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Aller à Chennai

Vous allez finir par croire que je suis obsédé par le transport en Inde, mais il faut avouer qu’une grande partie de l’amusement (oui car maintenant cela me diverti) consiste à se débrouiller pour rejoindre un point A d’un point B. Aujourd’hui, le point A c’est Chennai et le point B, Pondichéry. Après dix jours passé dans l’ancien comptoir français, il était temps de partir, non sans une certaine nostalgie, pour rejoindre une autre des quatre grandes mégalopoles indiennes, l’ancienne Madras.

Les deux villes étant relativement proches (une grosse centaine de kilomètres), il est plus simple de prendre un bus pour rallier la capitale de l’état du Tamil Nadu. Le trajet prend environ trois heures. Je me retrouve donc un matin au New Bus Stand de Pondy (après un nouveau trajet en rickshaw qui me déleste de 90 roupies, l’inflation sans doute) où je trouve un bus pour Chennai avec l’aisance d’un véritable tamoul. Parce que je suis un pro et parce que je ne réfléchi pas, je prend un ticket pour la compagnie de l’état à bord d’un bus standard, similaire à celui emprunté pour aller à Gingee. Dix mètres plus loin, je vois des bus climatisés à peine en meilleur état. Je suis là pour en chier.

P6210001Comme d’habitude nous mettons une plombe juste pour quitter Pondichéry et je commence à m’assoupir malgré le gigotement permanent. Fort heureusement, le bus est loin d’être bondé et je peux prendre un peu mes aises avec mes deux sacs. Une heure plus tard nous faisons un arrêt dans une ville où je dois me serrer pour laisser la place à tout le monde, y compris les trois vendeurs à la sauvette qui, malgré la foule compacte du bus, insistent pour traverser toute sa longueur en proposant des pochettes d’eau, des bananes et des samosas. Nous repartons finalement avec nos nouveaux compagnons de voyage et je regarde le paysage morne et plat de la région. Je ne peux pas dire que je me sois vraiment régalé côté paysages jusqu’ici en Inde, hormis les formations de Hampi et de Gingee.

Régulièrement, des travaux sur la route provoquent des ralentissements et des cahots encore plus importants, malgré l’emprunt de la deux fois deux voies principale qui mène à Chennai. Un grand panneau sur la voie de gauche enjoint les conducteurs à passer de l’autre côté du terre-plein, sans doute pour laisser le trafic libre pour une équipe d’entretien. Nous traversons donc le terre-plein central et partageons ce nouveau côté de la route avec les véhicules venant à contre sens, sur la voie de droite. Rien de plus banal.

Assez rapidement le trafic ralenti et nous sommes pris dans un embouteillage. Placide, tel une vache, je prend note et continu d’observer le paysage au delà du terre-plein central. Des klaxons réguliers ajoutent une touche mélodique à la bande son déjà passablement occupée par le bruit des moteurs. Ce comportement universel qui consiste à croire qu’un coup de klaxon peut débloquer tout embouteillage est toujours aussi désespérant.

Tout à coup je vois passer une voiture de l’autre côté du terre-plein, sur notre ancienne portion de la route. Ah, tiens. Sans doute un véhicule officiel, me dis-je. Quelques minutes plus tard, des passagers plus énervés (et donc non bovins) élèvent la voix et font des signes au conducteur. Il devrait voyager en Inde, ceux-là. Ils relativiseraient, moi je vous le dit. D’autres passagers rejoignent la discussion, qui prend un ton de légère engueulade. Lâchement, je détourne le regard et poursuit ma contemplation par delà le terre-plein central (superbe titre de roman, ça, je le note pour plus tard). Je vois passer un bus. Ah ben c’est bizarre ça quand même ? Je me retourne vers l’arrière et j’aperçois une tripotée de bus et de voiture venant dans notre direction, mais de l’autre côté. Mais ce sont de sacrés rebelles ces indiens ! J’imagine déjà l’embouteillage monstre que cela va créer une fois qu’ils auront rejoint les travaux. Les cons.

