Comme le disait (et je crois bien qu’il le dit encore) quelqu’un de ma connaissance, « on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise ». Cette adage vient de se vérifier une nouvelle fois. Je viens de découvrir un sport et je le trouve passionnant. Le seul ennui, c’est que si je m’y consacre pleinement, il va falloir que je change légèrement mon accoutrement, polo, bermuda, mocassins et chandail consciencieusement négligemment jeté sur les épaules, les manches nouées autour du cou. Ça m’embête bien car on risque de croire que je suis originaire de la banlieue ouest de Paris, ou pire d’Ecully (ça, si vous n’êtes pas Lyonnais, elle vous passera au dessus de la tête). Ceci dit, j’ai bon espoir que cet accoutrement soit démodé au vu de ce que je vais vous raconter incessamment bientôt, là, juste quelques lignes plus bas. Mais avant, un petit rappel.
Je suis actuellement à San Francisco et je me ballade le long des quais. Voici pour le contexte général. Il se trouve, par un heureux hasard qui, selon que l’on soit plus ou moins croyant et selon là-dite croyance, n’en ai pas (en ce qui me concerne, c’en est un), de manière concomitante à mon séjour saint franciscain, un grand événement sportif mondial a lieu dans cette belle ville californienne. N’étant pas un sport populaire au sens « accessible aux gens de classe moyenne inférieure », il est fort probable que vous n’ayez pas été averti de cela mais, si vous lisez un tant soit peu un quelconque quotidien sportif, vous voyez de quoi je parle. Pour les autres, je vous parle de la Coupe America.
Alors la Coupe America, soyons cru, je m’en fout. Généralement, je passe mon chemin lorsqu’on m’en parle. Voir deux richissimes équipes s’affronter sur des voiliers prototypes tous les 3-5 ans (c’est même pas régulier, pfff) à des vitesse d’escargot, voilà quelque chose à mon sens de parfaitement non télégénique et réservé à des initiés fortunés. Déjà, à la base, moi, les régates, je trouve ça chiant, excusez mon langage. Si au moins ils avaient le droit de partir à l’abordage, ça aurait du chien. Mais non, ils se contentent de faire des aller-retours entre deux bêtes bouées.
Vous n’êtes pas sans savoir, si vous lisez ce blog depuis quelque temps (et Vishnu sait que sa rédaction traine), que je suis actuellement plongé dans les palpitantes (quoique répétitives) aventures de Richard Bolitho, natif de Falmouth en Cornouaille, et présentement commodore à bord d’un trois ponts après avoir commandé frégates et goélettes. Je suis donc, depuis le temps, légèrement sensibilisé à la chose marine, bien que je ne comprenne toujours rien aux manœuvres qu’ils effectuent. Pour vous dire, je hoche la tête d’un air entendu à ces passages alors que je pige que dalle. Ce qui m’importe c’est de savoir quand le premier boulet sera tiré. Ce que j’ai noté, par contre, c’est l’incroyable largesse temporelle que se permet l’auteur, Alexander Kent. D’une sidérante nonchalance qui frise le mensonge, il résume l’approche de deux frégates entre le moment où Dick Bolitho l’aperçoit de sa longue vue et les premiers tirs de canon, action qui dure facilement une heure vu le train d’escargot de ces grosses masses flottantes (et encore, je vous parle d’un cas où le vent est favorable), en une phrase anodine. Certes, la narration s’en trouve plus nerveuse, et je l’en remercie pour cela. Mais j’ai bien noté que la voile, c’est un peu emmerdant quand même, excusez mon langage, surtout en cette époque de ski extrême, base jump et autres sports hyper véloces.
Détrompez vous. Moi, je me suis détrompé alors mettez-y du votre. Ça c’était la voile de papa (voir même d’arrière arrière grand-papa dans le cas de Richard Bolitho). Les voiliers de classe America d’aujourd’hui, ça envoi du steak, ça claque sa mère et ça déboite la tête. On a, de plus, largement amélioré la qualité de la retransmission télévisuelle par le biais d’infographies superposées aux images d’hélicoptères. Laissez moi vous convaincre.
Fini les bêtes voiliers en bois. Depuis une dizaine d’années, ces bestiaux sont en matériaux composites. Fini les monocoques. Depuis une dizaine d’années ce sont des catamarans (deux coques) effilés comme des rasoirs. Fini les voiles. Depuis quatre ans, ils sont à moteurs. Non je plaisante, quoique. La grosse révolution depuis quatre ans c’est que ces voiliers n’en sont plus vraiment vu qu’ils n’ont plus de voiles. On continu de les appeler ainsi car ils se meuvent avec le vent. Non, le truc dingue c’est qu’ils ont une immense aile verticale rigide, comme un avion, à la place de toute la toile d’antan et, pour encore plus de spectacle, des foils. Des foils ce sont de sortes de petites ailes sous l’eau qui avec la vitesse, soulèvent le bateau jusqu’à sortir la coque de l’eau. On alors l’impression vivace de bateaux volants au dessus de l’eau.
