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Un vaste choix de livres

Si vous suivez ce blog depuis le début, vous n’êtes pas sans savoir que je me trimballe une liseuse électronique généreusement offerte pour mon anniversaire par des amis Toulousaings. Dans un moment d’euphorie et de confiance absolue dans le progrès, j’ai acheté le Lonely Planet « Inde du Sud » en format électronique, ce que j’ai amèrement regretté une fois sur place. A Pondichéry et Chennai, j’ai bien tenté de trouver un Lonely Planet « Vietnam » en version papier mais sans succès. C’est d’autant plus rageant que je suis tombé sur des exemplaires du guide pour la Thailande et le Cambodge dans une librairie de Chennai, en anglais. Mais il faut croire que les indiens ne s’intéressent pas au pays des chapeaux coniques. Je me suis donc une nouvelle fois rabattu sur la version électronique du guide, avec les crises de nerfs qui vont avec.

Arrivé à Hanoi, je me suis donc décidé à partir le plus tôt possible en chasse du guide pour l’Australie. En réalité, il m’a fallu quelques jours, et surtout une conversation avec Werner (mais si, Werner, ce sympathique cinquantenaire munichois rencontré à la baie d’Ha Long), pour que je me décide. Que vient faire un allemand mature dans cette histoire, qui plus est responsable des ventes d’une entreprise de composants électriques ? Et bien il m’a éclairé sur un phénomène très courant au Vietnam : la copie pirate de livres.

Si vous vous arrêtez dans un de ces grands magasins pour touristes (ce qui ne manquera pas de vous arrivez si vous prenez un bus vers la baie d’Ha Long) vous trouverez, à côté des poteries, vêtements, peintures et cartes postales, un rayon bouquins en anglais (voir en français) comprenant les plus grand auteurs – Stephen King, Mary Higgins Clark, Michael Crichton – mais également des Lonely Planet, le tout à des prix défiant toute concurrence puisque vendus à 50% du prix recommandé par l’éditeur (ce qui est facile à vérifier vu que le prix en dollar est indiqué sur la couverture à côté du code barre).

Néanmoins, si vous les feuilletez (ce que je vous recommande de faire) vous noterez quelques éléments étranges. En premier lieu, la qualité de l’imprimerie laisse un peu à désirer sur les éléments en couleurs. Ensuite, le papier semble étonnamment léger et fin. Finalement, avec un peu d’attention, il n’est pas impossible de tomber sur des fautes de frappe ou d’orthographe. Tout ceci est tout à fait normal puisqu’il s’agit (mais vous l’aviez deviner) de copies pirates vendus de manière tout à fait officiel.

Je me suis donc offert le Lonely Planet « Australie » pour la modique somme de 10$ (contre 22$, prix recommandé) et je n’en suis pas particulièrement fier. D’ailleurs, une fois remonté dans le mini bus en route vers Hanoi, je me suis empressé de contrôler la véracité des informations du guide : capitale de l’Australie ? Canberra. Me voilà rassuré.

Montre moi comment tu t’habilles et je te dirais qui tu es

Après quasiment quatre jours pleins à Hanoi, j’ai commencé à détecter un schéma assez particulier au niveau vestimentaire. Je vous rappel tout d’abord, qu’étant un adepte du camouflage culturel, mon accoutrement s’adapte habilement en fonction de l’endroit où je suis. En Inde, dress code très strict: pantalon plus chemise avec chaussure de marche de peur de me faire violer. Au Vietnam, après vingt quatre heures, tel le caméléon, je déduis que pour me fondre dans la masse grouillante d’homo sapiens sapiens locaux, il faut que j’adopte un tout autre code vestimentaire (notez comment, habillement, j’évite une répétition en passant d’une langue à une autre).

Le vietnamien moyen dans la rue s’habille en été (je ne peux conclure quand à l’hiver) comme s’il était sur le front de mer de la Grande Motte autour du 15 août. Au menu, tongue / schlappe / slache / claquette / gougoune, T-shirt voir débardeur et short. C’est autrement plus décontracté qu’à Pondichéry. N’ayant pas ça en stock, j’ai du faire le plein.

J’ai donc pris les devants et ai décider d’acheter des T-Shirts à Hanoi. Je vous épargne ma lamentable négociation tarifaire où j’ai réussi à arracher avec force habilité trois T-Shirts à 600 kDongs le tout (soit tout de même prêt de 10$ chacun ce qui n’est pas vraiment un exploit. Je me rassure en disant que ce sont 10$ qui n’iront pas dans la poche de Nike mais directement dans celles d’un vietnamien). La vendeuse m’a assuré avec beaucoup de passion en me montrant l’étiquette que c’était du « Made in Vietnam » et non pas de la merde « Made in China ». Je n’étais personnellement pas du tout au courant que le « Made in Vietnam » était signe de qualité à la manière d’un « Made in Germany ». J’avais donc maintenant trois éléments essentiels pour mon camouflage : un T-shirt gris clair arborant la marque locale « Tiger Beer », un autre noir avec un joli motif chinois blanc et un kaki dont je n’ai aucun souvenir car je l’ai paumé entre temps. Ça fait donc les deux T-shirts à 15$ maintenant. C’est pour vous dire comme je suis fin négociateur.

Pour ce qui est des chaussures, je suis allé me balader du côté du marché couvert et après avoir longuement arpenté les allées à la recherche de la meilleure affaire pendant environ deux minutes, j’ai acheté une paire de tongues / schlappe / slache / gougoune / claquettes de la très bonne marque « Eagle » pour un prix défiant toute concurrence chinoise avant de me rappeler dix minutes plus tard que mon cerveau quasiment bilingue gavé de publicités et de marques avait confondu avec « Aigle ». Mais au moins, j’avais les doigts de pieds à l’air et je faisais couleur locale. Accessoirement, j’ai eu atrocement mal au sommet des pieds pendant deux jours du fait de l’abrasion répété sur ma peau non habituée. C’est le prix à payer pour une bonne infiltration en territoire ennemi comme vous le confirmera n’importe quel S.A.S. en mission. Depuis ça va beaucoup mieux merci, et je les porte encore à l’heure où je vous écrit.

Autant vous dire que le deuxième jour à Hanoi, bien que soufrant atrocement au bout d’un kilomètre de marche, je me sentais particulièrement discret. Ce qui n’était absolument pas le cas après une deuxième analyse plus subtile. Premièrement, regardons le touriste de base, camouflé en vietnamien du même acabit. Il porte un T-shirt arborant une marque de bière locale, un joli dessin de Tintin marqué « Tintin au Vietnam » sorti de nul part (non, Tintin n’est jamais allé au Vietnam) ou encore portant le slogan « Hanoi Traffic » (ce qui est parfaitement ridicule et surfait, encore une fois). Si maintenant nous comparons avec un vietnamien du cru, lui porte un T-shirt avec l’inscription « Channel » en corps 240 hurlant d’authenticité, un polo de marque Ralph Lauren avec un joueur de polo en bas relief qui lui couvre tout le poumon gauche ou bien encore un logo « Abercrombie » sans le « Fitch » car il n’y a plus de place disponible ou alors sur un deuxième T-shirt.

Avoir le T-shirt c’est bien mais il ne faut surtout pas négliger la façon de le porter. De nombreux touristes caméléons un peu distraits se contente de le glisser par dessus la tête en insérant leurs deux bras de chaque côté dans les deux derniers trous restants, en gardant l’étiquette côté nuque, le tout recouvrant leur corps du bas du cou jusqu’en dessous de la taille. Ils constateraient avec un peu plus d’attention que le vietnamien moyen, s’il est en mode stationnaire pendant une longue période exposé à une température élevée roule le bas de son T-shirt jusqu’en dessous de ses tétons pour exposer ainsi son abdomen et son dos nu à l’air ambiant. Ne point faire cela trahi instantanément sa provenance outre-asie.