P6210005Soudainement, notre conducteur de bus se lance dans une manœuvre culottée : il décide de faire demi-tour dans un embouteillage. Avouez que ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir les nerfs de faire ça ? Ma curiosité attisé je lâche la contemplation du trafic dorénavant presque normal de l’autre côté du terre-plein pour observer la manœuvre du bus (chauffeur, si t’es champion, appui, appui!). Après un superbe créneau, le bus se retrouve perpendiculaire au deux voies et je constate avec horreur la situation : nous étions en réalité complètement en contre-sens. Les deux voies de ce côté-ci du terre-plein roulent vers Pondichéry alors que notre bus et tous les autres véhicules derrière sur la voie de gauche veulent aller vers Chennai. Oh le bordel. Superbe. Clap, clap, clap. P6210004Incredible India ! Vous me convoquerez le fonctionnaire responsable de la signalisation, s’il vous plaît. C’est donc sous un tonnerre encore plus furieux que d’habitude de klaxons que notre bus fini son demi tour et repart dans la direction opposée, retraverse le terre-plein cent mètres plus loin (on n’avait vraiment pas du tout avancé) pour reprendre le côté normal pour Chennai. Résultat des courses : une bonne heure de perdu.

C’est donc en milieu d’après midi que je descends à la Central Bus Station de Chennai, un peu fourbu mais riche d’une nouvelle anecdote. Bien entendu, je suis assailli instantanément par deux conducteurs de rickshaws qui me proposent leur service. Pour une fois, ça tombe bien. J’ai besoin d’eux. Je demande donc leur tarif en leur mettant l’adresse de l’hôtel sous le nez : 400 roupies. Et ben mon cochon. Je leur réponds que je vais réfléchir et que ce n’est pas pressé. C’était vrai car j’avais grandement besoin d’un Pepsi bien frais. Je me dirige donc vers le hall central de la gare routière (gigantesque à propos) avec le conducteur de rickshaw me précédant de « come, come ». Il devait penser que j’étais sa chose. Au niveau du hall, traîtreusement, j’oblique à droite pour pénétrer à l’intérieur, sans le prévenir. Ma stratégie est de le lâcher pour pouvoir négocier le prix avec d’autres conducteurs, sans l’avoir sur le dos. Ensembles, ils négocient entre eux en tamoul et je suis foutu. Je le largue et me trouve un vendeur de boisson pour boire tranquillement. Malheureusement, deux minutes plus tard, il me retrouve. Rhaa le lourd. « Come, come ». WOOOH !!! Ouane minute ! On n’est pas aux pièces ! Je m’énerve un peu en lui faisant signe qu’il faut rester cool. Il patiente donc à côté de moi pendant que je savoure un Pepsi glacé à vingt degrés ainsi que l’attente sadique que je lui inflige. Finalement, je repart et il me suit comme un petit chien. « Come, come ». Ta gueule.

Nous sortons du hall et je jette un regard périphérique pour trouver un échappatoire. Avec ma vision bionique dopé au sucre du Pepsi, je vois à cinquante mètres un panneau marqué « Pre-paid taxi ». Un plan machiavélique germe dans mon esprit. Un pre-paid taxi est un taxi dont le prix de la course est déterminé à l’avance justement pour éviter les arnaques. Généralement se sont des tarifs réglementés et la démarche est justement destinée aux touristes. J’effectue un crochet brutal en direction du guichet avec le conducteur qui réagit avec un temps de retard. « This way, come », me dit-il en pointant dans l’autre direction. Je sens l’odeur de sa peur.

Devant le guichet, je demande au préposé le prix d’une course d’auto-rickshaw pour l’adresse de mon hôtel. Il tapote sur son clavier et me réponds : 200 roupies, plus 3 roupies de commission. Lentement je me tourne avec un sourire carnassier vers mon arnaqueur qui arbore une mimique mi surprise mi innocente genre « Ah bon ? Si peu. Dis donc, c’est fou ». Je valide le billet pré-payé et mon ex futur conducteur s’en va en sifflotant. Je tends donc le billet à un autre conducteur et nous partons joyeusement, le cœur léger, dans le trafic où nous manquons de mourir trois fois.

