De l’art de choisir son guide

Le lac Hoan Kiem à Hanoi, c’est un peu la place Bellecour de Lyon, la place du Capitole à Toulouse ou encore le Vieux Port à Marseille : le centre touristique de la ville. De fait le nombre de touristes décroit de façon inversement proportionnelle à la distance au lac. Selon la loi corollaire, le nombre de vendeurs ambulants, xe oms, cyclos et autres guides factices décroit également de la même manière suivant la même distance. Vous imaginez donc que vouloir faire le tour du lac en marchant, c’est s’exposer à un harcèlement soutenu.

Alors que je me reposai sur un banc, face au fameux lac où vit une tortue géante solitaire (une descendante de la tortue géante qui sortie une épée magique sur son dos et l’offrit à je ne sais quel individu il y a fort longtemps, si la légende est vrai), je fut interrompu dans mes rêveries par un « hello » féminin à l’accent vietnamien. Encore une fois interrompu dans mes rêveries, remarqueriez-vous. La plupart des gens semble ne pas apprécier que l’on rêve car on est invariablement interrompu dans ces moments là. Triste époque. Je me tourne donc lentement dans la direction de l’interpellation.

Une femme d’âge moyen me sourit, avec un présentoir accroché au cou contenant des babioles dont je ne me souviens pas de la nature car je n’en avait aucunement l’utilité. Étant particulièrement observateur, je ne manque pas de noter une très légère omission chez mon interlocutrice. Elle a une jambe en moins que moi. Oui car n’étant pas regardant quand à mon lectorat, je m’abstiendrai d’estimer que vous en avez forcément deux. En tout cas, moi, jusqu’à nouvel ordre, j’en ai une paire. Fort heureusement, deux béquilles lui assure un équilibre stable. Je lui retourne donc son salut. Commence alors la conversation proprement dite :

« We are you fram ?

  • From France.
  • Ahh, Paris ? (forcément)
  • No, Toulouse. (déception)
  • Je parle un peu français, vous savez.
  • Aaaaah, bonjour alors.
  • Bonjour. Vous voulez un guide ?
  • Non, non. Merci.
  • Si moi je peux faire guide. Je connais autour du lac.
  • Non, non. C’est pas la peine.
  • Mais si, mais si. Pas cher. 30 minutes pour 20000 dongs.

Forcément, une petite dame d’âge moyen unijambiste qui me propose de faire guide pour une de mes premières sorties à Hanoi, j’ai beau être endurci par l’Inde, je l’imagine tout de suite jouant avec une mine anti-personnelle en étant gamine. Je repense également à tous ces jeunes étudiants qui ont moult fois tentés de me convaincre de souscrire un versement mensuel à Handicap International et je décide qu’il est temps d’agir pour aider les enfants handicapés. Et par extension les dames d’âge mûr vu que nous avons tous été des enfants même si ce n’est pas évident pour tout le monde.

Sentant que j’hésite, elle ajoute :

« Tour du lac, une heure pour 40000 dongs, si vous voulez. Je connais histoire.

  • Bon d’accord pour une heure à 40000 dongs. Allons-y

Je me lève donc et avec le sourire, nous partons tout les deux d’un pas décidé (surtout moi) le long du chemin alors qu’elle commence son laïus sur l’histoire du lac et de la tortue géante (que je savais déjà plus ou moins car je l’avais au préalable lu dans le Lonely Planet). Son français est un peu hésitant est approximatif, mais la plupart du temps, je comprends ce qu’elle veut me dire. Je tente de relancer par quelques questions mais atteins les limites de son français. Assez rapidement, je me contente donc d’écouter en poussant à intervalle régulier des « Aaah » (ravissement) et des « Oooh ? » (intérêt). Je suis assez doué pour ça. A ne pas confondre avec le « Aaaah ? » (surprise) et le « Oooh » (incrédulité).

Cinquante mètres plus tard, nous avions fait le tour de l’anecdote sur la tortue et l’épée. J’attends donc impatiemment que l’on arrive à un nouvel élément marquant pour avoir le droit à une nouvelle intervention de ma guide. J’aperçois cent mètres plus loin à droite une petite place certainement notable et riche en information, mais à l’allure où nous avançons, il fallait m’armer de patience. Je fais donc silence et ralenti mes pas, histoire de ne pas distancer ma guide.

Nous arrivons donc finalement à hauteur de la place et feignant la surprise je lance un « Mais dites moi, qu’est-ce donc là que cette place à notre tribord avant ? ». Oui, je suis encore en DSC_5500_DxOtrain de lire les passionnantes aventures de Richard Bolitho, capitaine de frégate de Sa Majesté George III. En vérité c’était plutôt une intervention du type « Et c’est quoi, ça, là bas ? » avec pointage de doigt. Elle s’arrête un instant et, cherchant ses mots, me décrit sommairement la statue du mandarin postée au milieu de la place. Malheureusement, je l’avais précédemment croisé, cette statue. J’apprends donc peu de choses.