Deuxièmement, et là c’est vraiment un faute d’attention majeure de la part du touriste, là où celui ci sort couvert d’une casquette ou éventuellement d’un chapeau conique, le vrai vietnamien ne porte rien ou alors un casque de mobylette (éventuellement un chapeau conique si c’est une vieille dame portant des fruits mais dans ce cas elle n’a pas de T-shirt). C’est quand même pas difficile de le voir ça, enfin ! Certes, ce n’est pas très pratique d’avoir pendant une longue période un casque sur le crâne mais premièrement, personne ne vous oblige à porter le casque intégrale. Une bête réplique de casque allemand de 39-45 fera l’affaire. Deuxièmement, si vous avez pensé à l’habit j’espère pour vous que vous avez également pensé à vous munir des accessoires adéquate à votre camouflage. Dans ce cas, la présence d’un deux roues motorisé non loin de vous semble indispensable. Le casque devient alors un élément de cohérence.

Pour ce qui est des femmes, n’hésitez pas, pour faire couleur locale (notamment à Hanoi ou Saigon) à porter le short très très court, au ras des fesses comme on dit. C’est effectivement un virage à 180° par rapport à l’Inde. Si cela vous semble trop extrême vous pouvez opter pour le très charmant costume traditionnel constitué d’un pantalon de soie blanche et de la célèbre tunique de soie coloré, longue et coupée sur le côté jusqu’aux reins, laissant un carré de peau à nu de chaque côté des hanches. Trèèèèès joli. Il ne vous reste plus qu’à prier de trouver un costume à votre taille et à votre corpulence notamment si vous êtes une nageuse hollandaise ou une caissière américaine.

La troisième voie, pour vous mesdames, surtout si vous êtes dans des villes ou villages de moindre importance, consiste à s’acheter des chaussettes en forme de mittens permettant de porter des tongues / slache / gougoune / claquettes / schlappe, à glisser vos mains dans des gants, de couvrir vos bras et votre tête d’un haut de survêtement à capuche, porter un pantalon et surtout, de trouver un de ces fameux masques en tissus anti-pollution que vous attacherez derrière vos oreilles. Accessoirement, vous ne bronzerez absolument pas. Dans ce cas, hormis votre taille et votre corpulence, rien ne pourra trahir votre origine géographique à condition que vous ne fassiez aucun effort particulier pour harmoniser ces éléments. Pantalon rose sur haut à capuche jaune à fleur bleu fait encore plus couleur local.

Voilà, je vous laisse faire vos courses. Vous avez amplement de quoi vous occuper.

Un tour organisé, quatrième partie : Ha Long

Résumé des épisodes précédents : Un trajet en bus, un trajet en bateau, un trajet en kayak, un trajet en tuc-tuc et sinon, à parce ça, rien de spécial. Si, j’ai dormi. Et on a bien mangé.

Le lendemain, je me réveille vers 6h du matin après une nuit un peu agitée, chaleur oblige. Il fait déjà jour depuis une bonne demi-heure et le réveil se fait naturellement au son d’un coq et d’un début d’agitation dans la maison. Il faut dire que les vietnamiens sont plutôt matinaux. Je m’habille donc et embarque mon appareil photo. D’après Pi Loo, le matin très tôt a lieu le marché du village où se vendent les poissons fraîchement péchés.

Je me glisse donc dans la cour où j’échange un salut avec l’autre jeune de la famille, à moitié réveillé dans un hamac, caresse le jeune chien domestique et franchit la grille. Le village à cette heure-ci est déjà assez actif et je croise quelques personnes à pied ou à vélo. Toutes les DSC_5583_DxOmaisons ont leur salle de séjour grand ouverte et donnant directement dans la rue. Je peux donc constater que quasiment tout le monde est réveillé. C’est d’ailleurs assez amusant cette façon d’avoir le cœur de la maison directement en contact avec la rue. Il faudra que j’en touche deux mots à Pi Loo.

Je me retrouve assez rapidement de nouveau devant la pagode de hier soir, que je peux enfin admirer, et découvre un grand terrain vague en face où semble s’organiser le marché, la baie plus loin et une mangrove d’arbres bas intercalée. Je profite donc de l’activité et de la jolie lumière matinale pour prendre quelques photos.

DSC_5613_DxODSC_5610_DxO DSC_5605_DxO DSC_5601_DxO DSC_5591_DxO DSC_5593_DxO DSC_5595_DxO DSC_5589_DxO DSC_5586_DxO DSC_5614_DxO

Au bout d’une demi-heure je rentre à la maison où je retrouve le jeune homme dans son hamac, à peine plus éveillé mais qui cette fois-ci me demande d’où je viens. Encore une fois, je lui ‘avoue que je suis français et comme hier soir, cela permet d’entamer la conversation. Pour gagner du temps, je m’assois directement et on discute de l’apprentissage (difficile) du français, tâche qu’il vient de commencer il y a quelques mois. D’ailleurs, c’est l’autre jeune homme avec qui j’ai discuté hier au soir qui l’assiste et qui se trouve être un ami à lui qu’il héberge pour les vacances. Heureusement, il parle pas mal anglais car il est vrai que son français est vraiment débutant. Étudiant en marketing (encore, mais c’est fou) il vient de finir ses études et passe donc les vacances d’été chez sa mère. Il m’avoue quand même qu’il déteste ça, le marketing, mais que sa mère l’a obligé. Ah, tout de même, voilà qui me rassure un peu. Un peu taquin, je lui demande, puisqu’il n’a pas l’air d’aimer ça, pourquoi ne l’a t-il pas abandonné pour étudier une autre matière. Ce à quoi il me réponds : « ma mère m’aurait tué ». Ça n’a pas l’air de rigoler à Quan Lan.

Pendant cette conversation nous sommes petit à petit rejoint par Kelly et la marseillaise qui viennent s’asseoir à côté. On discute donc de nouveau apprentissage des langues et il nous explique qu’au Vietnam l’apprentissage se fait quasi exclusivement à l’écrit. Pour sur ils sont bons en grammaire et en lecture, mais pour ce qui est de parler ou de suivre une conversation, c’est l’hécatombe. Ce qui, il faut bien l’avouer, semble être la norme dans pas mal d’écoles du monde entier. En parlant de langues, on en vient à parler des ethnies vietnamiennes, au nombre officiel de 54 (chiffre que l’on retrouve précisément dans tous les musées et chez chaque vietnamien à qui on pose la question). Notre interlocuteur nous glisse d’ailleurs que notre maman adorée, Pi Loo, est une H’Mong de Sapa. Je note mentalement de vérifier si cette ethnie ne serait pas matriarcale et prompte à molester les étrangers. La conversation glisse ensuite sur les voyages (forcément, nous sommes touristes) et après que je lui ai demandé s’il comptait voyager, le fils de la famille me répond qu’il va faire le tour du Cambodge et de la Thaïlande, bientôt, avec des amis. Qui plus est, le garçon va couchsurfer. C’est même un pratiquant assidu aussi bien en tant que fournisseur et usager de canapé. Je lui parle de ma toute petite expérience ridicule de couchsurfing à Hanoi et avec enthousiasme (enfin, relativement à l’heure matinale) il m’encourage à poursuivre l’expérience. Quand je pense que j’ai découvert le CouchSurfing à Chambéry il y a quelques années alors que c’était encore un peu confidentiel et que maintenant un jeune vietnamien me vante ça, je commence à me rendre compte à quel point les jeunes de ce pays sont les deux pieds dans la mondialisation.

