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Aera Ra

Je veux pas partir.

Enfin, si.

Aarrh, j’sais plus.

Je suis à la fois en pleine empathie pour des gens comme Paul Gauguin et Jacques Brel qui ont choisi de finir leur vie sur des îles polynésiennes tout en étant impatient de passer à autre chose. Je crois bien que j’ai fait le tour du lagon même si j’ai adoré cette vie nonchalante. Si j’avais eu la chance de rester au Paradise Inn et de rencontrer finalement plus de monde, le départ aurait-il était encore plus difficile ?

C’est donc avec un mélange confus de nostalgie et d’anticipation que je me retrouve le soir vers 11h30 au petit aéroport international, attendant mon dernier vol Air New Zealand pour Los Angeles. Signe qui ne trompe pas, lorsque la gérante du Muri Beach Resort m’a demandé l’heure de mon départ dont je ne me souvenait pas, il m’a suffit que je lui dise que je partais vers Los Angeles pour qu’elle me réponde d’un air experte : « Ah oui, le vol de minuit d’Air New Zealand ». Comme dans les petites villes secondaires, les vols sont assez rares pour être notables.

En tout cas, un dernier repas au restaurant / bar d’en face, de l’autre côté de cette petite artère circulaire et je n’ai plus qu’à attendre avant de retrouver la civilisation. Comme tout est plus modeste ici, le hall de départ est grand ouvert sur la nuit et les insectes stridulants. Tout doucement, il se remplit de passagers. Alors que je passe la douane, point de non retour, dans le petit espace tampon avant la traversée du tarmac, un homme sur une estrade, couvert de colliers de fleur, joue pour nous des airs à la guitare. Il me donnerait presque le bourdon, celui-là.

Au revoir. Aera ra.

La vie dans une île

Mon idéal de voyage consiste à vivre un mois dans un endroit en s’occupant, une partie du temps, de choses quotidiennes. Je trouve que c’est le meilleur moyen pour découvrir toutes ces petites choses légèrement différentes de chez nous qui, misent bout à bout, donnent une image plus précise de la vie dans un nouveau lieu. On croit souvent que ces petites choses sont les mêmes partout. En réalité, la normalité est souvent loin d’être évidente.

La vie dans une île isolée comme Rarotonga a ses particularités. Vous allez voir, je ne vais dire que des choses banales dans ce billet, ou en tout cas d’une limpide logique. Prenons, un par un les choses que l’on prend pour acquis chez nous. Par exemple, pour commencer, parlons de la nourriture.

J’ai déjà évoqué quelques informations à ce sujet glanées auprès de la gérante du Paradise Inn. Bien que l’île possède une petite agriculture, elle est loin de suffir aux besoins touristiques. C’est notamment le cas car la plupart des produits de cette agriculture sont directement produits et consommés par les familles ou à une échelle somme toute artisanale. Il faut donc en importer le reste par bateau, souvent, de Nouvelle-Zélande, typiquement. Comme il n’y a pas de mystère en économie, les prix de certaines denrées sont donc sensiblement plus chères dans les supermarchés, notamment les produits manufacturés.

La source évidente de protéine ici vient de la mer, notamment avec le poisson, fort réputé. J’ai donc décidé, un jour, d’aller m’en procurer. Et bien figurez-vous que ce n’était pas si évident que ça, la faute à mon heure tardive, j’imagine. Au marché, ils étaient à court. Je me suis donc déplacé un kilomètre plus loin, non loin de l’aéroport chez un poissonnier. Arrivé là bas vers 10h30, le choix fut très restreint. Comme quoi la pêche reste très artisanale ici et le seul moyen d’avoir un large choix de poisson doit être d’arriver très tôt ou de se rabattre sur du congelé dans les supermarchés.

Notre civilisation ne serait rien sans énergie et, si on est un brin curieux, on se pose naturellement la question de l’origine de celle-ci sur Rarontonga. Il y a bien des ruisseaux qui coulent des montagnes mais seul un projet de petite centrale hydroélectrique est en court. La totalité de l’électricité de l’île est actuellement produite par une unique centrale fonctionnant aux hydrocarbures importés. Ce n’est pas franchement glop. En tout cas, au Muri Beach Resort, de grands panneaux solaires sur les bungalows apportent un peu de renouvelable dans tout ça. J’avoue ne pas avoir bien vu s’il s’agissait de panneaux photo-voltaïques ou de chauffe-eaux.

Fort heureusement, l’île ne subit pas un trafic routier insensé voir incroyable voir important. C’est même carrément modeste. Le parc de véhicules à l’air de se partager à 50 / 50 entre les automobiles et les scooters. De ce point de vue là, la consommation d’hydrocarbures pour le transport individuel doit être raisonnable. Je viens de vérifier sur internet, à l’heure actuelle le prix du pétrole y est d’environ 1,40 € le litre, ce qui est à peine plus élevé qu’en Nouvelle-Zélande.