Nous continuons notre ballade, en douceur. Tous ceux qui ont déjà effectué une promenade avec une personne âgé souffrant d’arthrite auront une vision assez claire du rythme de ce tour du lac. J’étais bien à l’abri d’une crampe et même ma guide avait l’air de pouvoir maintenir le rythme. Elle me parle du quartier français et de l’architecture. Bien, bien. Intéressant mais pas passionnant. Je n’hésite donc pas à la bombarder de questions sur le moindre truc que je vois et j’ai l’impression d’avoir de nouveau cinq ans « et là c’est quoi ? », « et ça ? », « et pourquoi là-bas ? ». C’est que j’en veux pour mon argent, moi ! Elle est guide, ou elle ne l’est pas ?

Un peu plus tard, on s’approche d’un nouveau groupe de bancs et elle s’assoit pour se reposer, en posant ses béquilles à côté. Obéissant, je m’assoit également et attend qu’elle reprenne un peu ses explications. Décidément, c’est pas d’un rythme effréné, aussi bien en terme de déplacement que d’informations délivrés. Pour combler le silence, je lui demande si elle fait souvent guide comme ça. Sans surprise, la réponse est « un peu ». Elle complète ses revenus de la vente des babioles par cela mais elle y arrive difficilement. Je vois, je vois. Bon, bon. Elle se lève, et nous repartons tranquillement. Régulièrement, nous croisons des touristes ou des vietnamiens (forcément, c’est l’endroit le plus touristique d’Hanoi) et je sens des regards mi-interrogatifs mi-dubitatifs oscillant entre « mais quel homme généreux » et « mais quel couillon ce touriste ». Ma guide reprend un peu ses explications en rebondissant sur un bâtiment que nous abordons à un train de sénateur.

DSC_5499_DxOCeci continue quelques temps et nous arrivons finalement à la petite île au nord du lac qui héberge un temple relié à la terre par un très charmant pont de bois rouge. A l’entrée du pont est dressé une sorte de petit obélisque orné d’inscriptions en caractères chinois. Ma guide commence alors son explication du monument effilé en m’expliquant que c’est un stylo et qu’il est dédié à l’instruction. Traditionnellement, au Vietnam, il y a toujours eu un grand respect pour les études et l’instruction. Je veux bien le croire au vu de l’anormale réussite scolaire constaté chez les quelques français d’origine vietnamienne que je connais.

Ma guide unijambiste me propose d’aller visiter le temple sur l’île. Me doutant bien qu’il va falloir que je lui paye l’entrée et que cela va considérablement nous faire baisser notre moyenne, je décline l’invitation. J’irai voir le temple une autre fois. A mon rythme.

Nous reprenons donc notre parcours en discutaillant à propos du temple puis croisons une nouvelle fois un banc. « On se repose ? », me demande-t-elle ? N’étant pas non plus cruel, je m’assoit une nouvelle fois à côté d’elle, très légèrement impatient, sans rien laisser paraître. Elle me demande alors si je voudrais qu’elle soit mon guide demain pour visiter d’autres endroits. Une vision s’imprime dans mon cerveau : « Hanoi à deux à l’heure ». Je réponds qu’à priori ce ne sera pas nécessaire. Elle insiste néanmoins un peu en me demandant le nom de mon hôtel pour qu’elle puisse m’y retrouver. Non mais, je vous jure, ce n’est pas nécessaire.

Finalement, n’y tenant plus, je regarde ma montre. Trois quart d’heures et on n’a à peine fais la moitié du tour de lac. Non, ça va être trop pénible de tenir encore quinze minutes et je doute que l’on parte en sprint pour finir le tour. Après une variante simplifiée de « Ah ben c’est pas tout ça mais c’est qu’le temps passe vite ! », je me lève en la remerciant et lui tends ses 40 kilo-dongs puis part en lui disant au revoir. Franchement, c’était pas très intense à tout les niveaux ce petit tour au point que je ne me souviens quasiment d’aucune des informations transmises. Ah si. Après vérification, ce n’était pas un stylo, le monument, mais un pinceau. N’importe quoi. Et ne me dites pas que c’est un problème de vocabulaire.

Donc, un conseil d’ami. Si vous devez choisir un guide, tant qu’à faire, demandez lui de marcher quelques mètres avec vous. S’il adopte un rythme similaire au votre, adoptez le. Sinon, fuyez.

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