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Dàn Klongput

C’est complètement fou ce qu’on peut apprendre comme trucs quand on voyage et qu’on est un brin curieux. En plus avec internet à disposition, on peut colmater les brèches et donner l’illusion d’une érudition encyclopédique. Lors de la visite au Temple de la Littérature à Hanoi, j’ai pu assister à un mini concert de musique traditionnelle vietnamienne. On n’était pas nombreux mais j’ai fait quelques découvertes étonnantes du côté des instruments.

En premier lieu, le célèbre dàn bau, cette sorte d’instrument mono corde aperçu lors du spectacle de marionnette aquatique. Je viens de lire un article dessus sur Wikipédia et je comprends mieux maintenant ma désagréable sensation de play-back. Cela viens de la façon dont l’instrument est joué. Ce serait trop long à expliquer mais disons que contrairement à ce que je pensais une note n’est pas « grattée » comme une guitare mais l’instrumentiste frotte régulièrement la corde pour qu’elle se mette à vibrer puis module la note avec le manche vertical. Comme la corde est extrêmement fine et tendue, et qu’en plus le mouvement de main sur la corde n’est pas en rythme avec les notes (forcément, ce n’est pas nécessaire) on a cette désagréable sensation lorsqu’on n’est pas initié, que le musicien nous pipeaute un peu.

Mais la grande découverte fut un instrument totalement novateur pour moi qui m’a littéralement scotché, moi et un autre américain, percussionniste de son état. A la fin du concert on s’est tout les deux dirigés vers l’instrument pour l’observer de plus prêt. J’ai même demandé son nom à une musicienne qui m’a répondu « colapou ». C’était totalement nul comme réponse car d’après internet le nom est plutôt « dàn kongput ». Rien à voir. Ou alors la prononciation du vietnamien écrit est vraiment particulièrement traître (ce qui est fort probable vu que c’est une langue tonale comme le chinois). Bref, laissez moi vous décrire l’instrument. Imaginez une flûte de pan géante (genre 1m50 de long), en bambou, placée horizontalement sur un support à hauteur de hanche. N’importe quel musicien non vietnamien tenterait de souffler dedans mais à moins d’avoir la bouche de Mick Jagger, l’échec sera cuisant ou résultera en un désespérant « pffffffffffffrrrrrrrrrrr ». Les joueurs de digeridoo auront sans doute l’idée de cracher dedans, les dégueulasses, mais je doute que l’effet soit concluant. Le secret pour animer cette instrument et de claquer des mains devant l’embouchure d’un des tubes, suivant la note que l’on souhaite jouer. Ce claquement de main complètement funky provoque une brusque injection d’air dans le tube et entraîne la vibration de la colonne d’air prisonnière du tube. C’est cette vibration que nous percevons alors comme un superbe contre ut : « clapffiouuuu ». Avouez que c’est complètement génial : le premier instrument hybride à vent – percussion.

Forcément, l’américain, l’esprit bricoleur, émit l’idée d’en fabriquer un chez lui avec des tubes de PVC. Moi j’étais déjà en train d’imaginer comment exciter l’engin autrement qu’avec un vulgaire claquement de main, dans l’ordre : un pétard, une caisse claire, une explosion de ballon de baudruche (pas très pratique pour des morceaux un peu long) ou des moyens corporels plus ou moins avouables. On est ainsi fait.

Les marionnettes sur l’eau

Il y a quelques mois je suis aller voir un documentaire au cinéma au sujet des vietnamiens envoyés en France pendant la seconde guerre mondiale pour remplacer la main d’œuvre française qui pendant ce temps là attendait les allemands sur la ligne Maginot. Très rapidement ils furent utilisé comme main d’œuvre bon marché par le régime de Vichy. La bonne blague bien douteuse, c’est qu’ils sont restés jusque dans les années 60 / 70 avant que la bureaucratie française se rappelle que ces gens existaient, pour être ensuite emmerdés par le régime Vietnamien qui les prenait pour des traîtres. Mais tel n’est pas le sujet de ce billet et je digresse une nouvelle fois. Il se trouve que dans cet excellent documentaire, la narration est parfois entre coupée de séquences de marionnettes racontant le supplice de ces gars dont la grande poésie est rehaussée par le fait que ces marionnettes se meuvent sur l’eau, actionnée en sous marin (ou presque) par des marionnettistes hydrophiles. Art ancestrale au Vietnam, d’après ce que j’ai lu, les séquences du documentaire étaient en plus magnifiquement filmées au ras de l’eau.