Finalement, nous sommes au 21ème siècle et il est dorénavant quasiment inenvisageable de ne pas parler d’accès internet. En tout cas, pour moi c’est un besoin quasi-indispensable puisque je profite de mon séjour sédentaire sur Rarontonga pour me remettre au niveau côté boulot. Pour ça, j’ai besoin d’une connexion. Jusqu’ici, quand ce n’était pas gratuit (mais de qualité variable en Inde et au Vietnam), une journée d’internet me coutait environ 3-5$ (AUS ou NZ). Au Muri Beach Resort, l’internet se négocie non pas en accès illimité dans le temps mais à la quantité de données utilisé. Finalement, on est facturé de la même façon que les très grands opérateurs nationaux qui payent l’utilisation des grands backbones de l’internet à la quantité de donnée transitée. Le prix à l’hôtel fait d’ailleurs frémir puisque pour 25$ NZD, j’ai le privilège de pouvoir accéder à 150 Mo de données. Pour ceux qui ne sont pas très au fait de ces choses là, en utilisation normale du Web, le quota est facilement atteint en une journée. C’est incomparablement plus cher que le moindre forfait internet européen, australien ou américain. Devant mon air abasourdi, l’employée de l’hôtel m’a affirmé que c’était les prix communs partout sur l’île. Les pauvres. En tout cas, c’est un bon moyen pour limiter les téléchargements illégaux.

Je pourrais également vous parler de forfaits téléphoniques mais, d’une part, je n’ai pas eu l’occasion de m’en servir dans mes voyages (hormis une carte pré-payée Telstra en Australie), mais surtout ça ne me passionne absolument pas. Tout ce que je sais, c’est qu’à chaque fois que j’utilise mon portable, une alerte sonne chez mon banquier.

Un trek

La mer, c’est super mais la montagne, ça vous gagne. C’est en ayant cette maxime de publicitaire en tête que j’envoi un jour un mail afin de réserver une place pour un trek à travers l’île. Si vous vous rappelez bien, j’avais astucieusement attrapé un flyer à l’aéroport d’un homme en dreadlocks proposant des randonnées accompagnées. Le prénommé « Pa », natif de l’île, promet une démarche éco-touristique qui cadre beaucoup plus à mes aspirations qu’une bruyante et bourrine sortie organisée en quad. Sur le site web du sieur Pa, je lis la présentation qui précise bien que le trek (car telle est sa dénomination officielle, The Cross Island Trek, avec moult majuscules) nécessite une bonne condition physique (400m de dénivelé), de l’eau, des chaussures de marche et un répulsif à moustique. Ça tombe bien, j’ai tout à disposition. Au passage, je note le prix de la sortie, 70$ NZ. Tout de même, 42€, ce n’est pas donné. Allez, au diable l’avarice, on ne vit qu’une seule fois et ça soutiendra l’économie locale. Et puis je mangerai que des kumaras et des pâtes pour compenser.

Je ne vous cache pas qu’il m’est venu un petit sourire narquois à la lecture des recommandations pour ce trek. Devoir préciser qu’il faille se munir d’eau et de chaussures de marche (avec la précision « sans talons hauts ») en dit long sur la candeur / bêtise / confiance (rayer les mentions inutiles) de certains touristes. Quand à l’indication « bonne condition physique », elle est malheureusement peu porteuse d’information, tout dépendant de la personne qui vous le dit. Lorsque Catherine Destivelle m’affirme qu’il faut une « bonne condition physique » pour grimper en haut de cette montagne, je m’inquiète. Si c’est mon voisin obèse, je souris. Je précise donc dans mon mail qu’à Toulouse, je fait régulièrement de la randonnée en montagne, en omettant que, depuis quelque temps, je le fait cent mètres derrière mes compagnons de ballade, la bouche grande ouverte.

Deux jours plus tard, à 7h du matin, je me retrouve donc à la position indiquée, en bord de route devant mon hôtel, équipé de pied en cape : chaussure de marche (mais pas de randonnée, même si je n’ai pas de talons hauts), short, t-shirt (la base dans ce pays), chapeau (un nouveau acheté à Auckland après avoir oublié l’initial dans un bus à Sydney) et sac à dos contenant une bouteille d’eau d’un litre et demi et mon spray anti-moustique à la douce odeur de citronnelle, recommandé par le centre de vaccination de Toulouse comme mesure préventive anti-malaria (bien que je me sois fait troué la peau au moins cinq fois avant mon départ pour divers vaccins). Accessoirement, je m’en sert comme parfum.

