J’ai enfin osé le faire. Comme j’avais le temps à Pondichéry (environ dix jours sur place) avec la possibilité de récupérer à l’hôpital en cas d’accident, j’ai loué un scooter pour une journée (pour pas cher en plus, 300 roupies pour une journée). Je ne vous cache pas que j’appréhendais légèrement les premiers instants dans le trafic pas spécialement rassuré par les dernières paroles du loueur « and be careful, ok ? ». Oui, ben oui que je vais être cairefoule. Tu penses bien. Je pense qu’à ça. Il m’avait au préalable rapidement expliqué le fonctionnement de l’engin : les freins, l’accélérateur, le démarrage, le blocage du guidon à l’arrêt. Mais j’étais surtout particulièrement surpris qu’il ne m’indique pas l’emplacement du klaxon.
Je part donc dans une douce accélération en ayant au préalable débranché la zone de la peur dans mon cerveau. Ma première étape : trouver une station service pour le plein. Après quelques virages approximatifs et bénissant la nervosité de l’engin, je trouve la station et m’y engage en éteignant le moteur. Mon tour arrive et le pompiste fait son boulot. Je paye, le remercie et tente de démarrer. Mince. Ca ne marche pas. Une minute plus tard j’y étais encore. Mais mince, comment il a fait le loueur ? Je crois que j’avais été trop obsédé par le klaxon et avait du moyennement écouter ses explications. Heureusement un pompiste me montre qu’il faut freiner en même temps qu’actionner le démarreur. Ah ok. Mais sinon, il est où le klaxon ? Je ne sais pas, j’ai l’impression que c’est une pièce essentielle, quand même ?
Je repart donc et attaque pour de bon ma plongée dans le trafic, le rythme cardiaque légèrement supérieur à la normale et mes sens hyper affutés. Après quelques minutes je commence à prendre le plie et suis complètement surpris par la fluidité de la conduite. Vu de l’extérieur, avec un regard français, on a l’impression de chaos et d’agressivité mais à l’intérieur du flot de mobylettes, rickshaws et bus on se rend compte que tout se passe en douceur, chacun faisant attention à la trajectoire de l’autre (enfin peut être moins les rickshaws puisque j’ai assisté à un petit accrochage entre un rickshaw qui avait magnifiquement exécuté une queue de poisson à une jeune fille en scooter). Le secret fondamental étant de ne SURTOUT pas hésiter ou d’opérer un brutal changement de vitesse ou de trajectoire. Finalement ce n’est pas plus dur qu’aborder le tunnel de Fourvière en heure de pointe et en plus, au moins, on avance. De plus, contrairement à la France, les coups de klaxons sont ici donnés à titre d’information « attention, j’arrive » et ne sont absolument pas une marque d’agressivité façon « pousses toi, connard ».
Après quelques minutes, je tente mon premier coup de klaxon joyeux « Biiiiiip ». Je me sens complètement indien. Enfin. Il me reste encore quelques réflexes européens puisque je persiste à mettre mon clignotant. A ce propos, je suis un peu surpris d’entendre régulièrement des « bip bip bip bip », tels des signalisations sonores de recul, mais en plein dans le trafic. Bizarre.
Gagnant de plus en plus confiance je me mets totalement dans le bain en doublant indifféremment à droite ou à gauche avec un « Biiip » joyeux et amical. Au moins le vent du à la vitesse (pas plus de 60km/h à vu de nez mais vu la densité et la dangerosité du trafic, c’est amplement suffisant) évite une trop grosse chaleur. J’ai malgré tout une forte tendance à préférer tourner à gauche plutôt qu’à droite, surtout au début.