Je suis ressorti de ce film en ayant oublié dans la demi-heure les trois quarts des données géopolitiques et sociologiques mais en conservant une image très précise de ces séquences de marionnettes. A la première occasion, j’en parle donc de manière enthousiaste à mon référent vietnamien, m’sieur K.N. Tran de Saint Cloud, Hauts de Seine, qui, tout parisien qu’il est, me lâche un : « meuh c’est un truc pour touristes tes marionnettes sur l’eau ». Pfff, ce garçon n’a décidément pas conservé une âme d’enfant, là quelque part entre son aorte et son poumon gauche. Surtout qu’il y a une très jolie explication à la naissance de cette forme de théâtre puisqu’elle est apparue dans les villages pendant la saison des pluies où la plupart des endroits du village étaient inondés. Il n’y avait du coup plus d’autres possibilités pour se divertir avec les marionnettes que de tirer partie de cette abondance d’eau. Et là vous me dites : et pourquoi qu’y zont pas fait du water polo, plutôt ?

Je vous ignore.

Loin de me laisser déstabiliser par la remarque toute parisienne de mon référent, lors de mon deuxième après midi à Hanoi, je vais donc m’acheter un billet pour la représentation de 20h au théâtre Thang Long, juste en face du lac Hoan Kiem où une tortue magique sorti une épée dans l’eau, à moins que ce soit l’épée qui était magique. Je vous balance les anecdotes légendaires en vrac. Vous serez bien capable de les ranger. Un peu avant l’heure dite, j’arrive au théâtre en grande tenue de soirée : polo blanc de Mission Street, Pondichéry, pantalon « baroudeur » non repassé et chaussures de marche « poussière d’Inde » . C’est que ce soir on va au théâââtre. S’agit pas de venir habillé comme un plouc. Enfin, ceci dit, au vu des trois cars de touristes en short, T-Shirt, claquettes qui faisaient la queue, j’étais bien le seul à avoir des prétentions vestimentaires. Ça, c’est bien les touristes. On leur fout de l’art ancestrale dans le groin et ils te bouffent ça comme s’ils étaient au KFC.

A l’heure dite, nous entrons dans la salle où chacun est fermement enjoint à rejoindre sa place numérotée dans un petit théâtre en pente devant un petit plan d’eau en contrebas. A gauche du plan d’eau, en hauteur, des sièges, sans doute réservé aux musiciens. Car c’est également un spectacle musical et ça je ne le savions point. Réjouis toi, ô amateur d’art ancestral car tu pourras z’également festoyer de musique à la tradition millénaire.
Après quelques minutes d’attentes histoire de remplir la salle aux trois quarts, la lumière baisse soudainement, sans prévenir, sans même trois coups de cannes. Une poursuite s’allume sur l’espace des musiciens et cinq dames habillées en tenues traditionnelles (deux instrumentistes et trois choristes) s’assoient devant des instruments du même acabit. Je perçoit derrière elles, dans l’obscurité, le reste de la troupe de musiciens mais qui sont fâcheusement cachés à la vue de la grande majorité des spectateurs. Une des musiciennes se lève et nous présente en vietnamien le spectacle et la première fresque. Puis, une voix off en anglais fait de même.

Silence.

Musique et chant : «  Dziing goiiiin euh, maaaa teuuuh ééééé, kaaam iiii ngggheuuu, vaaa heuuu léé.»