Un mini-bus arrive, s’arrête et Pa descend, un grand sourire à la main et me tendant son visage. Ou est-ce l’inverse ? Attardons nous sur le personnage, voulez-vous. Vous pourriez taper « pa trek rarontonga » sur Google et avoir en un clic une photo de lui. Laissez moins néanmoins l’occasion de vous le croquer par quelques mots maladroitement choisis. Imaginez un polynésien solidement charpenté d’1m85, d’âge mur, que l’on devine anciennement très musclé, portant de longues dreadlocks blondes de la taille de cordelettes. Votre regard s’attarde discrètement sur son accoutrement et vous notez une sorte de short pagne noué que l’on pourrait confondre avec des couches et un débardeur très lâche bleu. Pour des raisons certainement mystico-spirituelles, des bracelets végétaux sont noués autour de ces coudes et genoux. Accessoirement, il est nu pied. Une sorte d’homme des bois baba-cool new age, en quelque sorte.

Fort heureusement, il me sert la main vigoureusement avec un sourire simple et chaleureux que ne dément pas son regard. Dans mes souvenirs, il me lance même un « kia orana », le bienvenu local, en me mettant un collier de fleurs exotiques autour du cou. Mais là, je crois que j’invente.

Comme il se doit (je commence à avoir l’habitude), nous commençons par collecter tout le groupe, chacun à son hôtel et c’est finalement à deux mini-bus que nous remontons une petite route en direction du centre de l’île. Bien entendu, nous en profitons pour décliner nos nationalités et, une fois n’est pas coutume, je suis le seul français parmi des australiens, néo-zélandais, américains et canadiens.

Au point de départ, nous nous mettons en groupe autour de Pa qui nous réitère les recommandations de base : boire, se mettre du répulsif et marcher à son rythme. Pendant ce temps, le couple canadien en profite pour se fumer une cigarette. Je lève un sourcil. Globalement chacun est habillé en mode sport avec des chaussures de jogging. Néanmoins quelques indices me laisse croire que le niveau de pratique est assez hétéroclite. L’américaine semble tout droit sorti de Beverly Hills et son copain a jugé pratique de porter une grosse bouteille d’eau en bandoulière.

Alors que chacun se oint ou se vaporise de répulsif anti-moustique, Pa commence son show. Déjà, il nous apprend qu’il a 70 ans. Surprenant, mais admettons. Il connait par cœur ses montagnes, qu’il parcourt depuis qu’il est enfant. Il connait également par cœur les plantes de la jungle et leur utilité. D’ailleurs, il nous propose de nous frotter avec une plante qu’il vient ramasser, un anti-moustique naturel. Une poignée de touristes ayant omis leur propre produit s’y collent pendant que je me parfume à la citronnelle.

Nous commençons enfin la marche à un rythme tranquille par un large chemin en pente douce. Pa continue de parler de son histoire et ses croyances, son public tentant de se mettre à son niveau pour l’écouter parler. Il faut dire que le bonhomme est charismatique avec son pagne, ses dreadlocks et ses pieds nus.

Nous abordons le sujet de la spiritualité (enfin, c’est lui qui l’aborde vu que c’est lui qui parle). A l’entendre, il semble croire en une sorte de syncrétisme bouddhisme / animisme un peu new age, ce qui me semble beaucoup moins hostile que le monothéisme dominant. C’est lui qui nous apprend que l’île de Rarontonga abrite toutes les fois du monde. La seule exception, d’après lui, concerne la Scientologie, qui s’est fait récemment refuser la construction de son église. Comme Pa n’est que paix et amour avec des bracelets végétaux aux articulations, il avoue être peiné de ce refus.

Régulièrement, il s’arrête pour nous montrer une plante en nous citant les bénéfices qu’elle procure. Le petit jeu consiste à deviner le nom de la plante et certains reconnaissent des petit piments sauvages ou, un peu plus tard, de la belladone. A ce sujet, Pa nous précise qu’il s’agit d’un excellent stimulant pour l’effort. Un touriste anglais passionné jusqu’ici par ce que notre guide raconte sur les plantes, semble surpris. Je m’attarde à côté de lui en marchant et commence à discuter. Ce médecin généraliste m’affirme que la belladone est une plante dangereuse qui provoque des tachycardies et, à haute dose, des hallucinations voir la mort. Je lève le deuxième sourcil. Dis donc… Pa… tu te foutrais pas un peu de notre gueule ?

A partir de là, c’est avec circonspection que j’écoute notre guide alors que le reste du groupe, dans une hypocrisie que l’on pourrait juger toute anglo-saxonne, l’écoute avidement en l’encourageant ponctuellement de « waah », « great » et autres « awesome ». Moi, dans un renfrognement que l’on pourrait juger très français, je ne dis rien mais n’en pense pas moins.