Nous sommes finalement interrompus par l’arrivée du reste de la troupe (les filles) mené par Pi Loo qui nous donne le signal du départ. Au passage je lui parle de cette histoire de maisons ouvertes sur la rue. Elle me réponds que c’est commun à tout le Vietnam et que ça correspond à une façon de vivre assez communautaire. C’est sur que ça change totalement du « chacun chez soi » à l’occidental (et encore plus à la française où c’est « chacun chez soi planqué derrière mon mur ou ma haie »). Notre cheftaine scout nous énumère ensuite le programme de la journée : lavage, départ pour une petite ballade à vélo à travers l’île jusqu’à une plage, baignade pour ceux qui veulent, petit déjeuner sur la plage, re-ballade à vélo jusqu’au bateau puis finalement retour au port initial pour repartir vers Ha Long. D’ailleurs elle se tourne vers moi pour me demander si je veux toujours faire mes trois jours exclusivement Bai Tu Long car dans ce cas je resterai ici en attendant de récupérer un autre groupe. Moi, je suis un gars qui m’attache donc sentant qu’il y avait un bon feeling qui commençait à se créer je décide de suivre la bande en partant voir la baie d’Ha Long. Au moins je pourrai me vanter de l’avoir vue à mon retour. Je vais vous décevoir mais il n’y a eu aucune explosion de joie avec moult embrassades à cette annonce pour me féliciter de ma décision. Les gens sont vraiment bien ingrats.

Après donc un rapide rangement de table, fermeture des sacs et aux revoir chaleureux à la famille, nous partons donc récupérer nos vélos à côté de la maison. Loin d’être des VTTs se sont plutôt des VTC vieillots mais rustiques. Ceci dit, Pi Loo nous assure que ce ne sera pas très difficile. Il vaut mieux car Manon n’a pas particulièrement le physique d’une marathonienne. Nous partons donc dans un concert de grincements et couinements à la suite de notre guide. Nous empruntons la rue perpendiculaire que j’avais arpenté hier soir (en même temps, il n’y a que trois directions possibles) et nous retrouvons très rapidement dans la campagne très verdoyante et légèrement vallonnée, sous le soleil, avec quelques petites rizières de part et d’autre. Nous croisons des maisons isolées, toujours aussi pimpantes avec leurs couleurs pastels soulignées de blanc, ainsi que quelques camions venant en sens inverse. Après une petite côte où je remporte le grand prix de la montagne au nez et à la barbe de Kelly et de Pi Loo (qui a craqué à mi pente, incapable de suivre ma terrible accélération en danseuse et en tong / schlappe / slache / gougoune / claquettes) nous descendons un long faux plat bordé de pins où nous laissons retomber notre température corporelle. Pi Loo de l’arrière nous cri alors « Right, right ! » et je freine en appelant Kelly qui avait pris la tête. Un petit chemin de sable s’enfonce entre les pins d’un côté et de petites dunes de l’autre. Après un pédalage difficile dans le sable, nous posons les vélos face à une grande plage à marée basse, un fort vent marin dans les cheveux et dans le fracas des vagues. En face, l’océan. Au dessus le soleil. En dessous le sable brûlant.

Une bonne baignade plus tard où on échappe de peu à la commotion cérébrale sous l’impact brutal et répété des vagues (ce dont je suis ravi car ça me permet de enfin déboucher mon oreille gauche), nous rejoignons Pi Loo, sereinement assise en tailleur à l’ombre des arbres, un grand chapeau en paille sur la tête et des lunettes de soleil à la Brigite Bardot (époque brune). Elle nous avait gentiment préparé le petit-déj’ à base de crêpes au sucre et jus de citron, DSC_5620_DxOmangues, pastèques et bananes fraîches. Je vous ai dit que c’était une mère pour nous ? Nous mangeons donc tranquillement face à l’océan.

Pleinement rassasiés (il y d’ailleurs du rab’ de crêpes si vous en voulez), nous repartons à vélos sous le soleil et poursuivons la route dans un paysage un petit peu plus sablonneux bordé de pins. La marée est basse et c’est l’occasion d’apercevoir des petites silhouettes aux chapeaux coniques ramassant des coquillages sur la baie avec en arrière plan des hautes collines pentues couvertes de végétation. Après une petite ballade, nous atteignons finalement le bout de l’île où est amarré le bateau. Un tuc-tuc s’étant chargé de ramener nos bagages, nous sommes parés pour appareiller. Sereinement, nous rebroussons chemin à travers Bai Tu Long, en ce glorieux milieu de mâtinée, pour rejoindre le port.

Quelques heures plus tard, et après un petit trajet en mini-bus, nous voici tous déposés devant le terminal marin de la baie d’Ha Long. C’est le moment de dire au revoir au couple marseillais, avec qui j’ai enfin pris le temps de faire connaissance pendant ce petit transfert. Déjà, elle est parisienne donc ça lève le voile de mystère sur leur côté calme. Les deux français parti, nous voyons arriver deux nouveaux couples que tout le monde salut. Nous repartons aussitôt à la suite de Pi Loo dans le hall du terminal, parmi la foule de touristes et de leurs guides respectifs, chacun attendant que ces derniers reviennent avec les tickets, l’accès à la baie étant payante.

C’est finalement notre tour et nous reprenons notre cheminement chargés comme des mules derrière Pi Loo qui fend la foule jusqu’à un embarcadère. Y sont attachés trois gros bateaux blancs de deux niveaux à l’aspect relativement cossus. Mais toujours pas de voiles. Nous montons donc dans un de ces bateaux étiqueté « Ethnic Travel » et déposons nos bagages dans la salle à manger, donnant sur le pont. Impressionnant, car je ne m’attendais pas ce DSC_5643_DxOniveau de prestation. Ce n’est pas luxueux mais c’est très confortable et il y a même une étagère avec des livres en anglais, français et allemand. Pi Loo nous distribue des clés de chambre et je me dirige vers la mienne. Trop la classe. J’adore. Du bois sombre partout, un lit double, le petit bruit ronronnant du moteur et même une salle de bain privée. J’ai comme l’impression que la séquence contact avec les habitants est fini. D’ailleurs quand je descends au pont inférieur à la recherche des toilettes (avant que Pi Loo ne me fasse remarquer que j’en avais dans ma cabine), j’aperçois les marins et Pi Loo en tailleur dans une pièce commune en train de manger. Dommage, j’aurais trouvé plus sympathique que l’on mange tous ensemble.

DSC_5645_DxOLe bateau quitte enfin le port et une fois chacun installé dans sa chambre, nous prenons nos places aux deux tables de la salle à manger, les françaises à l’une et Kelly, moi ainsi que les deux couples à l’autre. Comme d’habitude, au début personne ne dit rien, la faim étant l’obsession numéro une. Quand à la soif, je me dirige vers le frigidaire des boissons (payantes) pour m’attraper un Pepsi. La main sur la poignée, Pi Loo me réprimande et insiste pour me l’amener. En prime, je crois bien qu’elle me frappe sur le dos. Avec le sourire, bien sur. Nous prenons ensuite enfin connaissance de nos quatre nouveaux arrivant : un premier couple de cinquantenaires munichois en route pour une année complète de voyage à travers l’Asie et l’Australie (un très belle attitude puisqu’ils ont décidé de profiter de leur forme actuelle et de ne pas attendre leur retraite) et un jeune couple de la région de Bilbao ici pour deux semaines. C’est d’ailleurs l’occasion de les chambrer en rigolant car avec leurs deux semaines de voyage, ils sont ridicules parmi nous. Je sympathise assez rapidement avec les munichois. Le mari, souriant et aimant plaisanter, d’un contact très facile, est en année sabbatique. Quand à sa femme, moins à l’aise en anglais mais néanmoins sympathique, elle a carrément démissionné de son boulot. Je les recroiserai d’ailleurs quelques journées plus tard à Hanoi où j’apprendrai enfin leurs prénoms : Werner et Sabine. Les espagnols ne parlant pas aussi bien ont tendance à rester entre eux. On fini donc le repas assez plaisamment à papoter avec Kelly et les deux allemands, avec quelques interventions espagnoles.