Enfin un truc comme ça car je ne suis malheureusement pas encore fluent en vietnamien, mais en tout cas ça rimait rudement bien. A dire vrai, j’étais surtout concentré sur les deux instrumentistes de sexe féminin car passablement intrigué par une vague sensation global de décalage du son à l’image, sensation renforcé par la sonorisation électrique des instruments. Moi quand on joue de la musique, j’aime bien regarder ce que fait l’instrumentiste pour juger de sa maestria. Ça me permet de crier « olé » à point nommé. Là, je ne voudrais pas trop critiquer, mais une des instrumentistes joue d’un très joli instrument muni d’une unique corde avec un sorte de baguette à vibrato à un bout (grâce à Wikipedia, je peux vous annoncer que ça s’appelle un dan bau). Je ne remet pas en cause la qualité musicale de l’instrument mais son faible impact scénique car apercevoir une unique corde à vingt mètres dans un environnement faiblement éclairé comme un théâtre, il faut être bionique. On a alors une sensation très particulière d’assister à un spectacle de « air guitar ». Et surtout, j’ai drôlement l’impression qu’elle n’est pas du tout en rythme l’instrumentiste. Et même, si je puis me permettre d’être encore plus critique, je trouve l’arrangement diffusé dans les hauts parleurs diablement complexe pour deux instrumentistes en avant plan et trois autres en arrière plan dans l’obscurité, dont un ou deux qui se grattent le nez quand ils croient qu’on ne les voit pas. Donc bon, je ne jurerai de rien, mais la sensation étrange d’assister à un play-back persistera tout le spectacle.

Mais foin de la musique. Nous sommes venus ici pour s’éclabousser la rétine d’un sublime spectacle ancestrale de marionnettes sur l’eau. Sous de très jolis effets de lumière, de petites marionnettes de quarante centimètres de haut représentant des pêcheurs émergent du liquide et entament leur chorégraphie. Enfin, plus exactement, c’est ce que j’entraperçois entre la forêt de bras qui se s’est levé devant moi alors que deux cars de touristes décident au même moment que c’est une joyeuse bonne idée de mitrailler la scène au flash de leur appareil photos pourris, ruinant par la même occasion les subtiles effets d’éclairage. On ne peut pas leur en vouloir vu que le théâtre autorise, moyennant 20 kilo-dongs, l’usage des appareils photos et caméras et qu’en vacances les gens laissent leur dignité en garde chez leur voisin, avec le chat. Je me retrouve donc rapidement dans une ambiance de spectacle de fin d’année de maternelle où chaque parent tente de filmer son rejeton en levant bien haut son portable merdique, pourrissant par un effet concomitant le spectacle pour les autres de derrière. Il faudra un jour que quelqu’un décide d’envoyer tout ces touristes en camp de redressement pour leur expliquer que premièrement le flash, à vingt mètres, ça ne sert STRICTEMENT à rien hormis provoquer des crises d’épilepsie et que deuxièmement dans un théâtre il fait à peu près aussi sombre que dans ma narine gauche un soir de grippe (pour rester poli parce que sinon j’ai d’autres images mais ce rapportant plus à la partie terminale de mon tube digestif) ce qui augure très mal de la qualité de la photo malgré les 100 milliards de pixels de son iSamsung GTX Turbo.

Fort heureusement, au bout d’un certain temps, les crampes aidant, la forêt de bras retombe et je peux enfin me concentrer pleinement sur le travail de chorégraphie et la virtuosité des marionnettistes. J’en vient presque à regretter les bras levé car il faut bien avouer que la virtuosité n’est pas particulièrement au rendez vous. Marionnettes qui manquent de se rentrer dedans, alignement et synchronisation plus qu’approximatif, je suis loin d’être impressionné. Disons que c’est aussi attendrissant que de voir des enfants de trois ans d’âge essayer de réaliser une chorégraphie sans se percuter et si possible, ensemble. Seul un très joli tableau avec des marionnettes de jeune fille aux parasols roses m’arrache un petit « aaah, que c’est mignon ». Au passage, la forêt de bras repousse instantanément. Je ne suis pas le seul à trouver ça mignon.