Finalement, nous atteignons l’embouchure d’un petit chemin à travers la végétation qui s’enfonce en montant au cœur de l’île. Pa nous convie à marcher à notre rythme jusqu’à un gros rocher sur une crête où nous ferons une pause. J’attaque la montée et ne tarde pas à me retrouver seul devant. Le chemin étroit grimpe dans les sous-bois suivant une pente un peu raide.

DSC_8192_DxOUne demi-heure plus tard, je m’arrête à côté d’un gros rocher planté au milieu du chemin. Ce doit être là le point de rendez-vous. Quelques minutes plus tard je suis rejoint par mes premiers poursuivants puis, à la queue leu leu, le reste du groupe dans différents états de rougeur. La règle de base pour se sentir fort est de toujours faire du sport avec des gens moins bons que soit. Pa arrive, accompagnant les derniers, à peine essoufflé et toujours pied nu. Dans le lot, les canadiens allument de nouvelles cigarettes malgré une condition physique qui ne me semble pas exceptionnelle.

Pendant cette pause, Pa en profite pour nous distribuer des boites en plastiques remplies de succulents quartiers d’orange et de mangue fraîches. Voilà un des avantages de vivre dans une île tropicale. C’est également l’occasion pour lui de nous expliquer l’importance de ce fameux rocher dans l’histoire traditionnelle de ce pays. Malheureusement, je n’en garde aucun souvenir si ce n’est qu’après son explication, il s’est mis devant, les mains jointes en marmonnant une prière tout en se balançant doucement d’avant en arrière. Dans un silence teinté de gêne respectueuse, chacun attend qu’il finisse.

DSC_8197_DxONous repartons enfin (n’allez pas croire que je soit impatient mais nous approchons du sommet et de sa vue que je rêve d’être sublime) de nouveau à la queue leu leu. A un embranchement, nous prenons à droite en direction de « The Needle », le long d’une courte montée étroite et raide. Enfin, nous débouchons hors de la jungle et grimpons au pied d’un haut éperon rocheux, le fameux Needle, l’aiguille. La vue est fort sympathique, et bien que ce ne soit pas le point le plus haut de l’île, il est relativement central. Un peu plus loin, une petite via ferrata permettent de grimper vers un point encore plus en altitude et accessoirement, vertigineux. Je part voir ça avec deux autres touristes.

DSC_8194_DxOFinalement, cette montée est relativement courte, bien qu’intense. Il n’empêche que, par voie de conséquence, je suis passé totalement à côté des commentaires de Pa, pour avoir tracé le chemin devant. Une partie de moi me dit que je n’ai rien perdu au change mais ce doit être la moitié la plus noire et désagréable de moi même. Je l’ignore.

Nous commençons la descente et notre guide nous recommande la plus grande prudence. Oui, bon, ça va. C’est une descente quoi. N’empêche que nous avons notre quotas de fesses par terres, notamment l’américain qui se borne toujours à porter son litre et demi de flotte en bandoulière. Déjà qu’il n’est pas très adroit mais en plus ça le déséquilibre totalement. Finalement, devant l’insistance de Pa, il se décharge de son eau dans le sac à dos du guide. Au cours de cette descente nous traversons de nombreuses petites rivières et torrents, parfois à guet mais la plupart du temps en enjambant des rochers plus ou moins mouillés. C’est l’occasion de quelques glissades sans conséquences. Je vous rassure, j’ai fait honneur à la France en régalant l’assemblée de légers et élastiques bonds de chamois nonchalant, sautant sans encombre de rochers en rochers, pendant que certains de mes compagnons anglo-saxons s’abandonnaient lâchement à de bêtes traversées les chaussures dans la flotte. Ceci dit, je ne dément pas ne pas être passé une ou deux fois proche de l’humiliation.

Enfin, nous atteignons notre point de rendez vous pour la fin de cette traversée au niveau d’un parking donnant sur une très jolie cascade. Un bassin d’eau clair donne lieu à des baignades et Pa nous invite à y plonger, pendant qu’il prépare le déjeuner. Quelques uns de mes compagnons obtempèrent alors que je regrette d’avoir oublié mon maillot de bain. Je regarde ma montre, il est à peine midi. Pour un trek, c’est un peu court.

Finalement, c’est le clou du spectacle. Pa nous invite à nous servir en sandwichs, amené par les mini-bus dans de grands bacs en plastique. On sait ce que représente la nourriture pour les français. Je m’apprête donc à être critique. Et bien figurez-vous que c’était absolument délicieux. Oui. J’emploi un superlatif. Dans de petits pains ronds et moelleux, la femme de Pa a placé du thon haché avec une très légère mayonnaise, quelques fins quartiers de pomme, le tout généreusement parfumé d’une herbe doucement anisée. Avec la permission du bonhomme, j’en reprend un deuxième.

