Il y a quelques mois je suis aller voir un documentaire au cinéma au sujet des vietnamiens envoyés en France pendant la seconde guerre mondiale pour remplacer la main d’œuvre française qui pendant ce temps là attendait les allemands sur la ligne Maginot. Très rapidement ils furent utilisé comme main d’œuvre bon marché par le régime de Vichy. La bonne blague bien douteuse, c’est qu’ils sont restés jusque dans les années 60 / 70 avant que la bureaucratie française se rappelle que ces gens existaient, pour être ensuite emmerdés par le régime Vietnamien qui les prenait pour des traîtres. Mais tel n’est pas le sujet de ce billet et je digresse une nouvelle fois. Il se trouve que dans cet excellent documentaire, la narration est parfois entre coupée de séquences de marionnettes racontant le supplice de ces gars dont la grande poésie est rehaussée par le fait que ces marionnettes se meuvent sur l’eau, actionnée en sous marin (ou presque) par des marionnettistes hydrophiles. Art ancestrale au Vietnam, d’après ce que j’ai lu, les séquences du documentaire étaient en plus magnifiquement filmées au ras de l’eau.
Je suis ressorti de ce film en ayant oublié dans la demi-heure les trois quarts des données géopolitiques et sociologiques mais en conservant une image très précise de ces séquences de marionnettes. A la première occasion, j’en parle donc de manière enthousiaste à mon référent vietnamien, m’sieur K.N. Tran de Saint Cloud, Hauts de Seine, qui, tout parisien qu’il est, me lâche un : « meuh c’est un truc pour touristes tes marionnettes sur l’eau ». Pfff, ce garçon n’a décidément pas conservé une âme d’enfant, là quelque part entre son aorte et son poumon gauche. Surtout qu’il y a une très jolie explication à la naissance de cette forme de théâtre puisqu’elle est apparue dans les villages pendant la saison des pluies où la plupart des endroits du village étaient inondés. Il n’y avait du coup plus d’autres possibilités pour se divertir avec les marionnettes que de tirer partie de cette abondance d’eau. Et là vous me dites : et pourquoi qu’y zont pas fait du water polo, plutôt ?
Je vous ignore.
Loin de me laisser déstabiliser par la remarque toute parisienne de mon référent, lors de mon deuxième après midi à Hanoi, je vais donc m’acheter un billet pour la représentation de 20h au théâtre Thang Long, juste en face du lac Hoan Kiem où une tortue magique sorti une épée dans l’eau, à moins que ce soit l’épée qui était magique. Je vous balance les anecdotes légendaires en vrac. Vous serez bien capable de les ranger. Un peu avant l’heure dite, j’arrive au théâtre en grande tenue de soirée : polo blanc de Mission Street, Pondichéry, pantalon « baroudeur » non repassé et chaussures de marche « poussière d’Inde » . C’est que ce soir on va au théâââtre. S’agit pas de venir habillé comme un plouc. Enfin, ceci dit, au vu des trois cars de touristes en short, T-Shirt, claquettes qui faisaient la queue, j’étais bien le seul à avoir des prétentions vestimentaires. Ça, c’est bien les touristes. On leur fout de l’art ancestrale dans le groin et ils te bouffent ça comme s’ils étaient au KFC.
A l’heure dite, nous entrons dans la salle où chacun est fermement enjoint à rejoindre sa place numérotée dans un petit théâtre en pente devant un petit plan d’eau en contrebas. A gauche du plan d’eau, en hauteur, des sièges, sans doute réservé aux musiciens. Car c’est également un spectacle musical et ça je ne le savions point. Réjouis toi, ô amateur d’art ancestral car tu pourras z’également festoyer de musique à la tradition millénaire.
Après quelques minutes d’attentes histoire de remplir la salle aux trois quarts, la lumière baisse soudainement, sans prévenir, sans même trois coups de cannes. Une poursuite s’allume sur l’espace des musiciens et cinq dames habillées en tenues traditionnelles (deux instrumentistes et trois choristes) s’assoient devant des instruments du même acabit. Je perçoit derrière elles, dans l’obscurité, le reste de la troupe de musiciens mais qui sont fâcheusement cachés à la vue de la grande majorité des spectateurs. Une des musiciennes se lève et nous présente en vietnamien le spectacle et la première fresque. Puis, une voix off en anglais fait de même.
Silence.
Musique et chant : « Dziing goiiiin euh, maaaa teuuuh ééééé, kaaam iiii ngggheuuu, vaaa heuuu léé.»
Enfin un truc comme ça car je ne suis malheureusement pas encore fluent en vietnamien, mais en tout cas ça rimait rudement bien. A dire vrai, j’étais surtout concentré sur les deux instrumentistes de sexe féminin car passablement intrigué par une vague sensation global de décalage du son à l’image, sensation renforcé par la sonorisation électrique des instruments. Moi quand on joue de la musique, j’aime bien regarder ce que fait l’instrumentiste pour juger de sa maestria. Ça me permet de crier « olé » à point nommé. Là, je ne voudrais pas trop critiquer, mais une des instrumentistes joue d’un très joli instrument muni d’une unique corde avec un sorte de baguette à vibrato à un bout (grâce à Wikipedia, je peux vous annoncer que ça s’appelle un dan bau). Je ne remet pas en cause la qualité musicale de l’instrument mais son faible impact scénique car apercevoir une unique corde à vingt mètres dans un environnement faiblement éclairé comme un théâtre, il faut être bionique. On a alors une sensation très particulière d’assister à un spectacle de « air guitar ». Et surtout, j’ai drôlement l’impression qu’elle n’est pas du tout en rythme l’instrumentiste. Et même, si je puis me permettre d’être encore plus critique, je trouve l’arrangement diffusé dans les hauts parleurs diablement complexe pour deux instrumentistes en avant plan et trois autres en arrière plan dans l’obscurité, dont un ou deux qui se grattent le nez quand ils croient qu’on ne les voit pas. Donc bon, je ne jurerai de rien, mais la sensation étrange d’assister à un play-back persistera tout le spectacle.