Je surprend les musiciens et les choristes à se sourire entre eux. Au moins, ils s’amusent et cela fait plaisir à voir. On entend parfois même les marionnettistes s’interpeller derrière le rideau et je me retiens de chuchoter très fort « On vous entend les gars !!! ». Ils doivent être sourd à force d’être dans l’eau. Bref, au bout du quatrième tableau je commence sérieusement à me dire que le temps est long. J’ai donc tout loisir pour repenser à la sarcastique remarque de monsieur Tran, de Saint Cloud. Il m’énerve quand il a raison.

J’en étais là de mes réflexions (autant vous dire que j’avais pas mal décroché du spectacle) quand, entre deux tableaux, je vois deux spectateurs se lever et quitter la salle. Tout de suite, je jette un œil aux choristes, en première ligne, car je sais qu’il est toujours cruel de faire ça à un artiste. Manifestement, ça ne les atteint pas plus que ça et le spectacle enchaîne sur une nouvelle séquence toujours aussi touchante d’approximations. Je me reconcentre dessus pour montrer que je me désolidarise totalement de ces goujats qui ne respectent pas le travail d’artistes renommés (oui, car plusieurs des marionnettistes ont le titre de « maître marionnettiste ». Ça en impose) lorsqu’au milieu du tableau, trois touristes chinois se lèvent et quittent la salle sans effort particulier de discrétion. Là, c’est vraiment insultant et je note qu’une des choristes est un peu meurtrie. Quelle bande de connards ! Bon certes, le spectacle est pas génial mais pour 100 kilo-dongs, ce n’est pas non plus la ruine. Et en plus c’est loin d’être « Le Soulier de Satin » car au bout de quarante cinq minutes on en était déjà au tableau final avec présentation des marionnettistes dans un joyeux refrain digne de Broadway et sous les applaudissements mécaniques et tièdes des spectateurs.

Au moins, les artistes avaient l’air d’être satisfaits d’eux même et se lançaient des sourires voir des rires. Quand je vous disais que les vietnamiens sont tout le temps souriant. Bon ceci dit, les gars, s’agirait pas non plus de se fendre la poire en permanence, hein ? Il y a des moments pour tout. Des fois il faut être sérieux quand on est devant cent personnes venu des quatre coins du monde pour assister à un spectacle ancestrale.

En ressortant, déçu, je me suis souvenu qu’ils en étaient à leur quatrième représentation de la journée. La prochaine fois, s’il y a, j’essaierai d’aller les voir à la première représentation matinale en espérant qu’ils seront bien reposés pour voir s’il y a du progrès. Mais je veux surtout croire qu’il ne s’agit pas d’une troupe et d’un spectacle d’élite mais un aimable spectacle à la chaîne pour touristes. Sinon, il faudra sérieusement remettre en question l’intérêt de l’eau dans tout ça. Ou alors surenchérir et proposer un spectacle de marionnettes sur boue.

Se sustenter

J’ai une grande nouvelle à vous annoncer. Après un mois d’entraînement à la dure, je suis parvenu à descendre ma consommation d’eau à deux litres par jour. Une réduction drastique d’un tiers, on ne pourra pas dire après ça que je ne fait pas d’effort pour la planète. Inutile de vous mentir, il y a une deuxième explication à ça. Je mange relativement liquide le midi et le soir.