Trente minutes plus tard, nous tournons toujours autour du quartier de mon hôtel à sa recherche. Régulièrement, le conducteur, s’arrête, cours vers un groupe pour demander son chemin puis repart. Décidément, il n’est pas doué. Il faut dire que côté adresse, l’Inde adopte une démarche holistique. Il faut voir ça dans son ensemble. Je veux dire, est-ce que c’est vraiment important que CHAQUE bâtiment ai son numéro et que chaque ruelle, un nom ? Hein ? Finalement, nous apercevons un panneau avec le nom de mon hôtel à l’entrée d’une ruelle. Bingo. Un peu énervé le conducteur m’explique que la course a duré plus longtemps que prévu, qu’il a du courir plusieurs fois et qu’en plus sa mère et malade et sa femme tétraplégique. Ok, ok. De toute façon je commençais également à compatir et lui propose donc 250 roupies au lieu des 200, ce qui provoque un sourire de contentement chez lui. Je regarde donc dans mon porte feuille et catastrophe, n’ai pas la monnaie. Je lui tends donc mon seul billet de 500 roupies qui me reste. Forcément, il n’a pas la monnaie non plus. A ce propos voici une règle de base quand vous empruntez un auto-rickshaw : toujours avoir la monnaie EXACTE. Sinon il vous fait le coup et arrondi au supérieur. Je lui fait signe que je vais aller à l’hôtel pour faire le change et il acquiesce. Je cours donc au lobby de l’hôtel et, après quelques secondes d’attente, leur explique la situation. Un frêle garçon s’en va donc avec mes 500 roupies faire la monnaie. Il revient cinq minutes plus tard avec cinq billets de 100. Je repart donc en joggant (sous 34°C) vers le rickshaw et lui file trois billets de 100. P***** ! Il n’a toujours pas la monnaie. Un peu agacé voir excédé par ce manège éculé je lui fait un signe que c’est ok. Mais casses-toi tout de suite avant que je t’étrangle.

J’avais cru tenir ma victoire sur les auto-rickshaws mais en réalité, je crois que c’est encore eux qui ont gagné.

Ces choses mystérieuses

Indubitablement, l’importance du rituel et du religieux en Inde n’est pas surfait. A la Kailash Guest House où je réside à Pondichéry, les occasions sont nombreuses pour le constater. Hormis les multiples tableaux et affiches représentant tout le panthéon, dans la petite pièce au rez de chaussée qui sert de bureau, on peut entendre et apercevoir une petit boite à prière électronique. Provenant certainement en Chine de la même usine qui fabrique des poupées qui parlent, son principe est relativement simple : une petite boite en plastique de la taille d’un demi carton de lait, décorée sur sa face avant d’une représentation de votre déité hindou préférée (ici, Shiva ne dansant pas, je crois) diffuse en permanence des mantras d’une voix nasillarde et robotique. Tout ceux qui ont déjà joué à la « Dictée Magique » dans leur enfance auront une idée assez précise de la qualité sonore. A propos de la représentation des déités hindous multicolores, je me dit régulièrement que ce ne doit pas être facile pour les musulmans, pour qui la représentation de dieu est interdit, de cohabiter avec tout ces idolâtres. Mais loin de moi l’idée de vouloir attiser un conflit religieux. Moi, ce que j’en dit…