La baie d’Ha Long est gigantesque et malgré un nombre important de bateaux de touristes nous profitons agréablement du paysage. Encore une fois Pi Loo nous détaille le planning et nous allons encore une fois éviter les coins les plus visités. Le programme consiste à rejoindre un village flottant puis poser l’ancre dans un endroit tranquille pour la nuit. C’est donc après quelques petites heures d’une traversée tortueuse entre les superbes îles karstiques que nous atteignons le village. On a beau dire, c’est vraiment superbe de slalomer (mollement, certes mais quand même) entre ces blocs rocheux, comme flottant sur l’eau, couverts d’une dense végétation bourdonnante. Parfois des petites plages de sable blanc viennent lécher le bas des rochers, les plus grandes étant accessibles par un embarcadère et couvertes de touristes.

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A proximité d’un village flottant au creux d’une anse, nous lâchons l’ancre et trois barques menées à l’aide d’une longue rame unique par des femmes portant le chapeau conique s’approchent. Nous nous distribuons dans les barques munis de gilets de sauvetage orange et je me retrouve fort heureusement avec le couple de Munich et Pi Loo à côté de moi. La DSC_5665_DxOrameuse nous donne chacun un chapeau conique, que j’accepte en place de ma casquette quand Pi Loo prend le sien et s’en couvre. Ce ne doit donc pas être que pour la photo. Effectivement, assez rapidement, malgré un soleil de fin d’après midi, la chaleur se fait sentir et la lumière réverbérant sur l’eau est par moment aveuglante. Ces chapeaux sont diablement efficaces et légers.

Nous faisons donc le tour du village où j’en profite pour poser plein de questions saugrenues (ou pas) à Pi Loo notamment sur l’approvisionnement en eau potable effectué régulièrement du continent par bateau là où dans le passé les populations allaient se servir dans les rares sources des les îles, désormais taries. Les maisons flottantes sont également tractées au port en cas d’alerte au typhon, événement qui a eu lieu une semaine avant notre venue. Malgré cela, la population du village reste stable et celui-ci possède même une école primaire, flottante. Je demande également à notre guide pourquoi les rameuses sont des femmes : « Parce que les hommes sont à la pèche ». Ah oui, ça c’était la question saugrenue. Pendant toutes mes questions, je sens Pi Loo légèrement déconcentrée et occupée à jouer avec son chapeau conique pour se protéger du soleil. Je fini donc DSC_5666_DxOpar lui demander si elle craint celui-ci. « Oui, ici les hommes n’aiment pas les filles à la peau sombre donc je ne veux pas bronzer », me répond-elle. Instantanément, Werner et moi nous empressons de lui expliquer qu’en Europe on trouve ça plutôt chouette les femmes à la peau hâlée mais ça n’a pas l’air de la convaincre. Elle passera la traversée en barque bien planquée sous son chapeau comme craignant que le ciel lui tombe sur la tête. Au passage je comprends maintenant pourquoi énormément de femmes vietnamiennes sortent complètement couvertes vêtues de gants, chaussettes, pantalons et capuches, masque même sous une chaleur à mourir. Finalement, nous remontons à bord de notre petit navire de croisière.

DSC_5668_DxOUne bonne heure plus tard, nous voici arrêtés à l’ombre d’une île percée d’une grotte. L’équipage s’occupe à mettre les kayaks à la mer pour une nouvelle sortie. Cette fois-ci je fais équipe avec Kelly et nous nous mettons rapidement d’accord pour ne pas jouer petit bras : nous visons une île très au loin dotée d’une arche naturelle. C’est donc l’occasion de discuter un petit peu plus avec la jeune américaine vraiment d’un esprit très sympa. Nous saluons au passage un pêcheur à bateau d’un monstrueux « sin cheu » tout pourri que je devrait avoir honte de déformer autant. Il nous répond malgré tout d’un sourire et d’un salut de la main. Nous atteignons puis traversons l’arche pour se retrouver DSC_5677_DxOquasiment face à la baie d’Ha Long et le port industriel du même nom. Nous contournons donc l’île pour repartir en sens inverse en espérant ne pas lutter contre un courant contraire, tout en continuant de papoter. Nous nous demandons notamment qu’elle est le sentiment des vietnamiens sur leur régime politique, chacun de nous deux n’ayant encore osé aborder le sujet avec des gens du cru.

C’est donc finalement après une heure d’une rame sans forcer que nous retrouvons le bateau. Nous profitons que la majorité sont encore en kayak pour plonger dans l’eau et se baigner. L’eau est d’une température magnifique et finalement très peu salée. Rapidement quelques DSC_5682_DxOautres personnes nous rejoignent. Le capitaine du bateau, tout en rigolant, fait mine d’attraper Pi Loo pour la jeter dans la baie. Ils sont vraiment déconneurs ces vietnamiens. Ceci dit, elle surprend tout le monde quelques minutes plus tard en sautant du pont en T-shirt et short dans un grand splash sonore. Voilà qui est bien sympathique.

DSC_5672_DxOLa soirée se termine agréablement dans une atmosphère digne du film « Indochine » ou progressivement l’activité lointaine de la baie ralenti au rythme des bateaux de croisière jetant l’ancre pour la nuit, lumières et formes plus sombres des îles se reflétant sur l’eau noire. Après un dîner convivial, je rejoint les autres sur le pont supérieur panoramique, chacun dans une chaise longue. Manon nous fait une démonstration de sa souplesse (quelques années de danse classique qu’un physique enrobé ne vient pas altérer) DSC_5685_DxOque Pi Loo essai de copier sans succès mais avec beaucoup de cris de douleur. Après dix minutes elle abandonne. Sentant le moment et le climat propice aux confidences, je décide de lui poser des questions plus personnelles.

« Et sinon, Pi Loo, tu as fais d’autres métiers autre que guide ?
<petit blanc>
– Non. Je ne suis pas allé à l’école.
<autre petit blanc>
– Ah.

A ce moment là, Kelly prend le relais, d’une question particulièrement frontale. Si j’avais été en train de boire, je crois que j’en aurai recraché ma boisson :
« Et sinon, Pi Loo, comment ça marche le régime politique au Vietnam ?
<léger petit blanc>

Je dois vous avouer que je ne me souviens plus trop de la réponse formulée par notre guide. Ça aurait tout aussi bien pu être un grognement ou un marmonnement. Toujours est-il que dans la minute qui suit, elle s’est excusée en nous souhaitant bonne nuit. Pour ce qui est de la diplomatie : France zéro, USA zéro.

DSC_5688_DxOLe lendemain matin, bien ragaillardi après un bon déjeuner de fruits et d’œufs au plat nous repartons tranquillement vers le terminal d’Ha Long pour reprendre la route vers Hanoi. Matinal, j’avais au préalable pu contempler un lever de soleil fugitif sur la baie, les nuages arrivant. Nous empruntons un autre chemin qu’à l’aller et chacun peut profiter des dernières heures à bord. Je profite de la présence de Pi Loo à côté de moi sur une chaise à l’ombre, un instant pendant lequel elle ne me moleste pas, pour lui poser des questions. A chaque fois ses réponses sont courtes et j’ai du mal à déterminer si je la gêne ou si elle est doucement somnolente. En tout cas j’apprends qu’elle travaille tout les jours et que ses seuls moments de vacances ont lieu lorsqu’il n’y a pas de client. J’ai parfois l’impression de poser des questions de riches. Des vacances ? C’est quoi ?

