir. Je DSC_5351_DxOprends donc les devants et m’approche d’un préposé non loin du bus en lui demandant « Gingee ? », un doigt pointé vers le bus. Affirmatif. Parfait. C’est presque trop facile que ça n’en devient plus drôle. Je monte donc et me pose à l’arrière afin de pouvoir mater mes congénères.

Quelques minutes plus tard, le bus au trois quart rempli, nous démarrons. Bon et bien c’est raté pour le V12. On est plus proche du gros mono cylindre quatre temps. Une douce musique pop indienne lutte contre le bruit du moteur pendant que nous quittons la gare routière. Je n’ai pas honte d’avouer que je ne déteste pas, surtout le deuxième morceau avec une montée de cordes que même John Barry ne fait plus depuis les années 60 et qui s’enchaîne avec une rythmique tabla / tambourin du tonnerre, le tout soutenant une mélodie chantée par une soprane doublement émasculée. Oui, je tapote du pied là dessus. Nous quittons péniblement Pondichéry en s’arrêtant tous les cent mètres pour laisser quelqu’un monter ou descendre. A ce rythme là, on n’est pas rendu.

Effectivement, quelques deux heures plus tard, nous n’étions pas rendu et c’est finalement plutôt après trois heures de trajet cahotant que nous parvenons finalement à la gare routière de Gingee. Je me béni de multiples fois d’avoir potassé mon Lonely Planet, car mon seul indice pour identifier l’arrêt est une ruine de ce qui ressemble à un fort, au sommet d’une colline au bord de la ville. Et puis d’abord même si ce n’est pas Gingee, vous n’en sauriez rien. A part ça, aucune annonce, rien du tout ou alors en alphabet tamoul.

Je descends du bus avec plusieurs autres personnes dans une ambiance poussiéreuse et suis assez rapidement mordu au mollet par la meute habituelle de conducteurs de rickshaws. Je décline, comme d’habitude et m’engage le long de la grande rue, à la cacophonie habituelle, en gardant à l’œil le fort sur sa colline, au loin à gauche. Ma tactique consiste à prendre la première grande rue à gauche pour se rapprocher du fort. Dix minutes plus tard, en nage, je décide d’abandonner n’ayant croisé aucune route digne de ce nom (justes quelques misérables allées sentant le cloaque). Je rebrousse chemin et me prépare mentalement à prendre un rickshaw.

DSC_5380_DxOAllégé de 100 roupies et après un minuscule trajet de cinq minutes (l’ordure!), le rickshaw me dépose sur une route, devant une grande allée de terre menant à la colline aperçu. C’est déjà assez impressionnant vu d’ici et l’ascension va être poisseuse, je le sens. En réalité le site regroupe trois collines d’une nature très proche de Hampi car également granitiques. De la même manière, de gros blocs habités par quelques singes parsèment le paysage.

DSC_5357_DxOLe premier fort visité, le moins haut, permet déjà d’avoir une superbe vue sur l’ensemble du complexe et sur la ville de Gingee (qui n’a pas énormément d’intérêt). L’endroit est vraiment sympathique et un petit air frais souffle au sommet. J’en profite du coupDSC_5365_DxO pour refroidir après une montée qui me laisse humide et collant. Je fini ma première bouteille d’un litre et attaque mon déjeuner consistant en un anodin sandwich fait maison pain en tranches, tomate et fromage sous plastique pour respecter le cesser le feu négocié avec mon estomac.

La deuxième partie du complexe se situe de l’autre côté de la route. Au pied de la colline on trouve les vestiges d’un ancien palais dans un très agréable espace paysagé. Au passage, les préposés à la billetterie se foutent de ma gueule en voyant mon ticket acheté au premier fort, désormais dans un état DSC_5385_DxOlamentable après les litres de sueurs absorbés pendant la première ascension. La deuxième est pas mal non plus d’autant plus que l’heure avance et le site ferme à 16h. Cette deuxième colline est encore plus haute et le fort plus important. Une petite heure plus tard, la vue est splendide eDSC_5391_DxOt la lumière devient intéressante. Malheureusement, on est rapidement invités à se hâter pour redescendre avant la fermeture du site. Je repart donc assez rapidement après avoir éclusé ma deuxième bouteille d’eau et me retrouve à sec.