En ce qui concerne le patron à l’aspect noble (physique bien proportionné, traits fins, cheveux, barbe et moustache blanche parfaitement entretenue, nez droit et peau sombre. Toujours habillé en chemise et pantalon. La classe indienne. Son fils est encore plus impressionnant car il fait facilement 1m80, des épaules de nageur et arbore en plus un léger catogan ce qui lui donne un air de pirate quand il est en short long. Doublement la classe indienne), chaque matin il effectue son petit parcours habituel consistant à rallumer les bâtons d’encens (notamment devant un autel dédié à Ganesh, le dieu qui barri) et les petites bougies à chaque étage, puis à redescendre au rez de chaussé pour effectuer une courte prière devant la photo d’un homme âgé et souriant à la barbe blanche (qui n’est PAS le père Noël), pour finalement toucher le portrait avec une rapide courbette. Seulement à ce moment là est-il disponible pour me donner une explication valable à la disparition d’une de mes paires de chaussettes et son remplacement par une autre plus pourrie à la dernière lessive.

Si vous sortez de la guest house vers ces heures vous noterez juste devant l’escalier sur la rue un joli motif symétrique tracé avec ce qui ressemble à de la craie. Vous pensez bien que j’évite soigneusement de marcher dessus, premièrement, pour ne pas abîmer cette très jolie œuvre dont l’aspect change tous les jours, mais également de peur que ce soit un puissant talisman anti-con qui me vaporiserai instantanément dans les limbes. Assez rapidement, on constate que cette lubie artistique n’est pas l’apanage de la Kailash Guest House mais est partagée par de nombreux habitants de Pondichéry. En voici notamment un petit aperçu.

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J’ai donc demandé un soir au propriétaire ce que tout cela signifiait. L’origine provient d’une tradition hindou qui consiste à partager sa nourriture avec tous les êtres vivants de la création en déposant un petit tas de poudre de riz ou d’autres nourritures devant sa maison. Au fur et à mesure les gens se mirent à tracer des formes alambiquées, histoire de foutre la grosse tehon à son voisin, pour finalement laisser tomber le fond et ne garder que la forme. De nous jours, tout le monde utilise de la craie. Au moins, ça n’attire pas les fourmis. Cela fait lever les yeux au ciel sur la véritable profondeur spirituelle des gens « religieux ». Mais bref, le cynisme sur la religion, je le réserve pour un peu plus tard.

A ce propos, si vous vous baladez le soir vers 19h30 du côté du temple Manakula Vinayagar (ne croyez surtout pas une seule seconde que j’ai mémorisé ce nom), là où opère l’éléphant Lakshmi, vous ne manquerez pas d’observer plusieurs scènes amusantes. Tout d’abord, notre pote l’éléphant est occupé à bénir les passants en leur donnant une petite tape de sa trompe, ce qui provoque quelques commotions cérébrales. Puis ensuite, vous noterez un curieux attroupement de gens en deux roues à la sortie du temple. Une fois l’éléphant parti, des prêtres torses nus en dhoti safrans (un habit traditionnel consistant en un long tissus que l’on noue autour de la taille et qu’on repli au niveau de l’entre jambe, porté notamment par les pêcheurs et les gens pauvres) entament une séance de bénédiction des deux roues avec une lampe à la fumée grasse. Autant vous dire que, vu le monde, le processus prend du temps. C’est sans doute moins cher que de prendre une assurance tout risques mais je ne jurerai pas de son efficacité.

Finalement, chacun se représente les indiens avec une tâche sur le front et ils ont bien raison. Ce n’est pas forcément systématique mais c’est très très fréquent. Il peut également s’agir d’un ou plusieurs traits horizontaux ou verticaux, de couleur blanche ou jaune, qui pourraient aussi bien, pour ce que j’en sais, être des traces préalables à une future lobotomie. Ce qui est amusant c’est de constater les degrés de fraîcheur de ses marques en fonction des fêtes religieuses. Avant, elles ressemblent à une croûte dé-séchée et effritée mais après elles resplendissent de leur couleur vive. En tout cas, du fait de leur banalité, j’ai complètement oublié de demander leur signification. Assez surprenant pour moi, j’ai pu apercevoir également de nombreux enfants et femmes le crâne rasé. Il me semble que pour les enfants il s’agit d’une sorte de rite de passage mais pour les femmes je n’en ai strictement aucune idée.