DSC_5695_DxONous quittons finalement, et avec regret en ce qui me concerne, la tranquillité du bateau et la majestueuse baie d’Ha Long pour remonter en mini-bus. Particularité par rapport à l’aller : nous sommes séparés en deux groupes et je me retrouve comme par hasard avec Kelly, Sabine et Werner. Nous alternons donc pendant les cinq heures de route de moments de rêveries, discussion, sieste et papotage. On discute d’ailleurs de l’Australie avec les munichois qui ont également prévu d’y aller.

En fin d’après midi, nous pénétrons dans Hanoi et le bus dépose Werner et Sabine à leur hôtel après de chaleureux au revoir. Kelly et moi descendons à l’agence où on se salut en se souhaitant bonne chance pour la suite. Bizarrement, j’ai un pincement au cœur à quitter comme cela ces personnes attachantes après seulement deux ou trois jours ensemble.
Je rentre dans l’agence pour récupérer des billets de train et retrouve Pi Loo en train de discuter assez vivement avec son patron. J’avais complètement oublié cette histoire avec les espagnoles et suis désolé pour notre guide, l’esprit sans doute occupé par tout ceci pendant nos trois jours. Profitant d’un moment d’accalmie, je retire un billet de mon portefeuille et m’approche de Pi Loo en la remerciant pour ces trois superbes jours. Je suis français donc je ne donne rarement des pourboires. Tout les deux un peu mal à l’aise et après un premier refus poli, Pi Loo accepte sous mes remerciements et compliments. Alors qu’elle se retourne je saisi fugitivement un début de sourire sur son visage. Je hisse donc mon gros sac à dos sur mes épaules pendant qu’elle s’installe déjà derrière son bureau pour s’occuper d’un nouveau couple de clients. Je sort de l’agence et, me retournant une dernière fois, lance un « Bye, bye Pi Loo ». Derrière la vitrine je la vois me faire un signe de la main, un grand sourire sur le visage, avant de se retourner vers ses nouveaux clients, tout sourire.

Catherine Deneuve tout doucement s’évanouie. J’ai maintenant d’autres images de la baie d’Ha Long.

Un tour organisé, troisième partie : soirée à Quan Lan

Résumé des épisodes précédent : L’empire britannique prend le contrôle d’une partie du Moyen Orient pour assurer son approvisionnement en pétrole. Mais après une coûteuse guerre avec son voisin Allemand, rend ces pays à leur indépendance. L’un de ceux-ci, la Syrie, sous l’emprise d’Hafez El Asaad, compte bien assurer sa part d’influence, notamment sur le petit Liban, mais une révolte interne met à bas ces espoirs désormais porté par son fils dentiste. Pendant ce temps, quelque part au nord-est du Vietnam, un groupe de touristes à la forte proportion hexagonale s’approche de l’île de Quan Lan.

C’est sous un soleil couchant et un silence contemplatif que notre bateau aborde l’île au relief modeste, bordée d’une basse mangrove. Nous accostons, puis rapidement, sous la houlette de notre maman guide, empoignons nos sacs à dos pour rejoindre deux tuc-tucs qui nous attendent. Tant bien que mal chacun se serre dans un des deux véhicules, moi avec Pi Loo, un des marins et les deux marseillais. S’en suit alors un rodéo dans un tuc-tuc pétaradant et à l’amortissement minimaliste que vient stimuler un revêtement routier crevassé. Rapidement nous entrons dans un village bordé de hautes maisons couleurs pastel, étroites et profondes, à la mode vietnamienne. Fort heureusement, le trajet s’avère court et nous nous arrêtons devant une petite ruelle. « Okay, we stop here. Take your bags », nous confirme Pi Loo. Obéissant comme des soldats de deuxième classe, nous obtempérons et suivons notre guide dans la ruelle jusqu’à une grande maison d’un étage avec une petite cour. Un vieux monsieur, une vieille dame, une femme et deux jeunes hommes nous saluent et chacun répond en fonction de ses connaissances linguistiques. Moi j’arrose tout le monde de mes « sin cheu » dégueulasses, avec du sourire dedans pour que ça soit plus doux.

Pi Loo nous trie rapidement par chambre et, chouette, me retrouve seul dans une grande chambre au rez de chaussé avec deux lits équipés d’une moustiquaire. Il y a bien un ventilateur mais pas d’air conditionné. Mais pour qui me prends-je, enfin ! On a dit nuit chez l’habitant, à la dure, au plus près du réel. Bienvenue en terre inconnue, c’est pour maintenant. Comme il y a une salle de bain dans le couloir, je m’immerge dans le réel local et prend une douche, avec de l’eau, comme un véritable vietnamien de ces contrées reculées. En réalité, nous étions pas si reculés que cela car comme Pi Loo nous l’expliquera plus tard, l’île de Quan Lan fut plusieurs fois revendiqués par la Chine et le Vietnam. Elle ne se trouve qu’à 80km à vol d’oiseau du territoire du grand voisin et de nos jours est encore un site touristique visité par quelques chinois. Il y a donc une poignée de bars – karaoké dans la rue principale et quelques hôtels. Je dois bien vous avouer que je rêvais secrètement partager une natte en osier sur le sol en bambou d’une maison traditionnelle vietnamienne montée sur pilotis. On se contentera d’un lit douillet sur un sol carrelé monté sur une chape en béton.

Après ce brin de toilette, je retrouve mes collègues touristes dans la cour devant la maison. Il faut que je vous précise que la pièce principale de la maison étant très grande ouverte sur la cour, la distinction entre dedans et dehors est assez flou. Pi Loo est déjà occupé à aider la maîtresse de maison à préparer le repas. C’est une véritable mère pour nous, je vous le répète. Un des jeunes hommes de la maisonnée est en train de tapoter sur son ordinateur. Je m’approche donc pour observer d’un peu plus près cet objet traditionnel en faisant mine d’humer l’air chaud du soir. Le jeune homme lève la tête et, avec un sourire, me demande dans un très bon anglais de quel pays je viens. « France », réponds-je, et ce ne sera pas la dernière fois de mon séjour Vietnamien. Surprise, il me réponds dans un français un peu plus hésitant, « Dans quel ville ? ». Je suis bien obligé de lui avouer, et ça me coûte, que je suis Toulousain (même si je lui simplifie la compréhension en enlevant le « g » à la fin).

Nous engageons donc une longue conversation, tellement longue que je fini par m’asseoir à côté de lui sur une des chaises en plastique. Figurez-vous que ce jeune homme, et c’est là que je me dis que nous sommes vraiment peu de choses holistiquement parlant, venait de postuler pour une bourse auprès de l’ambassade de France afin d’effectuer une année d’étude en marketing à l’Université de Toulouse II. Oui, je sais, du marketing. Moi aussi ça m’a choqué. Il passe donc ses vacances tranquillement à attendre l’accord.

Alors que nous bavardons, un petit groupe s’est formé autour de Pi Loo du côté de la cuisine (qui n’est en réalité qu’une petite pièce nue donnant sur la cour avec un réchaud à gaz posé au sol). Je me rends compte tardivement que je viens de passer complètement à côté du cours de cuisine mais suis vite remis dans le bain lorsqu’on nous demande, moi et mon interlocuteur, de laisser nos places à la table pour l’atelier « roulage de nems ». Chacun notre tour, nous nous attaquons à cette tâche et je peux maintenant vous affirmer que je suis passé pro dans le domaine même si je ne sais toujours pas ce qu’il y avait dedans.