Au Vietnam, comme je suppose dans beaucoup d’autres endroits en Asie, on se nourrit assez souvent de soupes et surtout de grands plats de nouilles de riz arrosés d’un bouillon. Il y en a deux sortes : le phở (incorrectement prononcé « fa » par moi même) et le bún (prononcé aussi salement par votre serviteur « boune »). Ne me demandez pas de vous expliquer la différence entre les deux car après plus de deux semaines, je ne parviens pas à les discerner. Je sens que ça va hurler dans les chaumières franco-vietnamiennes. Mon référent vietnamien, monsieur K.N. Tran (inutile que je donne son nom complet. Je ne suis pas là pour faire de la pub à un fumeur de cigare), à cette question me répondit avec son doux accent de Saint Cloud, Hauts de Seine, « ben t’as qu’à essayer les deux de suite et tu verras la différence ! ». A cette remarque mi-sarcastique, on devine qu’il est beaucoup plus parisien que vietnamien. Je fit donc une étude comparative en allant deux soirs de suite au même endroit en demandant un bun bô (c’est à dire un bun au bœuf) le premier soir et un pho (fa) bô le deuxième. Résultat : match nul. Ou alors si vraiment on cherche la petite bête, le bun a des pâtes rondes et le pho (fa) des pâtes plates mais quelque chose me dit que c’était une pure circonstance d’approvisionnement.

La bonne nouvelle c’est que bun ou pho (fa) sont également délicieux à mes papilles usées par un mois d’épices. J’ai une petite préférence émue pour le bun bô car ce fut le premier plat vietnamien pris à Hanoi le soir de mon arrivée et il était particulièrement bon. Et pas trop cher. Pensez que pour 30-50 kilo-dongs suivant l’endroit, vous avez un grand (très grand) bol de pâtes arrosé d’un bouillon (mais ça, vous le sauriez si vous lisiez attentivement), avec des éclats de cacahuètes suivant l’endroit et surtout aromatisé aux herbes. Là plupart du temps, on vous met également à disposition des quartiers de petits citrons verts, des pousses de soja et une assiette d’herbes et de plantes pour aromatiser encore plus à votre convenance. Les plus sadiques fournissent également des petits piments rouges à l’aspect terriblement menaçant dont j’évite de croiser le regard.

Pour moi, le secret et la jouissance d’un bon bun bô (très belle allitération en « b ») ou d’un pho (fa) réside dans ces fameuses herbes qui parfument subtilement le plat. Ça change du tapis de bombes des épices indiens. A ce propos, il est fort probable que je m’appuie sur des images de guerre et de bombardement tout au long de ces billets sur le Vietnam. Je vous jure que c’est inconscient. C’est vous qui avez l’esprit mal tourné. Manger un pho (fa) ou un bun (boune) c’est redécouvrir le plaisir du goût, de discerner de nouveau chaque petit composant d’un plat et de savourer l’alliance du liquide, du croquant et du mou. On est vraiment dans une tout autre école esthétique et culinaire plus proche de mon penchant naturel pour le zen où le moins et le mieux. Laissons parler les ingrédients en harmonie au lieu de les mélanger brutalement dans une boue piquante. Je dis ça, mais j’aime toujours le curry de banane que fait ma sœur.

Mais qu’ont-elles ces herbes pour provoquer en moi tout cet émoi ? Point d’interrogation. C’est une symphonie douce et subtile d’anisé, de citronné, de ciboulette ou d’oignons, voilà ce qui provoque la chose. C’est toute cette fraîcheur végétale qui vient transformer ce qui n’est après tout, si on veut être méchant, qu’un bête plat de noodles instantanées. Hors je ne souhaite pas l’être, méchant. Les vendeuses de pho (fa) et de bun (boune), bien que rarement souriantes, connaissent leur boulot et c’est toujours un plaisir de les voir saisir les morceaux de bœuf ou de porc dans un wok, de les jeter dans le bol pour ensuite les ébouillanter d’un bouillon, de les étouffer d’un entrelacs de pâtes brûlantes (je vous averti qu’il vaut mieux éviter de laisser choir une pâte sur la jambe alors que le plat vient juste de vous être servi. C’est d’une douleur atroce, collante et persistante), pour finalement y jeter une poignée d’herbes préalablement hachées.