Un peu plus tard dans la journée, je suis saisit par un éclair brutal de compréhension au sujet de l’incroyable cacophonie du trafic indien. Alors que je suivait une petite camionnette de livraison, je vois inscrit sur ses portes arrières « Sound Horn Please ». Rapidement, je constate que beaucoup de camions et de camionnettes ont cette inscription. C’était donc ça. Les gens ne klaxonnent pas que pour se signaler, c’est également par politesse et pour répondre aux injonctions des chauffeurs livreurs. Mais qu’est-ce qu’ils sont obéissants ! Ah mon avis, ils y ont quand même pris un poil goût.
Autre découverte majeure : je constate que les « bip bip bip bip » que j’entendais viennent de mon scooter : les clignotants sont également sonores. Ah non de djieu. Mais ils sont complètement fous ?! En plus des klaxons et des clignotants je remarque que l’enclenchement de la marche arrière sur les voitures est également sonore. Tout prend alors une nouvelle perspective. Qui de la poule ou de l’oeuf ? Est-ce le législateur indien qui à force de zèle auditif a provoqué cette effroyable pollution sonore ou est-ce parce que les conducteurs indiens abusaient du klaxons et de la conduite sportive qu’il a fallu trouver d’autres moyens pour attirer l’attention. Nul ne le sait. Nul, c’est moi, en l’occurrence. Si vous le savez, je suis preneur.
Au cours de ce petit périple à deux roues motorisés, j’ai pu expérimenter différents types de trafics : urbain, routier et campagnard. A vrai dire je n’ai pas senti de différence fondamentale entre les deux premiers hormis la vitesse légèrement plus élevée pour le deuxième ainsi qu’une plus forte proportion de voitures. A part cela, ça reste un incroyable flot de trajectoires entre-tissées et bien entendu, mais était-ce besoin de le préciser, sans casques pour la majorité des deux roues. Moi, bien entendu, pour faire couleur locale, j’ai roulé tête nue. Il faut dire que je n’avais pas bien eu le choix car à aucun moment le loueur n’a fait mine de m’en proposer un. Chose assez amusante en parlant de casque, j’ai constaté plusieurs fois un conducteur porter un casque (intégrale ou pas, à ce niveau là faut pas être difficile) alors que sa on son passager arborait fièrement ses cheveux aux vents, même si le passager était un enfant. En ce qui concerne la conduite en campagne c’est le plaisir mais il n’y a rien de typiquement indien hormis quelques rares dos d’âne sensées tempérer l’ardeur des fous de vitesse. Ils ne sont par contre pas du tout de l’ampleur des « topes » mexicains donc, passons notre chemin.
A propos de passagers de deux roues, j’ai pu à loisir contempler les différentes configurations que ce soit en tant que piéton ou en tant que conducteur lors de cette mémorable journée (oui car je vous annonce que je ne l’ai pas retenté). L’Asie et indubitablement le continent des deux roues et l’Inde particulièrement. C’est pour la plupart des foyers LE véhicule principal et permet de transporter toute la famille. Le record que j’ai pu constater est de cinq passagers (en comptant le conducteur), deux adultes et trois enfants et je ne vous parle pas des objets qu’on transporte avec. Mon préféré (ça me fait beaucoup rire, allez savoir pourquoi) est le passager tenant une grande planche ou un grand tableau, par exemple d’un mètre sur un mètre cinquante, entre lui et le conducteur, bien en prise au vent. Résultat il ne voit absolument pas la route, a les jambes écartées au maximum et doit lutter pour ne pas se faire emporter. Très très fort.
Notez que pour les passagères, comme pour la monte à cheval, il y a deux écoles : celles qui montent en amazone et celles qui montent à califourchon (normal quoi). Moi je serai pas très confiant en amazone mais en même temps je ne serai pas très confiant quelque soit la monte vu que la plupart du temps il n’y a quasiment pas de prise pour le passager au delà du deuxième (à moins de ce tenir au précédent mais vu la chaleur ça va vite devenir poisseux tout ça).
En tout cas, après une journée complète en scooter, dans la campagne et en ville, je suis rentré me coucher tôt, excité, heureux mais un peu exténué nerveusement.