Les nems fini, il ne reste plus qu’à les faire cuire, ce que prend en charge la maîtresse de maison pendant que nous aidons maman Pi Loo à mettre les couverts. Le repas se passe tranquillement pendant lequel je fais un peu plus connaissance avec Kelly (que je subodore par rapport à ce qu’elle dit et ce qu’elle ne dit pas qu’elle est dans ce tour de l’Asie du sud-est à cause d’une rupture avec son copain à Bali) et le couple de Marseille (que je subodore être en vacances d’après ce qu’ils me disent assez explicitement) puis nous rangeons collégialement la vaisselle sale dans un bac en plastique. Ensuite, c’est quartier libre. Ah ! Une dernière information de la part de Pi Loo : le village étant un peu reculé, par économie d’énergie, il y a une coupure générale du courant à 22h30. Gé-nial ! Je n’ai jamais vu un village plongé dans le noir. Je récupère donc ma lampe frontale et part en ballade en suivant la rue principale.

L’ambiance est assez endormie et hormis quelques bars-karaoké vides et une sorte de bar du village en plein air qu’occupe une bande de jeunes (en scooter, forcément, on est au Vietnam), il n’y a pas beaucoup d’animation. Je déambule donc en m’éloignant de plus en plus de la maison dans des zones à l’éclairage public déjà de plus en plus rare. Je croise quelques formes pétaradantes puis d’autres couinantes, quelques enfants qui me lancent des « hellos ! » auquel je réponds car je suis poli, puis aperçoit la silhouette d’une pagode à droite. Devant, une forme humaine s’approche puis s’arrête à ma proximité. Tiens ? Je sort ma lampe frontale et je reconnais Kelly. Je ne suis donc pas le seul à vouloir expérimenter le noir total. On discute donc un peu et on reste là dans la nuit et le bruit des insectes, devant une pagode, à parler de l’Inde, deux occidentaux en ballade loin de chez eux.

Finalement, la jeune américaine décide de rentrer à la maison alors que j’insiste pour être pris au piège de la coupure générale, dans encore un peu plus d’une heure. Je me retrouve donc de nouveau seul en poussant encore plus loin. Les habitations deviennent de plus en plus espacées donc je décide de faire demi-tour pour retrouver un peu de civilisation, sinon la coupure n’aura aucun intérêt. Je repasse donc devant les jeunes, les bars-karaoké, où sont attablés quelques touristes, et assez rapidement retombe dans la brousse. Le village n’est pas non plus hyper grand mais est-ce une surprise. Je l’ai fait dans la longueur, je décide de tenter la largeur en prenant une rue à droite. Je passe devant des petites maisons où des habitants tentent de trouver le sommeil dans leur hamac, l’école, quelques hôtels bourrés de chinois qui parlent fort puis, de nouveau, la cambrousse.

Je refait demi-tour mais suis cette fois-ci interpellés par trois vietnamiens torses nus (et je les comprend) en train d’écluser des bières. L’ébriété déjà bien avancé, ils me parlent en vietnamien en me faisant de grands signes. Je m’approche d’eux en souriant, maîtrisant maintenant quasiment parfaitement la communication gestuelle. Késecé ? Il y a un problème ? Ils me font des signes que je ne comprends pas puis finalement un des trois pointe ma montre en me faisant un signe que j’identifie à « la mort » ou « la fin », qui sont synonymes dans mon langage des signes. Aaaaaah, vous voulez parler de l’extinction général des feux, c’est ça ?, réponds-je en désignant 22h30 sur ma montre. Ils acquiescent bruyamment. Mais qu’est-ce qu’ils sont sympas. Ils s’inquiètent pour moi. C’est y pas meugnon ? Ou alors il me prennent pour une nouille.

Je leur montre ma lampe frontale pour leur signifier que je suis prêt pour la fin du monde et du coup, fasciné par cette haute technologie (c’est quand une lampe LED), un des trois se la met autour de la tête suivant mes indications. Je l’allume même pour qu’il ne me la pète pas de frustration, c’est pour vous dire. Bon ceci dit, je commence à trouver le temps long jusqu’à la fin du monde. Il reste encore une petite heure. Si c’est comme ça l’apocalypse, on va tous crever d’ennui avant que ça arrive. Je repart donc vers la partie « animée » du village en faisant au revoir à mes trois poivrots (et en ayant récupéré ma frontale, bien sur) et me pose sur une table du café du village, à quelques mètres des jeunes. Il y en a bien un à ce rythme là qui va me lancer un « hello » et me donner un prétexte pour m’incruster et bénéficier d’encore plus de proximité avec l’habitant. Et bien même pas. Je suis resté à siroter ma Bia Hanoi pendant que les jeunes sirotaient la leur à côté en discutant paresseusement entre eux. C’est peut être des chinois. Je fini ma bière tout seul, dans ce village endormi, uniquement dérangé par le bruit des insectes et des télévisions. Les jeunes ont fini de partir par deux en scooter.

Ma bière fini, et avec encore une grosse demi-heure avant l’extinction du courant, je me rends et rentre à la maison. Finalement, il ne se passe pas grand chose dans ce village. Je retrouve mon chemin et tente d’ouvrir la grille de la cour. Fermé. A ben super les pantouflards. Il y a néanmoins de la lumière dans le séjour grand ouvert et un bruit de télévision. J’enjambe donc le muret et saute dans la cour. Oui, je fais le mur à l’envers, c’est ridicule, surtout en tong / claquette / schlappe / slache / gougoune. Nonchalamment, je rentre dans la maison et trouve Kelly sur le canapé en train de lire un livre pendant que la grand mère de la maisonnée est assise en tailleur sur un tapis derrière, concentrée sur une émission de télévision. Tout les autres se sont couchés.
« Vous n’attendez pas la coupure de courant, finalement ? », me demande Kelly. Je suis bien obligé de lui avouer que j’en avait marre d’attendre tout seul dans le village. Je m’approche donc discrètement de l’espace télévision pour voir ce qui peut bien captiver la grand mère.  Manifestement il s’agit d’un soap vietnamien. Bizarrement, bien que ne comprenant strictement rien, je reste scotché par ce spectacle sidérant. Au bout de quelques secondes, sentant ma présence, la grand mère se retourne et dans un grand sourire me propose une chaise à côté d’elle. Je la remercie et m’assois peut être un peu trop vite, les yeux toujours scotché sur l’écran, en essayant de trouver un moyen de demander par forces gestes à la grand mère pourquoi la petite brune en tailleur elle pleure et que fait ce connard à la coiffure stylée avec la petite brune à la courte jupe alors que manifestement il a une relation durable avec la petite brune aux longues jambes. Je suis un accro repenti à Santa Barbara donc je peut assez facilement replonger dans l’addiction.

Je reste donc un quart d’heure hypnotisé par la série pendant que régulièrement la grand mère me jette un sourire entendu. J’espère qu’elle ne pense pas que je saisi toutes les finesses des rebondissements scénaristiques. Je jette un œil de temps en temps à l’horloge, tendu à l’idée de voir ce soap interrompu par une bête coupure générale. Manifestement la grand mère à l’air totalement sereine. A 22h30, sur les nerfs, car le dénouement n’a toujours pas eu lieu à la télévision (on ne sait toujours pas qui appelait donc mystérieusement la grande brune aux yeux sournois), je demande avec des gestes et ma montre s’il ne devrait pas avoir une interruption électrique. L’ancienne me rassure avec d’autres gestes qui me certifient que ce ne sera pas avant 23h. Rhaaa, je ne tiendrai jamais jusque là. Soit mon cerveau va finir liquéfié par ce soap dont je ne comprends rien mais pourtant me fascine, soit je vais m’ennuyer à creuver dehors. Finalement, je craque et part me coucher discrètement en remerciant la grand mère qui me gratifie d’un dernier grand sourire. Kelly lève les yeux de son bouquin et me demande « Il n’y a pas de coupure de courant, finalement ? »
– Si, mais ils attendent la fin de l’épisode.