A ce propos, lorsqu’on vous dit « pho au poulet » ou « pho au porc », il faut prendre cela au pied de la lettre. Si vous êtes particulièrement malchanceux ce jour là (mauvais karma à force de critiquer la cuisine indienne), il est possible que vous vous retrouviez avec un pho (fa) ou un bun (boune) contenant que des os, peau ou gras de porc. Ne soyez pas de mauvaise foi, personne ne vous a dit que c’était un pho (fa) à la VIANDE de porc. Satané touriste, va. Fort heureusement les probabilités sont faibles pour que la totalité du porc ou du poulet soit des abats. Ou alors vous avez été particulièrement désagréable avec la vendeuse.

Les cuistres de Hué et de la région centrale du Vietnam, eux, dans un excès baroque y ajoutent un soupçon d’épice piquant. Si c’est pas foutre en l’air un plat, ça ? Est-ce qu’on rajoute de la dorure à une calligraphie japonaise ? Foutez moi le camp avec ça. Il faut dire qu’ils font pousser des petits piments rouges (ceux à l’aspect belliqueux) à côté des rizières et plants de cacahuètes. Ce serait con de les jeter.

Lorsque vous avez la chance d’être dans un groupe avec un vietnamien (par exemple, un guide) qui peut dialoguer efficacement avec un restaurateur (à supposer que ce soit un vrai restaurant et non pas des petites échoppes comme précédemment pour le pho et le bun), vous aurez sans doute l’occasion de goûter à un vrai repas familial constitué d’une multitudes de mets disposés au centre. Muni de votre petit bol attitré et de vos baguettes (je constate d’ailleurs que la très grande majorité des touristes occidentaux maîtrisent les baguettes, ce qui doit être profondément désolant pour les asiatiques qui devaient bien se marrer il y a trente ans), vous faites le plein de riz dans le plat adéquate puis allez picorer à droite et à gauche. C’est très convivial sauf quand il ne reste qu’une seule de ces délicieuses boulettes de patate douce. Dans ce cas, tels les cerfs en période de rut, vous êtes bon pour un combat de baguette. Invariablement dans ces repas on vous sert du « water spinachs », épinard d’eau une fois traduit en français. Je ne sais pas si ce sont véritablement des épinards mais en tout cas, doucement relevé à l’ail, c’est très agréable et frais. C’est lors de ce type de repas que l’on sent nettement l’influence chinoise sur la cuisine vietnamienne.

Pour finir sur cette note culinaire (qui doit être un de mes sujets favoris avec le transport. Comme quoi voyager se résume à se déplacer, bouffer et dormir), parlons d’un sujet qui fâche. Au détour d’une ballade à pied dans Hanoi, je suis interpellé par une série d’étals de bouchers servant toutes de curieuses carcasses rôties. Ce pourrait être des petits cochons de lait si ce n’était leur dentition munie de proéminentes canines ainsi qu’un museau beaucoup plus allongé. Je ne suis pas vétérinaire, mais je crois reconnaître un corps de chien qu’en j’en vois un. Quelques jours plus tard, alors que je séjournais dans un endroit un peu plus reculé du centre du pays, je constate nombres de chiens dans les campagnes mais tous d’une taille moyenne et d’un âge relativement jeune. Un peu curieux, et sentant une relation de causalité entre la jeunesse des chiens et une possible consommation de leur chair, je pose donc la question à une guide. Loin d’infirmer la chose elle me raconta que la ferme où je résidait avait effectivement vu trois de leurs sept chiots disparaître avant d’ajouter : « ici, quand les gens ont faim, ils mangent de tout ».

Voilà. Amis des chiens, vous savez à quoi vous en tenir maintenant. En ce qui me concerne, un doute permanent m’étreint. Lors d’un repas organisé par un guide nous avons mangé une chair délicieuse. Celle-ci à notre question sur sa nature nous répondit « dog » suivit quelques secondes plus tard par « no, its joke ». Hahaha. Je crois que j’en ai repris.

C’est dingue le dong

Au revoir les roupies et bonjour les dongs. Oui, la monnaie vietnamienne s’appelle le « dong ». Quel joli son. On imagine des pièces de trente centimètres de large en bronze épais. Mais point du tout. Ce sont de bêtes billets portant l’effigie de l’oncle Hô qui ont la fâcheuse tendance à tous se ressembler.