Juste avant la fermeture je suis de nouveau en bas et me dirige directement vers un vendeur ambulant pour lui acheter une bouteille de Coca frais et un nouveau litre d’eau. Oui car au final, toute cette journée se résume à des histoires d’approvisionnement en boisson. Il me reste encore à retourner prendre le bus à Gingee pour être de retour à Pondy en soirée. Cette fois-ci, il est hors de question qu’un rickshaw me rackette et je part donc à pied vers la ville. Fort DSC_5390_DxOheureusement, le soleil étant un peu plus bas désormais, la ballade n’est pas désagréable, hormis quand j’arrive en ville ou je note quelques attroupements de gens à un croisement ce qui m’oblige à me frayer un chemin sur la route. J’ai envie de demander, et alors ?

Je me retrouve donc de nouveau à la gare routière de Gingee et sans perdre trop de temps dans des simagrées d’occidentaux pourris par le confort, je demande au premier type habillé en marron caca d’oie : « bus pondichéry ? ». Il me réponds par la négative puis me fait un signe par où je suis venu en me lançant un « crossroad, crossroad ». Ah. Je sens que ça va redevenir intéressant tout à coup. Je rebrousse donc chemin en espérant que l’arrêt de bus pour Pondy ne se trouve pas quelque part au niveau des attroupements que je venais de croiser. Premièrement, je note qu’il y a trois attroupements différents, espacés d’environ vingt mètres chacun, sans aucune indication particulière. Ce sera donc la loterie complète pour savoir où attendre. Deuxièmement, je note rapidement que chaque bus qui descend en dessous de cinq kilomètres heures à proximité d’un attroupement se fait littéralement assaillir. Et troisièmement, après trente minutes d’attente, force est de constater qu’aucun bus n’aborde une indication en alphabet latin, contrairement à ce matin à Pondy. Et pas de trace d’un bus Ferrari. Ca va être coton.

Je me résout donc à utiliser un joker et demande au premier quidam avec un vague air d’éducation (en espérant qu’il parle anglais) comment faire pour reconnaître le bus pour Pondichéry. Est-ce un coup de bol ou est-ce Vishnu qui me protège, le gentilhomme me répond avec un sourire « I go to Pondichéry. Follow me ». Le saint homme. Nous attendons donc quelques minutes pendant lesquels deux ou trois bus passent en lâchant et attrapant des grappes humaines. Un autre bus amorce sa décélération cinquante mètres en amont et mon bon samaritain se penche pour tenter de déchiffrer son panneau. Tout à coup il se retourne vers moi et me fait un signe. Nous nous mettons à jogger avec d’autres vers le bus qui s’arrête à vingt mètres devant un autre attroupement. On tente de s’insérer dans le bus bourré et je parviens plus ou moins à caser mon sac à dos entre mes pieds. Malheureusement, le trajet se fera debout et mon sauveur me fait un sourire suivi d’un haussement d’épaule. Je réponds par un sourire parce que, merde, on n’est pas des bourgeois quoi ! Si les indiens peuvent le faire, je peux le faire : trois heures de rodéo debout !

Au final, après une heure de trajet où chacun s’accroche comme il peut dans les cahots, freinages et accélérations du bus, quelques personnes descendent. Pour une raison que j’ignore (de la gentillesse sans doute et l’envie de satisfaire un étranger), deux ou trois indiens (en même temps, je suis le seul étranger) m’enjoignent de prendre une place assise libre, en insistant. Bon, bon et bien ssank you. Je m’assoit et profite des deux dernières heures à observer le paysage dans le brouhaha habituel des grincements mécaniques, de la musique et des conversations. Finalement on arrive à Pondy en début de soirée, alors que le soleil décline, et je me paye un dernier tronçon en rickshaw vers la guest house, au tarif de 80 roupies. Ça avait encore augmenté, les salauds !

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