(suite au prochain épisode, justement)

Un tour organisé, deuxième partie : Bai Tu Long

Résumé des épisodes précédents : cinq françaises et deux espagnoles font tout pour tenter de saborder mon circuit trois jours et deux nuits à Bai Tu Long avec nuit chez l’habitant et cours de cuisine. Pendant ce temps là, notre guide Pi Loo parle très très fort dans son téléphone pour maintenir le programme à flot. Tapis dans l’ombre, un couple de Marseille est hyper discret. Cela cache-t-il quelque chose ?

Fin du générique.

Dans le programme des réjouissances, tel qu’inscrit sur le site web de l’agence Ethnic Travel, il y a noté, déjeuner et visite de la baie à bord d’une jonque. La grande classe. Depuis la première fois où j’ai vu « Les Tribulations d’un Chinois en Chine » avec Belmondo et Rochefort, j’ai toujours rêvé de monter sur une jonque avec leurs magnifiques voiles rouges en forme de nageoires de poisson.

Notre mini-bus arrive donc finalement à sa destination, une petite ville portuaire adossée à de doux reliefs calcaires, couverts de végétation, nettement moins touristique que le terminal d’Ha Long. La baie est parsemée de reliefs et d’îles escarpées, bouchant complètement la vue du large. Sous l’injonction de notre guide, tout le monde descend et récupère ses sacs à dos. Nous nous dirigeons à la queue le leu vers le port où je découvre une multitudes de bateaux en bois colorés en bleu, vert ou rouge. Mais aucune trace de voile. Damned. L’odeur marine et le bruit typique d’un port actif est bien sympathique, surtout après cinq heures en bus.

Notre bateau ne dépareille pas des autres. Tout en longueur, en bois peint d’un marron sombre presque sanguin, nous posons nos affaires dans la cabine centrale où nous apercevons une longue table basse en rotin entourée de chaises pliantes en bois. Tout ceci est fort sympathique, joli, agréable et sans être luxueux. Parfait. Mais il manque une voile, même s’il y a un mat.

Pendant que l’équipage appareille, nous nous retrouvons tous à la table autour de Pi Loo, une grande carte plastifiée des baies de Bai Tu Long et de Ha Long placées devant elle. Aaaah, le plan de bataille. Donc, pour votre culture personnelle, la légende raconte que les multiples îles des deux baies sont le produit d’un dragon qui les aurait craché pour protéger le Vietnam d’une attaque Chinoise, ainsi piégeant la flotte adverse dans un labyrinthe d’îles. La Chine est à environ 100km au nord. J’apprends même que « Long » veut dire dragon, Ha Long, maman dragon, et Bai Tu Long, fils dragon. Si c’est pas de l’information de premier choix, ça.

DSC_5557_DxOLa carte repliée, chacun se muni d’une boisson et vaque à ses occupations (qui se résume pour la plupart à se prélasser sur le pont avant, lunettes de soleil et tongue / schlappe / slache / gougoune – rayez les mentions inutiles – sur le corps généreusement oint de crème solaire), pendant que l’équipage et Pi Loo s’occupent de préparer le repas du midi. Pi Loo, c’est un peu notre maman dans cette histoire. « Okay, guys, time for lunch ! ». Et oui, avec notre Pipi, notre Loulou on est tous des « guys ». Nous retrouvons donc la table basse de la cabine les couverts mis, et nous installons pseudo-aléatoirement autour, les filles ensembles à droite, moi en face du couple de Marseille, Pi Loo à ma gauche et Kelly, végétarienne, isolée à tout point de vue quelque part au milieu de tout ces français. Je vous rassure. Il est parfaitement inutile que vous vous souveniez du plan de table car cela n’a aucune espèce d’importance pour la suite, hormis la présence de Pi Loo à ma gauche. Les plats arrivent alors au fur et à mesure, à la façon Vietnamienne, et nous nous trouvons rapidement submergés par cinq ou six mets différents. Pi Loo donne l’exemple et on commence par se servir en riz dans nos petits bols individuels avant d’aller piocher à droite à gauche (sauf chez son voisin).

Une fois un peu rassasiés, nous entamons un peu la conversation. Histoire de tenter d’amadouer notre guide et de lui faire vider son sac, je m’enquiers de cette incident avec les deux espagnoles et si elles ont finalement pu se faire payer leur taxi. Bien volubile, tout en s’envoyant des bouchées avec ses baguettes, elle nous raconte sa version des faits, ou, comment à l’hôtel des espagnoles, la barrière des langues à fait son effet. Les espagnoles avaient manifestement pas bien entendu « Ethnic Travel » et s’était raccroché à « Ha Long bay ». Je pense également que Pi Loo avait aussi un peu omis de demander leur nom ou de demander un reçu. Elle conclu que c’est la première fois que ça lui arrive. J’espère bien. En tout cas, même quand elle parle en anglais, Pi Loo, on a l’impression qu’elle nous engueule. Je crois que c’est au cours de ces premiers échanges qu’elle m’a donné son premier coup de poing dans mon épaule gauche (d’où l’importance du plan de table, finalement), signe que le ton était amical. Au passage je papote un peu avec le couple Marseillais.

On a bien mangé. Il y avait du poisson, du porc, de ces magnifiques boulettes de patate douce, des cubes de soja et du « water spinach ». Si en plus on ajoute l’ambiance doucement maritime, le soleil et le décor sympathique, ça augure de belles choses. Après ce repas, chacun retourne vaquer: lecture, bronzage (au troisième degré) sur le pont, contemplation béate du paysage (ça c’est moi, avec un peu de lecture des aventures de Richard Bolitho, histoire d’apprendre les termes marins et frimer avec l’équipage). Il faut dire qu’un petit bateau (mais quand même assez grand pour accueillir une douzaine de personnes) qui cahin-cahan, dans un ronronnement grave et la douce oscillation du clapot, avance dans un décor trois étoiles sous un grand ciel bleu , ça fait bien passer le temps. Aucun chouinement à constater en provenance « des filles », c’est pour vous dire.

Nous avançons donc doucement dans la baie de Bai Tu Long, longeant des collines rocailleuses couvertes d’une dense végétation d’où provient un bruit assourdissant d’insectes ou d’oiseaux. Ce n’est pas la baie d’Ha Long avec ces îles en forme de piliers mais n’importe DSC_5555_DxOquel pays serait déjà très heureux d’avoir ces paysages. On pourrait comparer cela à une ambiance de loch tropical en plus large. De temps en temps des petites îles isolées aux formes plus cylindriques nous donne un avant goût de la majestueuse Ha Long. Nous ne croisons que de très rares autres bateaux, quelques touristes mais pour l’essentiel des pêcheurs. De part en part Pi Loo, nous montre des élevages d’huîtres à quelques encablures de la terre avec la maison flottante attenante où vivent les éleveurs. La technique est radicalement différente de celle employée en France. De longues et épaisses tiges de bambou liées en grille, aidées par des bidons vides, flottent sur l’eau. A chaque point de cette grille, des cordelettes plongent dans l’eau avec une série de nœuds permettant aux huîtres de s’accrocher. Il suffit donc de lever une cordelette pour opérer une récolte. Notre guide nous explique que la culture de la perle occupe l’essentielle de l’élevage, le reste étant réservée pour la consommation des locaux et des éleveurs.