Pour conclure, je me dois de partager avec vous cette remarque glanée au détour d’un musée à Mumbai concernant l’apport de l’Inde au monde moderne. Selon l’auteur de cette remarque, l’Inde nous apporte une vision holistique du monde par opposition à une vision rationnelle de l’occident. Voilà. Donc je ne connaissait pas vraiment la signification de ce mot « holistique » mais si ça n’implique pas « rationnel », je ne peux être que d’accord. Hors, je viens d’en lire la définition. Une démarche holistique est une démarche qui tend à comprendre les phénomènes dans leur ensemble. Donc pour comprendre l’Inde il ne faut surtout pas essayer de comprendre chaque petit fait et geste mais la prendre dans son ensemble. Ce qui est doit être considérablement épuisant vu la taille et le nombre. Ça ressemble aussi un peu à une excuse facile, si vous voulez mon avis :

« Mais dis moi, pourquoi le monsieur fait caca sur le trottoir ?

  • Non mais cherche pas. Tu es trop rationnel. Adopte une démarche holistique et voit plutôt ça dans son ensemble en te mettant à une échelle cosmique.
  • Ah. N’empêche que cosmiquement parlant, il fait caca sur le trottoir.

Non, décidément, cette Inde est vraiment mystérieuse.

J’aime les pâtisseries indiennes

Côté nourriture, s’il y a une chose que je garderai en Inde, ce sont les pâtisseries. Toutes ces histoires de plats en sauce épicé, moi je trouve qu’ils en font trop. De toute façon on ne sent plus rien avec tout ce goût piquant. Non, non, la véritable perle culinaire de l’Inde, c’est les incroyables petites pâtisseries d’une finesse exquise et notamment celles confectionnées par la chaîne de magasin Sri Krishna Sweets, dont une succursale se trouve en bas de ma guest house en traversant la rue. Si vous y allez le matin, commandez quelques sonpapdi natures et une poignée de burfis à la mangue, le tout avec un petit café. Mazette, ça claque sa reum.

Je vais tenter de vous décrire l’expérience culinaire qui consiste à déguster un sonpapdi (nature ou au chocolat, bien que je préfère le nature). Imaginez un petit cube de 5cm de long, 5cm de large et 2cm de haut de couleur beige. Vous le prenez délicatement entre votre pouce et votre index. Vous percevez une douce sensation légèrement sablée. Vous humez son parfum qui exhale très légèrement la cardamone et le ghee. Vous portez sans plus tarder le sonpapdi directement à la bouche car il est huit heures du matin et vous n’êtes plus qu’un ventre. Sur la langue, vous sentez la matière sucrée commencer à fondre tout doucement. Vous croquez dans le cube et vous poussez un petit cri de surprise. La texture est fibreuse mais sablée à la fois. Chaque petit fibre du biscuit vient fondre sur votre langue tel un Immodium lingual, laissant un agréable goût sucré. Vous refrénez un rire de plaisir et mordez une nouvelle fois dans la pâtisserie. De nouveau vous poussez un cri, plus long cette fois ci et lâchez un éclat de rire hystérique. Finalement vous attrapez les deux autres cubes en vous les fourrant à pleine main dans la bouche, mâchez comme une bête décérébré, émerveillé par la sensation fibreuse à chaque mastication et poussant des hurlements de loups tout en dardant des regards possessifs aux gens alentours.

Respirez.

Faites passer le tout avec un petit café. N’oubliez pas de vous brosser les dents.

Les gens du Tamil Nadu

Il est grand temps que je vous parle des gens du Tamil Nadu. J’aurai pu dire « les gens de Pondichéry », mais comme Gingee n’est pas dans le territoire de Pondy et que j’y ai fait des rencontres sympathiques, je généralise massivement en englobant tout l’état. Oui, j’ai envie de généraliser aujourd’hui, même si chacun s’accorde à dire que c’est une connerie. De la même manière que j’ai envie de généraliser en affirmant crânement que tous les garçons pré-pubères d’Hampi ont perdu leur innocence. Voilà, comme ça, cela fera deux conneries d’écrites pour le même prix.