Nous repartons ensuite chacun dans un des deux mini-bus en fonction de notre hôtel. Le même manège que ce matin reprend en sens inverse. Le bus s’arrête devant un hôtel, des touristes descendent, Pa les rejoint et leur sert la main. La seule différence, notable, est qu’il y a échange d’argent. C’est vrai, je n’ai toujours pas payé. Si ce n’était pas déjà assez pénible, Pa demande à chaque client s’ils ont apprécié cette demi-journée. D’ailleurs, selon lui, nous ne sommes pas obligé de payer si nous ne sommes pas satisfait. Bonjour, le malaise.

Arrive enfin mon tour. Je descend, rejoint par Pa.

« Alors, ça t’as plu ce trek ?

  • Euh… oui, oui. C’était une chouette MARCHE. Et les sandwichs étaient délicieux.
  • Ah, parfait. Ça me fait plaisir.

Comme je suis lâche, je lui ai filé 70$ NZ et suis parti. J’aurai pu lui dire que c’était un peu cher pour ce que c’était et que son show spiritualo-écolo-mystique, je n’ai pas particulièrement adhéré. Sans parler que prendre un guide alors que le chemin était particulièrement balisé, ça me fout les boules. Le pire dans cette histoire est d’entendre le concert de louanges des autres touristes et les remarques péremptoires sur l’absolue nécessité de passer par un guide sans quoi c’est la mort assurée par déshydratation. Décidément, il y a des gens pour qui la moindre nature hors d’un parc municipale est l’aventure du siècle.

La vie sur un lagon

Depuis quelques jours j’ai le privilège d’habiter à 50m d’un lagon. Que dis-je, cinquante mètres !? Si je n’avais pas un compas dans l’œil ce serait même peut être bien trente mètres. Mais peu importe, vous l’avez compris, contrairement au français moyen, j’ai à proximité une masse d’eau translucide astucieusement maintenue à 27°C, elle aussi, pour que l’on ne prenne pas froid. Comme je sais que peu d’entre vous ont eu cette chance, laissez moi vous expliquer mon quotidien à bord de ce lagon.

Commençons par éteindre la lumière, tirer l’écran et allumer le rétroprojecteur. Aujourd’hui, Le Laaaagon (si vous parvenez à le dire façon « The Laaaarch » des Monty Python, c’est encore plus savoureux). Diapo suivante. Un lagon c’est une masse d’eau océanique emprisonnée dans une barrière de corail. Diapo suivante. Sauf exception particulièrement paradisiaque, cette eau est régulièrement renouvelée en partie par le mouvement des marées soit par dessus la barrière soit par des ouvertures dans celle-ci. Diapo suivante. A ma connaissance (qui n’est pas infinie, je le constate), les lagons sont généralement peu profonds car les fonds se forment sur les générations précédentes de coraux morts. Diapo suivante. En conséquence, l’eau y est particulièrement agréable, aux alentours de 27°C quelque soit la température extérieure (je vous jure qu’ensuite j’arrête de le dire). Diapo suivante. Sur Rarontonga, la barrière de corail forme un anneau autour de l’île avec une poignée de passes maritimes connectant le lagon à l’océan. En son point le plus étroit, celui-ci doit bien faire 20m alors qu’en sont point le plus large (à Muri) DSC_8183_DxOil doit dépasser les 500m. Diapo suivante. Chose agréable pour les curieux, le lagon autour de Muri contient également quatre petites îles, de taille croissante du sud au nord. Le Muri Beach Resort se trouve à mi-chemin entre les deux plus petites. Vous pouvez rallumer.

Comme la vie est une série de déceptions uniquement interrompues par de voluptueuses siestes sous des chênes où viennent chantonner de lubriques cigales (je simplifie. En vérité c’est un poil plus complexe), attendez vous à une série de déconvenues lors de votre première exploration. Tout d’abord, avant de se lancer naïvement dans l’eau, il est important de se munir de chaussons de récifs, gratuitement disponibles avec les palmes et les tubas, sans chichi, dans une armoire à côté de l’accueil. Il y a certes de grandes zones sablonneuses sous l’eau mais dans la majorité des cas, et notamment en bord de plage, le fond marin est plutôt constitué de coraux morts très désagréables à la plante des pieds. On m’a également parlé de poissons munis de piquants acérés qui s’enfouissent dans le sable pour mieux se faire écraser. Tout ceci a beau être paradisiaque au premier coup d’œil, c’est un tantinet hostile.

Votre prochaine tâche consiste à traîner votre insubmersible kayak moulé en plastique orange jusqu’à l’eau. L’expérience est intéressante et permet de constater fort aisément que le sable, ça mériterait un coup de lubrifiant. Si le précédent utilisateur de l’insubmersible était particulièrement maladroit, il vous l’aura également laissé affectueusement rempli à moitié d’eau. Prenez donc cela comme un exercice de musculation.