Après quelques heures d’une sereine navigation (j’avoue que le temps semble s’être arrêté), le bateau vient s’amarrer à un de ces caillebotis de bambous au milieu de l’eau. Pi Loo nous DSC_5554_DxOannonce en tapant des mains pour nous réveiller « Ok, now time for kayak ! ». Et oui, dans le programme il est prévu une petite séance de kayak de mer dans la baie. Moi, je suis bien chaud, à tout point de vue, donc un petit peu d’eau ne fera pas de mal. Les embarcations en question sont des bi-places sauf un mono-place unique. Manifestement Manon, des « filles », semble réticente et il faut quelques minutes d’encouragement et de pression de ses copines pour qu’elle accepte. En plus, elle hérite de moi en binôme, elle va pas se plaindre non plus ? Chacun son tour, on descend la courte échelle jusqu’au caillebotis où chacun tente maladroitement de se tenir droit, nu pied, sur des tiges de bambous larges comme des gros tubes de PVC (ça, c’est une image spécialement dédicacée à mon public plombier. Oui, car j’ai un lectorat chez les plombiers). Nous sommes d’autant plus ridicules que les deux pêcheurs locaux qui nous assistent se tiennent debout comme s’ils avaient fait ça toute leur vie. Ce qui est sans doute le cas, maintenant que vous me le dites.

Je me retrouve donc avec Manon, tout les deux engoncés dans nos gilets de sauvetage, muni de nos rames, moi derrière et elle devant. Je la sens un peu timide (c’est sur que dés qu’on n’est plus avec ses copines…) donc je l’invite à prendre en main le parcours. Moi, je me contente de ramer comme un sourd. Mais la timidité étant ce qu’elle est, je nous sentais parti dans un cercle vicieux de « non mais après vous, je vous en prit » et décide donc d’abréger nos souffrances respectives (une heure à rester au même endroit à deux mètres du bateau sous un soleil de plomb) en proposant de rejoindre une petite plage à trois cent mètres vers l’avant. Le coup de la plage, ça marche toujours, surtout qu’on était pas les seuls à l’avoir repérer. L’escadre entière de kayak se dirige comme des bateaux ivres dans sa direction.

Nous partons donc à la rame droit devant et je profite d’une certaine routine après le dixième coup de pagaie pour papoter avec mon pilote. Ce sont donc toutes des copines d’université de Montpellier qui viennent à peine d’arriver au Vietnam comme moi. Manon vient des environs de Colioure, terre de marins. J’ai donc confiance en cas de tempête. Ceci dit on a beau dire qu’on fait du kayak des mers, la baie de Bai Tu Long à cet endroit ressemble plus à un immense lac au paisible clapot qu’au grand large dans des creux de degré 4 à l’échelle de Beaufort.

Nous ne tardons pas à atteindre la plage, avant les deux autres bi-places des « filles », grâce à mon biceps droit. Oui, car nous avions la fâcheuse tendance de tirer vers la gauche. C’était très agaçant. Je suis particulièrement fier de moi car nous opérons un échouage de grande classe avec extraction très propre du kayak et remorquage de celui-ci sur quelques mètres en haut de la plage pour éviter qu’il se fasse emporter par le ressac. Toutes ces lectures des aventures de Richard Bolitho n’auront pas été vaines. Rapidement, les deux autres kayaks nous rejoignent et les « filles » se retrouvent de nouveau au grand complet, chacun paré de son magnifique gilet de sauvetage orange qui nous fait ressembler au bonhomme Michelin. Au fond de la petite plage, là où commencent les rochers et la jungle, j’aperçois un petit temple ou bien un autel, mais surtout à droite une petite maison. Un escalier y menant de la plage est occupé par une petite famille, à l’ombre du seul arbre aux alentours, qui nous observe, goguenards.

« Hello ! », lance-je dans leur direction en me dirigeant vers eux la paume en l’air en signe de paix. Je me place à l’ombre de l’arbre en articulant un « sin tchao » horrible qui ressemble plus à « sine cheu », autrement dit « bonjour », selon le Lonely Planet. Je me sens pendant une milliseconde tel Christophe Colomb découvrant la Dominique. Je suis ensuite submergé par un sentiment de ridicule dans mon accoutrement orange fluo. D’ailleurs, je le voit bien que je suis ridicule vu qu’ils n’arrêtent pas de sourire bêtement en me parlant dans une langue que je ne comprends pas. Je me retiens de leur lancer la célèbre réplique de Colomb, qui lui valu ensuite des siècles de moqueries, lorsqu’il rencontra pour la première fois des indigènes antillais :«C’est bien ici l’Inde? ». Mais j’étais complètement dans l’esprit. C’est fou comme un rien peu enflammer l’imagination ! En tout cas assez rapidement, le jeune père de famille m’invite avec un geste et un grand sourire à venir dans sa maison pour manger. Je décline poliment en leur faisant le signe universel « estomac bien rempli, moi plus faim ». Manquerait plus que je leur mange leur ration quotidienne alors qu’on venait de se lester le bide comme des goinfres.

Comme je venais de pacifier les indigènes, les cinq « filles » me rejoignent en échangeant des « hello » timides avec la petite famille qui les invite gentiment à s’asseoir à l’ombre avec eux, signe que ce sont vraiment des vietnamiens. Ils sont vraiment trop gentils. Un jour quelqu’un va en profiter pour leur déclarer la guerre, moi je vous l’annonce. Je me retire doucement, laissant les françaises avec leurs nouveaux amis qui ne tardent pas à les inviter à les prendre en photos. Moi c’est bon, j’en ai déjà profité en Inde. Plaisir d’offrir, c’est pour vous compatriotes.

Au bout de cinq minutes, nous quittons la famille de pêcheurs à grands renforts de « bye, bye » et de bras agités pour rejoindre nos embarcations. Nous reprenons donc la mer avec Manon, que je devine ravie de cette petite rencontre, au son plus enjoué et confiant de sa voix. Nous décidons donc de traverser le bras d’eau (au moins un bon kilomètre) pour rejoindre une très jolie île Ha Longuesque en face, si nous ne mourrons pas en route, emportés par un courant vers la Chine. Nous étions manifestement dans un état d’euphorie avancé. Des inconnus nous avaient dis bonjour, donc c’est que tout était possible dans ce vaste monde. A quoi ça tiens tout ça, je vous jure.

DSC_5568_DxOFinalement ces petits kayaks des mers tracent pas mal sur l’eau car nous opérons la traversée en deux temps, trois mouvement, une centaine de coups de rames (surtout à gauche, pour rattraper notre perpétuelle propension à vouloir virer bâbord) et quelques gouttes de sueur. Il fait chaud sur l’eau, malgré les embruns que je me projette maladroitement sur les bras avec mes rames. Au final, nous faisons donc un petit circuit bien sympathique et rejoignons le bateau au bout d’une petite heure fort sympathique. Chacun remonte à bord en tentant de se maintenir en équilibre sur le caillebotis. Pi Loo fait son compte, tout le monde est à bord, sauf Kelly. On lève la tête et on aperçoit un point vert et orange qui s’approche à la rame. Dommage, cela aurait fait une chouette anecdote à raconter. Il y en a qui font tout pour qu’un tour soit terne et inintéressant.

Le bateau reprend sa route, nous à son bord, agréablement fatigués en profitant du paysage superbe sous un soleil déclinant. Il nous reste encore une heure ou deux de bateau pour rejoindre l’île de Quan Lan où nous passerons la nuit chez l’habitant. Pendant ce temps là, le couple de Marseille est toujours aussi discret.

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(suite au prochain épisode)