Ces fins mastodontes de carbone arrivent à filer à 45-47 nœuds (soit entre 80-88 km/h) avec vent favorable et 25-27 (45-46) en défavorable. On approche des 100km/h et ça commence à avoir de la gueule d’autant plus que ces bateaux légers sont hypers réactifs et les frégates ressemblent par moment à des chassé-croisés entre formules 1. Pour vous donner une ordre de grandeur, un hors bord monte typiquement à 100-110km/h sur l’eau. Ça tape fort et on comprend alors pourquoi les régates de Coupe America ne peuvent se tenir que dans des conditions étroites de météo. Des caméras embarquées permettent d’apprécier le travail hyper physique des équipiers sans cesse à régler les paramètres du bateau dans un environnement sonore cacophonique. Ces coques hyper rigides en carbone propagent tous les sons de choc et de grincement sans atténuation. Pour vous dire, les marins à bords portent casque et combinaison de protection comme les motards.
C’est donc, alors que je remonte Embarcadero, que je note de l’activité sur un quai avec des grands panneaux « America’s Cup ». C’est, de plus, la finale entre une équipe américaine et une autre néo-zélandaise. Bon, si on cherche un peu la petite bête, on constate que c’est quand même pas mal une finale entre kiwis, la plupart des marins de l’équipe US étant néo-zélandais. Oui, c’est là que le sport est un peu fumeux. La nationalité de l’équipe est déterminée par celle du bateau ou plutôt par celle de l’équipe projet « Coupe America » menant à sa construction. Présentement, les américains sont sponsorisés par Oracle, c’est à dire par Larry Ellison, le richissime patron de la firme dont le siège social est quelques kilomètres plus au sud dans la Silicon Valley (Le budget d’une participation à cet évènement de privilégié est aux alentours de 300 millions de dollars). Ils jouent donc quasiment à domicile.
Chose agréable, l’accès à la zone « Coupe America » est totalement gratuite. C’est donc sous un magnifique soleil que j’y pénètre et profite de l’ambiance festive au sein d’une foule importante mais supportable. Des écrans géants permettent de suivre la régate du jour et des expositions thématiques permettent de comprendre la physique de la voile ou l’histoire de la Coupe. Bien entendu, buvettes et restaurants sont présents, ainsi qu’un grand nombre de personnes, bien que minoritaires, en bermuda, polo, mocassins et chandails sur les épaules.
J’ai vraiment un grand coup de chance car je suis présent pile-poil un quart d’heure avant le départ des deux régates du jour. Team Oracle est mené de plusieurs manches (la coupe se joue sur un nombre important de manches) et a la pression. Franchement, c’est passionnant, vif et stratégique. La retransmission permet de visualiser la zone de course en infographie qui court globalement du Golden Gate jusqu’à l’extrémité est de San Francisco avec Alcatraz posant la limite nord. La régate consiste logiquement à faire plusieurs fois (le nombre exact m’échappe) l’aller retour du quai de départ jusqu’au Golden Gate en revenant le premier. A 90km/h, ça va vite, mais le plus génial c’est de voir les choix stratégiques pour profiter au maximum du vent et des courants, notamment car l’île d’Alcatraz, en plus d’être esthétique, procure un abri du puissant courant rentrant dans la baie par l’embouchure du Golden Gate. Avec sang froid, Team New Zealand humilie les américains, arrivant en ayant creusé un trou de 1500m. Je quitte donc l’écran géant et me rapproche rapidement du bord du quai pour tenter d’apercevoir les bateaux rentrant à quai. Une aile géante dominant la foule devant moi traverse mon champ de vision à une vitesse surréaliste, dans un silence anormal malgré les hélicoptères qui bourdonnent loin au dessus de nous.
J’attends donc impatiemment la deuxième manche de la journée. Quelques minutes plus tard on nous apprend, avec consternation, que l’équipe américaine utilise son joker et jette l’éponge pour la journée, les pleutres. Les fesses encore rouges, quelques heures plus tard, ils annonceront même avoir viré leur stratège pour le remplacer par un autre. Je ne pourrai pas trop dire ce qu’il a fait de mal (et qui suis-je pour juger, marin d’eau douce). J’ai cru comprendre que tout c’est joué au premier virage (et je vous affirme que ces bestiaux virent à vitesse supersonique), l’équipe américaine ayant prise une option sud alors que les néo-zélandais remontaient plus au nord pour se mettre dans la zone sans courant derrière Alcatraz, les fiéfés rusés.
Avec ça, vous vous demandez qui a gagné au bout de toutes ces régates, hein ? Et bien figurez-vous que l’équipe américaine a progressivement rattrapée son retard les jours suivant pour finalement l’emporter 9 manches à 8. Si c’est pas du suspens, ça.