Vous plongez donc les mollets dans l’eau tiède et tirez votre fier vaisseau hors de la plage. Ne soyez pas impatient de vous y installer. J’ai vérifié pour vous le principe d’Archimède et je vous affirme qu’il ne suffit pas à maintenir votre ligne de flottaison suffisamment haute pour que vous ne racliez pas lamentablement le fond rocailleux. En bord de plage, le lagon fait environ 20cm de profondeur. Deux solutions s’offrent à vous, tenter de vous frayer un chemin vers les hauts fonds de ridicules mouvements de bassins et de pagaie dans de sinistres raclements ou bien vous relever, agripper la cordelette et tirer votre kayak sur 30m vers des eaux plus clémentes, le tout sans se tordre la cheville sur le fond inégal. Notez que l’exercice consistant à s’extraire du kayak sans basculer d’un côté ou de l’autre dans la flotte est excellent pour travailler l’équilibre.

DSC_8207_DxOVous avez maintenant suffisamment de fond pour être navigable et êtes parvenu à vous rasseoir dignement dans votre kayak sans le faire basculer. Commence alors la partie la plus difficile physiquement : pagayer. Au début, on trouve cela facile puis, grisé par cette sensation de glisse, voir de vol que renforce une eau transparente, l’acide lactique commence à ronger vos épaules. La découverte d’un nouveau sport est toujours l’occasion de faire un point sur son anatomie en redécouvrant certains de ses muscles. Pour moi, ce fut donc avec joie que je repris connaissance avec les muscles de ma main après une heure de pagayage.

Il n’y a qu’à baisser le rythme, pense t-on, pour soulager son effort. Malheureusement, nouvelle déception, les lois de la navigation sont intransigeantes. Suivant l’heure de votre périple, vous devrez fournir un effort minimum si vous souhaitez réellement allez explorer ces rochers, là bas, à 100m, alors que la marée descendante provoque un courant puissant vous tirant dans l’autre sens. Je ne vous parle pas du vent.

Moi je trouve ça amusant car, encore et toujours, je suis toujours en train de lire les passionnantes (quoique répétitive) aventures du commodore Bolitho (il a une carrière fulgurante ce garçon), officier de la marine royale entre 1770 et 1815. Toutes ces histoires de marins, de hauts fonds et de navigabilité, ça me parle drôlement. Je suis en pleine empathie avec mes épaules qui brûlent.

Il n’empêche qu’au cours d’une exploration particulièrement poussée vers le nord, je suis parvenu à m’échouer. C’est sympathique ces lagons peu profonds où on peu marcher à l’aise sur 200m mais c’est un peu casse pied pour faire du kayak. On se retrouve rapidement à taper de la pagaie sur le fond quand ce n’est pas la coque du bateau (il me plaît de rêver que mon kayak est une frégate, j’ai le droit) qui vient se coincer mollement dans le sable. Avec dignité, je me lève pour tirer de nouveau sur la cordelette et passe une sorte de toute petite cascade en longueur. Elle a beau n’avoir que 10cm de chute, c’est tout de même intriguant. Traînant le kayak derrière moi, je me retrouve de nouveau avec 50cm d’eau et poursuit la route avec la facilité de l’habitude.

Enfin, c’est ce que je crois car en réalité en faisant demi-tour je ne tarde pas à constater que je n’avance quasiment pas. La douleur dans mes épaules ainsi que cette petite chute d’eau m’ouvrent alors les yeux. Je suis en train de remonter péniblement un puissant courant de marée basse s’échappant par une ouverture du lagon non loin de là. J’ai la sensation d’être un petit canard en plastique jaune (bien qu’ici, orange) essayant de lutter contre le tourbillon provoqué par l’ouverture du fond de la baignoire. Je comprend du coup beaucoup mieux pourquoi le chauffeur du bus nous avait indiqué à intervalles régulières les endroits où il était particulièrement dangereux d’aller se baigner. Ils coïncidaient très certainement avec ces passes vers l’océan.

Fort heureusement, ces menus désagréments ne sont rien face à la magie de ce lagon. Ils sont même amusants et puis, un peu d’effort physique, ça ne fait pas de mal. Quel plaisir d’accoster des rives rocheuses, d’y caler son kayak, d’enfiler son masque et son tuba pour ensuite plonger à la rencontre des coraux et des poissons. D’ailleurs, il s’agit ici surtout de poissons car les coraux forment de grands amas, comme des îles sous-marines, de couleur clair plutôt quelconques. On n’est pas ici devant la chatoyante multitude des documentaires. J’imagine que cela doit exister à l’extérieur du lagon. Par contre, côté poisson on est servi. Je suis très mauvais en ce qui concerne le nom de ceux-ci mais je crois bien avoir reconnu un gros mérou. Ensuite, je ne peut que vous décrire des animaux jaunes tigrés, ou bien tout en long argenté et bien d’autres formes dont je ne me souviens pas. Le comportement oscille suivant l’espèce entre l’indifférence (snob), la crainte ou la curiosité respectueuse.