Tout d’abord, sans vouloir généraliser (je suis en pleine contradiction d’avec moi même), les tamouls me paraissent mieux nourris que les gens d’Hampi ou la majorité de mes congénères de Santa Cruz (East) à Mumbai. Les hommes sont parfois même assez costauds et ventripotents, voir grassouillets ce qui est une marque de bonne santé. On aurait presque envie de leur pincer la joue. Ceci dit, la plupart des gens restent relativement frêles malgré une pilosité importante au niveau de la lèvre supérieure pour la gente masculine.

Ensuite, sans vouloir généraliser (maintenant que j’y suis), je trouve les filles de Pondichéry plutôt jolie. On pourrait presque en faire un titre de chanson d’ailleurs, ça sonnerait du tonnerre. Je ne sais pas trop pourquoi à vrai dire. Mangent elles à leur faim ? Sont elles légèrement métissée ? Est-ce le bon air marin ? Le mystère reste entier. Il faut dire qu’un nombre important d’entre elles, comme à Mumbai dans certains quartiers plus riches, s’habillent un peu à l’occidental. Je ne veux pas être désobligeant avec le sari, mais je fini par l’associer avec « vieille femme acariâtre ».

Voilà pour l’aspect physique. Mais qu’en est-il du comportement ? A ce propos c’est fatiguant de devoir vous souffler les questions en permanence. Et bien pour ce qui est du comportement, je vais vous parler des quelques rencontres sympathiques que j’ai pu avoir.

Premièrement, alors que je me reposait tout flasque assis sur un banc du parc Bharati, à l’ombre en train de lire sur la liseuse électronique un passage particulièrement original des aventures du capitaine Bolitho, qui devait sans doute ordonner une nouvelle fois de larguer les chaloupes avant un combat. Il n’arrête pas. On voit que ce n’est pas lui qui les paye, les chaloupes. Mais, bref. J’étais donc tout absorbé dans la manœuvre, quand je sens une nouvelle présence à ma gauche, partageant mon banc. Dans un pays de près d’un milliard d’habitant, je ne vais pas m’énerver parce que quelqu’un partage mon banc. Assez rapidement, mon voisin rompt le silence en me demandant si ce que je tiens dans la main est un téléphone portable. C’est vrai qu’on en fait maintenant des très gros. Je lui explique donc que c’est un livre, et le sentant curieux, on engage un peu plus la conversation avec, rappelez-vous, le classique questionnaire en trois questions : pays d’origine, nom, métier, âge, statut marital. Une vingtaine d’année, un peu maigre, une fine moustache naissant, habillé en jean et polo bleu, je découvre au fur et à mesure Satiraj, un jeune étudiant en mathématiques de l’université de Chennai, descendu à Pondy passer quelques vacances chez des amis. La conversation se fait dans un anglais imparfait car il n’a commencé à l’apprendre qu’à l’université. Il me raconte qu’il vient d’une famille pauvre du Tamil Nadu, non loin du Karnataka (je me crispe dés qu’on évoque un état de pauvreté, attendant une demande d’argent), mais que de ses frères, il est le seul à avoir pu faire des études supérieures. On parle futur et il m’explique qu’il va entamer à la rentrée deux années d’études de droit pour devenir juge, son ambition. Malheureusement, il va falloir qu’il potasse sérieusement son anglais, car à ma connaissance, c’est la langue officielle de toute l’administration. Pendant deux heures, on parle voyages, de Chennai et d’autres choses de la vie quotidienne mais je garde de Satiraj le souvenir d’un petit gars souriant et avec une ambition qui faisait plaisir à voir. Même si je regrette qu’il ai abandonné les mathématiques. Et en plus il ne m’a même pas demandé de l’argent. A vrai dire, il m’a même affirmé qu’il viendrait tout les jours à la même heure sur le même banc au cas où je serai là pour poursuivre la conversation. Chose que j’ai complètement oublié le lendemain, ingrat que je suis.