Mais foin de la musique. Nous sommes venus ici pour s’éclabousser la rétine d’un sublime spectacle ancestrale de marionnettes sur l’eau. Sous de très jolis effets de lumière, de petites marionnettes de quarante centimètres de haut représentant des pêcheurs émergent du liquide et entament leur chorégraphie. Enfin, plus exactement, c’est ce que j’entraperçois entre la forêt de bras qui se s’est levé devant moi alors que deux cars de touristes décident au même moment que c’est une joyeuse bonne idée de mitrailler la scène au flash de leur appareil photos pourris, ruinant par la même occasion les subtiles effets d’éclairage. On ne peut pas leur en vouloir vu que le théâtre autorise, moyennant 20 kilo-dongs, l’usage des appareils photos et caméras et qu’en vacances les gens laissent leur dignité en garde chez leur voisin, avec le chat. Je me retrouve donc rapidement dans une ambiance de spectacle de fin d’année de maternelle où chaque parent tente de filmer son rejeton en levant bien haut son portable merdique, pourrissant par un effet concomitant le spectacle pour les autres de derrière. Il faudra un jour que quelqu’un décide d’envoyer tout ces touristes en camp de redressement pour leur expliquer que premièrement le flash, à vingt mètres, ça ne sert STRICTEMENT à rien hormis provoquer des crises d’épilepsie et que deuxièmement dans un théâtre il fait à peu près aussi sombre que dans ma narine gauche un soir de grippe (pour rester poli parce que sinon j’ai d’autres images mais ce rapportant plus à la partie terminale de mon tube digestif) ce qui augure très mal de la qualité de la photo malgré les 100 milliards de pixels de son iSamsung GTX Turbo.
Fort heureusement, au bout d’un certain temps, les crampes aidant, la forêt de bras retombe et je peux enfin me concentrer pleinement sur le travail de chorégraphie et la virtuosité des marionnettistes. J’en vient presque à regretter les bras levé car il faut bien avouer que la virtuosité n’est pas particulièrement au rendez vous. Marionnettes qui manquent de se rentrer dedans, alignement et synchronisation plus qu’approximatif, je suis loin d’être impressionné. Disons que c’est aussi attendrissant que de voir des enfants de trois ans d’âge essayer de réaliser une chorégraphie sans se percuter et si possible, ensemble. Seul un très joli tableau avec des marionnettes de jeune fille aux parasols roses m’arrache un petit « aaah, que c’est mignon ». Au passage, la forêt de bras repousse instantanément. Je ne suis pas le seul à trouver ça mignon.
Je surprend les musiciens et les choristes à se sourire entre eux. Au moins, ils s’amusent et cela fait plaisir à voir. On entend parfois même les marionnettistes s’interpeller derrière le rideau et je me retiens de chuchoter très fort « On vous entend les gars !!! ». Ils doivent être sourd à force d’être dans l’eau. Bref, au bout du quatrième tableau je commence sérieusement à me dire que le temps est long. J’ai donc tout loisir pour repenser à la sarcastique remarque de monsieur Tran, de Saint Cloud. Il m’énerve quand il a raison.
J’en étais là de mes réflexions (autant vous dire que j’avais pas mal décroché du spectacle) quand, entre deux tableaux, je vois deux spectateurs se lever et quitter la salle. Tout de suite, je jette un œil aux choristes, en première ligne, car je sais qu’il est toujours cruel de faire ça à un artiste. Manifestement, ça ne les atteint pas plus que ça et le spectacle enchaîne sur une nouvelle séquence toujours aussi touchante d’approximations. Je me reconcentre dessus pour montrer que je me désolidarise totalement de ces goujats qui ne respectent pas le travail d’artistes renommés (oui, car plusieurs des marionnettistes ont le titre de « maître marionnettiste ». Ça en impose) lorsqu’au milieu du tableau, trois touristes chinois se lèvent et quittent la salle sans effort particulier de discrétion. Là, c’est vraiment insultant et je note qu’une des choristes est un peu meurtrie. Quelle bande de connards ! Bon certes, le spectacle est pas génial mais pour 100 kilo-dongs, ce n’est pas non plus la ruine. Et en plus c’est loin d’être « Le Soulier de Satin » car au bout de quarante cinq minutes on en était déjà au tableau final avec présentation des marionnettistes dans un joyeux refrain digne de Broadway et sous les applaudissements mécaniques et tièdes des spectateurs.
Au moins, les artistes avaient l’air d’être satisfaits d’eux même et se lançaient des sourires voir des rires. Quand je vous disais que les vietnamiens sont tout le temps souriant. Bon ceci dit, les gars, s’agirait pas non plus de se fendre la poire en permanence, hein ? Il y a des moments pour tout. Des fois il faut être sérieux quand on est devant cent personnes venu des quatre coins du monde pour assister à un spectacle ancestrale.
En ressortant, déçu, je me suis souvenu qu’ils en étaient à leur quatrième représentation de la journée. La prochaine fois, s’il y a, j’essaierai d’aller les voir à la première représentation matinale en espérant qu’ils seront bien reposés pour voir s’il y a du progrès. Mais je veux surtout croire qu’il ne s’agit pas d’une troupe et d’un spectacle d’élite mais un aimable spectacle à la chaîne pour touristes. Sinon, il faudra sérieusement remettre en question l’intérêt de l’eau dans tout ça. Ou alors surenchérir et proposer un spectacle de marionnettes sur boue.