Une fois que vous vous êtes lassé de cette revue piscicole, vous émergez de l’eau pour constater que votre kayak a gentiment dérivé sur 20m, l’imbécile. Ou plutôt c’est moi l’imbécile qui ne l’avait pas assez bien coincé sur les rochers. Une petite brasse plus tard, vous voilà de nouveau sur votre insubmersible à la recherche de nouveaux coins à explorer.

Je me demande si on peut être payé pour faire ça ?

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Des chiens marins

Intérieur nuit, salon d’une maison familiale. Feu qui crépite dans une cheminée. Par la fenêtre, de la neige qui tombe (vérifier avec le chef décorateur si c’est possible). Décorations de Noël un peu partout.

Un vieux monsieur est assis dans un fauteuil confortable face au feu. Devant, trois bambins assis en tailleur l’écoutent, leurs grand yeux fascinés (voir avec la directrice casting pour des Bambins Aux Grands Yeux Fascinés).

« Alors les enfants, vous ai-je déjà raconter l’histoire de Splish et Splash, les deux chiens marins ?

<Réponse en choeur et enthousiaste des trois Bambins Aux Grands Yeux Fascinés (BAGYF)>

BAGYF : Noooooooon, papi. Raconte nous l’histoire de Splish et de Splash les deux chiens pêcheurs !

PAPI : Marins, pas pêcheurs. Soyez attentifs. Il était une fois, dans une contrée lointaine de l’autre côté de la Terre, pas très loin du Tropique du Capricorne et légèrement à l’est de la Nouvelle-Zélande, deux chiens nommés Splish et Splash.

BAGYF #1: C’est quoi le tropique du capre et corne, papi ?

PAPI : C’est un endroit de la Terre où il fait tout le temps 27°C, mon enfant.

BAGYF : Aaaaaaah.

PAPI : Oui, comme vous dites. Splish et Splash habitaient sur l’île magique et paradisiaque de Rarotonga où les patates sont roses et les poissons multicolores. Pour leurs petites pattes, l’île étaient bien assez grande alors ils passaient le plus clair de leur temps aux alentours du lagon magique de Muri. Mais, bien que l’île fut paradisiaque et magique (dans le désordre), Splish et Splash étaient pauvres.

BAGYF : Ooooooh.

BAGYF #2 : Pôvre Slishlip et Slshap.

PAPI : Absolument. Mais surtout, ils étaient sans maitres, sans personne pour prendre soin d’eux. Ils étaient des chiens errants.

BAGYF : Ooooooh non !

PAPI : Tout à fait, je ne vous contredirai pas sur ce point là. Tout les jours, Splish et Splash devaient chercher leur nourriture subsistant quoi d’une patate douce à la chair rose, quoi d’un reste de mouton grillé importé par bateau de la Nouvelle-Zélande au prix du caviar russe de contrebande. Fort heureusement, sur l’île magique de Rarotonga, les gens n’étaient pas méchants.

BAGYF #3 : Il n’y a pas de méchants dans ton histoire, papi ?

PAPI (interloqué, bien préciser à la dir cast que l’on cherche un acteur maitre de l’interloquation) : Euh… soit patient mon petit. Je ne fait que planter le décor. Hors donc, les gens de cette île n’étaient pas méchants et Splish et Splash cohabitaient sans problème avec les humains ainsi qu’avec d’autres congénères de leur espèce.

BAGYF #1 (rigolant bêtement): T’as dit un gros mot papi.

PAPI : Congénères ce n’est pas un gros mot, mon petit. Ça veut dire d’autres chiens errants. Interrompt moi encore une fois avec des bêtises et je te fout au lit, petit inculte incontinent.

<Silence uniquement meublé du crépitement du feu>

PAPI : Splish et Splash étaient des amis de longues dates. Splish était un magnifique bâtard à poil beige et court alors que Splash lui était un splendide bâtard à poil court et sombre.

BAGYF #2 : Oooooh qu’ils sont mignons.

PAPI : Indéniablement. Ils étaient inséparables. Un beau jour, alors que la faim se faisait plus criante, Splish eu une idée géniale. En se tournant vers Splash il lui dit : « Woof ». Splash lui répondit par un geignement dubitatif (prévoir sous-titrages). Mais, n’écoutant que sa faim et son audace, Splish couru vers la plage et d’un bond gracieux plongea d’un magnifique plat dans les eaux turquoises et translucides du lagon magique de Muri.

BAGYF : Spppplllaaaaash !