Une autre fois, alors que cette fois-ci je contemplai tranquillement l’agitation contenue de l’avenue Goubert en soirée (le front de mer, si vous avez bien suivi), assis sur un banc avec mon appareil photo prêt à mitrailler la moindre petite scène sympathique, je suis abordé par un larron, relativement jeune et non moustachu, muni de petits tambours pendant autour du cou. Je le regarde et il se met à jouer d’un tabla en faisant moduler la hauteur comme les pros. Moi la musique j’aime bien. Il me demande si je veux acheter une de ses percussions, mais je lui explique en rigolant que c’est trop gros et que ça ne rentrera jamais dans mon sac à dos. On papote alors qu’il tente régulièrement de me vendre une autre de ses percussions en précisant qu’elles sont faites maison, par ses soins, en peau de chèvre ou de touriste, qui sait. Comme je n’arrête pas de lui poser des questions sur comment il les fabrique, il fini par s’asseoir à côté de moi, et sentant qu’il commence tout doucement à lâcher sa démarche commerciale, je lui demande s’il est musicien, s’il joue dans des concerts et d’où il vient. Figurez-vous que Raj, car tel est son prénom, vient de Varanasi (donc au nord de l’Inde), la ville sacrée, qu’il joue des percussions (notamment le djembé honni depuis que tout le monde en France a décidé que c’était cool d’en jouer dans les parcs à toute heure) pour des mariages et autres événements mais qu’il gagne également de l’argent en vendant ses propres instruments à Pondichéry ou à Goa, deux endroits touristiques et assez festifs d’Inde. On a donc une joli conversation nocturne autour des percussions (c’est un grand fan des darboukas et autres percussions nord africaines) et finalement, avant qu’il ne se lève pour reprendre sa vente, je lui file 100 roupies car il faut toujours supporter les musiciens. Mais ses percus, il peut s’asseoir dessus même si j’adore le bruit qu’il fait avec ses tablas : pooïiii, pooïiii. D’ailleurs il m’en fait un rien que pour moi avant de partir en me saluant. Poooïiii, Brave gars ce Raj.

Encore plus exotique, alors que je cruisait nonchalamment en scoutaire au sud de Pondichéry, je décide de partir au hasard explorer la bande de terre séparant la grande route partant vers le sud et le front de mer. Je prends une première route à gauche et après quelques minutes rebrousse chemin. Rien à voir par là. Je retente un peu plus loin et après quelques méandres dans une sorte de village ou j’évite quelques poules et autres ralentisseurs, je retombe sur la grande route. Encore raté. Au troisième essai, me fiant à mon sens de l’orientation, à la direction du soleil et au hasard, je tombe sur un nouveau petit village muni de hauts-parleurs diffusant une musique festive. Voilà qui est curieux. Je progresse à vitesse réduite pour éviter quelques enfants qui me font « hello » et des vieilles qui me tirent la tronche et après un rebroussage de chemin devant un trio d’indiens qui m’avaient pourtant jeté des regards surpris et interrogatifs à l’aller  (oui, bon, ça va, j’explore quoi!), je tombe sur une petite place donnant sur la plage. Une grande scène est en train d’être installée dos à la mer avec éclairages et amplification. Ceci explique donc l’ambiance festive : il se prépare quelque chose. Je pose mon scoutaire et, devant le regard de quelques villageois, me dirige vers la plage d’un pas assuré (toujours donner l’air de savoir où on va, c’est important). DSC_5315_DxODe multiples barques colorées jonchent le sable pendant qu’un groupe d’hommes bavarde à l’ombre des cocotiers en reprisant un filet. Je m’assois dans un coin à l’abri des barques pour tenter de photographier subrepticement les pêcheurs. Au bout d’un moment, alors que je contemplais une nouvelle fois la mer (j’ai l’impression de faire que ça en me relisant), des bruits de pas dans le sable m’alertent à ma droite. Je lève les yeux et un tamoul plutôt trapu et moustachu se dresse au dessus de moi en habit traditionnel. On se dit bonjour mutuellement via un échange cordial de vanakaams et s’engage alors une conversation en pseudo-anglais ultra simplifié soutenu par de multiples gestes. Pendant une heure on converse ensemble (je divulgue naturellement mon nom, mon pays d’origine et de toutes ces sortes de choses) et je comprends que mon interlocuteur est un pêcheur. Surpris de voir autant de barques sur la plage et personne en mer, il me réponds que le village est en train de préparer la grande fête du temple qui commencera demain après midi pendant trois jours. Les pêcheurs ne reprendront la mer que lundi (et oui, nous étions jeudi) et d’où l’agitation autour de la scène. Et bien figurez-vous que j’ai réussi à tenir une conversation ultra simplifiée avec lui sur l’influence de la mousson sur la pêche, sur le prix des poissons et divers autres petites choses malgré une barrière de la langue plutôt haute. Résultat, il m’a invité à venir à la fête le lendemain en me promettant qu’il y aurai plein de bonnes choses à manger. Si, si. Mais comme je suis un pleutre, que je ne me sentais ni de relouer un scooter une deuxième fois, ni de prendre un bus, ni d’y aller tout seul, je n’y suis pas allé. Peut être le regretterai-je un jour.