Ce qui est extrêmement amusant c’est que, tel le mark de la république de Weimar, il se distribue par milliers. Avec un dong, on peut acheter à peu prêt rien du tout car ça ne vaut pas tripette. Avec mille dongs, on peut éventuellement payer la dame pipi afin qu’elle vous laisse vous soulager l’estomac en paix. Mais seulement dans des toilettes de campagne. En ville, c’est deux mille dongs. Pour dix mille dongs on peut espérer, si on se démerde bien, acheter une petite bouteille d’eau minérale. Pour cent mille dongs, on peut se restaurer d’un bon plat de rue et d’une bière. Finalement pour un million de dongs, on est à l’abri pour une bonne semaine à l’hôtel.

Ce que je trouve étonnant, c’est que si je décide d’arrêter de compter en dongs et que je remplace ça par le kilo-dong, on obtient quasiment les mêmes ordres de grandeurs que pour les roupies en Inde : une petite bouteille d’eau minérale pour 10 roupies / kilo-dongs, un plat avec une bière pour 100 roupies / kilo-dongs, etc. Elle est pas simple la vie, comme ça ?

Remarquez, ça m’aide pas plus pour reconnaître les billets, avec tout ces zéros. Je confonds constamment le billet de 10000 et celui de 100000 ou le 1000 avec le 10000. Faut dire qu’à partir de cinq zéros mon cerveau doit traduire ça en « beaucoup de zéros » et estime automatiquement que c’est le bon billet suivant le contexte. Fort heureusement, dans ces cas là, les vietnamiens que j’ai croisé jusqu’ici ont l’extrême bonté de me ré-apprendre à compter en base 10 ou bien me montrent carrément le bon billet avec un sourire (toujours) patient.

Mais le plus beau dans toute cette histoire, c’est que malgré le statut de pays en développement octroyé à leur pays, et bien la plupart des vietnamiens son millionnaires. Et c’est peut être ça qui les fait sourire.

Mais souriez mon vieux!

Je suis extrêmement sensible aux sourires. J’y peux rien, quand quelqu’un me sourit, ça me le rend drôlement sympathique. Inversement, toute personne me tirant une tronche se rend aussi insignifiant qu’un insecte à mes yeux. Tout ça est sans doute d’une grande évidence pour tout le monde, mais on oubli souvent à quel point cela peut tout changer dans les rapports humains.

Fort heureusement, la plupart des vietnamiens croisés à Hanoi sourient. Par exemple, les jeunes gens de mon hôtel à Hanoi sourient tout le temps. Il sont sacrément doués car leurs sourires semblent francs. Du coup, moi, je sourit aussi. On se sourit. On n’arrête pas. Voici vos clés, sourire. Merci, sourire. A quelle heure ferment les musées, sourire ? A quatorze heure, sourire. C’est complètement dingue. Encore une fois (et ça va vraiment être une habitude, j’en suis navré), j’en avais été un peu sevré en Inde (même si j’en avais eu, mais pas autant). Même les gens un peu âgés s’y mettent. Lors d’un voyage en train, la grand mère de la famille avec qui je partageai les couchettes (je vous raconterai bientôt) se marraient en permanence et n’était pas la dernière pour me sourire. Ils sont tous drogués ou alors ils sont véritablement heureux. Attention, ce n’est bien entendu pas l’unanimité. Si vous commandez un pho (pronocez « fa », mais j’en parlerai une prochaine fois) dans un petit restaurant de rue qui sert un client toutes les deux minutes, vous n’aurez probablement pas le soupçon d’une esquisse d’un. Mais si vous dites « non » à un xe om qui vous lance un « motobaïque ? », il se peut qu’il vous sourit, même parfois, si vous n’en avez pas au préalable esquissé un. Il faut dire que ce refus lui permet de se remettre en position de sieste ou de discuter avec ses potes. Il y a de quoi être heureux.