PAPI : Hahaha, public, comme tu es bon. Justement, malgré les geignements incessants de Splash, resté au bord de l’eau, Splish entama une longue traversée à la nage vers la petite île du lagon.

BAGYF #3 : Mais tu as dit qu’ils étaient inséparables, papi ?

PAPI : Indubitablement, je l’ai dit. Ni tenant plus, Splash s’avança dans l’eau turquoise et translucide du sus-mentionné lagon et d’une nage hésitante suivi son compagnon la truffe péniblement maintenue au dessus de l’eau.

BAGYF : Oh non, il va se noyer !

PAPI : Ne brûlons pas les étapes, voulez-vous ? Fort heureusement, à cet endroit, le lagon était peu profond, à peine un mètre, et l’île peu éloignée, 100m à tout casser. Splish arriva donc le premier sur la grève et s’ébroua très très fort. Vous savez ce que ça veut dire « s’ébrouer » les enfants ?

BAGYF : Oooooouuuuuiii ! C’est comme ça !

<Les enfants se secouent violemment la tête en rigolant>

<Deux enfants vomissent>

PAPI : C’est tout à fait cela, hormis la fin. Splish commença alors à explorer la plage en cherchant de la nourriture avec son flair surpuissant.

BAGYF #2 : Et Splash, il est où Splassesheuh ?

PAPI : Tiens ben justement, au moment où je vous parle, il arriva sur la plage et s’ébroua lui aussi mais encore plus fort que Splish !

<D’autres vomissements>

PAPI : Non décidément, Splash il n’aimait pas l’eau. Splish renifla partout tout autour de la petite plage. Il renifla au bord de l’eau, il renifla dans les rochers, il renifla dans le derrière de Splash. Malheureusement, il n’y avait pas plus de nourriture ici que d’humanité chez un commercial.

BAGYF : Pôvres Schlipéschlapeuh !

PAPI : Il va sans dire. Splish, le plus courageux, leva le museau et inspira pas une, pas deux, mais trois fois. Levant sa patte au niveau des yeux tel l’indien scrutant l’horizon, il aperçu quelque chose et ni une, ni deux, se tourna vers Splash en lui lançant un « Woof » autoritaire. Sans tenir compte du geignement plaintif de son ami, il plongea de nouveau dans les eaux toujours aussi translucides et turquoises du lagon. D’une nage puissante et athlétique, le museau levé en l’air tel un snorkel, il prenait la direction des terribles récifs de coraux.

BAGYF : Aaaaaaargh nan ! Pas les récifs de coraux !

PAPI : Si si, l’histoire est formelle sur ce point. Heureusement, c’était marée basse et les récifs émergeaient de l’eau, uniquement attaqués par des vagues océaniques incessantes venant se briser sur les dents acérées des coraux morts.

BAGYF #3 : Ça fait peur, papi, les coraux morts.

PAPI : Ne t’inquiète pas, petit, je suis là. Splish traça tout droit, là où l’eau était la plus profonde, deux mètres, au bas mot et parvint sans encombre sur les premiers coraux. Il s’ébroua de nouveau et tourna la tête vers son ami, Splash.

BAGYF #1 : Qu’est ce qu’il fait Splash ?

PAPI : Il nage, Splash, mon enfant. Il nage. Il nage vers son ami mais à mi-chemin, essoufflé, il tente désespérément de trouver un raccourci en obliquant à droite. Malheureusement, les lois de la géométrie euclidienne sont très pointilleuses sur ce point, le plus court chemin est la ligne droite. Il souffle du museau, il pédale avec ses petites pattes. C’est dur pour Splash.

<En larmes>

BAGYF : Noooooon, meurt pas Splasheusheuh.

<Se penchant au plus près des enfants, le papi reprend>

PAPI : N’y croyant plus, mais encouragé par son ami Splish qui lui intime par des « Woof » puissant de continuer, Splash parvient miraculeusement sur un banc de sable. Il a pied. Il prend de grandes goulées d’airs et s’ébroue.

BAGYF : Ouuuuuaaaaihh, vive Splasheuh !

PAPI : Epuisé mais soulagé, le petit chien noir se dirige alors vers son ami qui l’accueil de vigoureux mouvements de queue.

BAGYF : Ouuuuuaaaaihh, vive Splasheuh !

PAPI : Vous l’avez déjà dit, les enfants. Les deux amis partirent donc à l’aventure sur le récif à la recherche de petits crustacés et autres poissons enfermés jusqu’à la prochaine marée haute. Le tout sous 27°C, il va sans dire.

BAGYF : Mmmmmmmmh.

PAPI : Qui suis-je pour vous contredire sur ce point ? Allez, les enfants, c’est l’heure d’aller au lit.

Bien entendu, cette histoire est totalement véridique puisque je l’ai observé de mon kayak. Puisque je vous le dit. Allez, bonne nuit à vous aussi.