Plus dingue encore, là où en Inde la majorité des gens des villes, prisonniers de leur vision holistique sans doute, abordent un visage neutre voir un peu triste (mais moins qu’à Paris, certes), il est fréquent de croiser des gens qui se marrent dans les rues d’Hanoi. Oui, non seulement on sourit ici, mais en plus, on rigole. On a la déconne facile. Qu’est ce que ça fait du bien. Du coup il m’arrive de plaisanter avec les vendeuses de bananes et de colifichets (c’est essentiellement du comique visuel), et on rigole. Parfois c’est la vendeuse de ticket de bus qui me fait une blague en me faisant mine de ne pas me rendre la monnaie, en rigolant. Ha, ha, ha. Là, je rigole à moitié. Ou alors la guide qui dit à tout le monde que j’ai 45 ans en ajoutant tout de suite après, en français dans le texte « c’est bonneuh blagh, Olivia », en souriant et en me bourrant l’épaule d’un petit jab du droit.

Oui, car voici un autre aspect des vietnamiens que je ne connaissais pas : ils sont très tactiles. Encore une fois, en Inde, on se touchait les corps plus par promiscuité ou par distance d’intimité réduite, et hormis cela, rien. Des histoires courent comme quoi certaines touristes se font toucher par des hommes indiens, mais je doute que l’on puisse mettre cela sur le même plan. J’ai été un peu surpris les premières fois où un vietnamien m’a pris le bras ou quand notre guide m’a foutu une grande tape dans le dos. Il n’est pas rare de voir une jeune femme tenter de placer un coup de pied aux fesses de sa copine, en se marrant toutes les deux comme des baleines ou bien de voir un homme taper amicalement la cuisse de son camarade en s’esclaffant comme un pendu. On pourrait presque être à Marseille, époque Marcel Pagnol. Cette sensation provençale est encore renforcée par la chaleur, les cigales (et oui) et une certaine nonchalance virant à la sieste entre midi et quatorze heures (mais ça, c’est pour un autre billet).

De temps en temps, vous tombez sur un indigène qui tire la tronche mais il est tellement en minorité que ça devient anecdotique. Non, non. J’ai l’impression qu’au Vietnam, on se marre. C’est la poilade 24/24, 7/7. En tout cas, dans les villes et, en tout cas, à Hanoi. Après vingt années de guerre et dix ans de dynamisme économique, c’est totalement légitime, mais quelle belle leçon de vie. Si ça se trouve ils se marraient également pendant la guerre, mais là, j’ai un doute. Il y a sans doute du avoir un grand éclat de rire après Dien Bien Phu et un autre après la fuite précipité des américains, mais c’était plus nerveux qu’autre chose.

Vous allez me dire : oui, c’est le rire asiatique qui est à la fois poli, gêné est un peu hypocrite. C’est sans doute vrai pour certains employés d’hôtels quand vous leur demandez pour la deuxième fois à quelle heure part le bus et qu’ils ne comprennent pas, mais je l’affirme, la plupart du temps c’est vraiment des sourires sympathiques et des rires francs. Ou alors c’est que je suis sous LSD. Depuis dix jours. Ce qui me permet de l’affirmer (pas que je suis sous LSD mais que les vietnamiens ont de l’humour) c’est que, premièrement, la plupart des jeunes vietnamiens parlent au minimum un peu anglais et surtout, avec un accent que je comprends mieux (donc il ne peut s’agir d’un rire gêné ou poli). Deuxièmement, tout ce que je dis, je l’affirme en observant les rapports qu’ont les vietnamiens entre eux.

Et puis j’ai une autre preuve irréfutable, malheureusement destiné aux cinéphiles anglophones, que j’ai glané pas plus tard que hier soir dans un bar : un tableau d’un artiste vietnamien représentant un boudha respirant ses mains avec en arrière plan des hélicoptères de l’armée américaine en contre-jour sur un gigantesque soleil rouge couchant. Sur le tableau une inscription : « I love the smell of mypalm in the morning – Apocalypse Now ».

Moi ça m’a fait marrer.