Jusqu’ici je ne vous ai parlé que de rencontres masculines notamment avec des moustachus. Mais il m’est également arrivé d’interagir avec des femmes. Tenez, pas plus tard que la fois où je déambulait un matin sur le front de mer de Pondichéry (encore???!) à la recherche d’une bouteille de Pepsi. A peine avais-je dévissé la sus mentionnée bouteille, qu’une petite bonne femme d’âge avancé en sari bleu et blanc me lance un « Vous êtes français ? » avec un merveilleux léger accent créolisant.

  • Oui, tout à fait. Mais comment se fait-il que vous parliez si bien le français?
  • Je suis créole. J’ai appris chez les bonnes sœurs.

Et voilà, encore un ordre religieux qui force les jeunes filles tamoules à apprendre le français. Bel esprit colonialiste, ça encore, pense-je. Et bien pas tout à fait. La dame en question, orpheline, fut recueilli (comme de nombreuses autres) par l’ordre de Saint Joseph de Cluny (l’autre grand propriétaire foncier de Pondy). On lui y donna une petite éducation, notamment un apprentissage du français totalement convaincant et y réside encore actuellement. Sentant qu’elle avait un certain plaisir à parler la langue de Jean Sarkozy (oui, Molière ça fait trop cliché), je la presse de quelques questions sur Pondichéry et, bien entendu, passage à Chalon-sur-Saône oblige, du lien entre Saint Joseph de Cluny et la ville de Cluny. Je ne sais pas si elle a bien compris ma question, mais si c’est le cas, il y a effectivement un lien, mais de quelle nature, je ne le sait point. Fort heureusement, Wikipédia est là pour vous.

Finalement, dans le chapitre rencontres notables avec les gens du Tamil Nadu (je vous parle des plus marquantes et passe sous silence les deux trois autres étudiants et autres vendeurs croisés), je ne peux omettre cet épisode incroyablement flatteur pour mon ego. Alors que je marchait au milieu des ruines du palais à Gingee (vous remarquerez que je passe mon temps à marcher, flâner ou déambuler), j’entends un « hello !» derrière moi, vers ma gauche. Il faut que je vous précise que cela faisait déjà au moins cinq fois que j’avais été interrompu par des « hellos » au cours de ma visite, toujours avec le sourire et toujours pour les mêmes questions. Sauf que cette fois-ci, je découvre deux jeunes femmes accroupies sur l’herbe, des cahiers devant elles. Voilà qui est moins commun. D’habitude je suis interpellé par des jeunes gars à peine moustachus ou de jeunes enfants curieux. Il m’est même arrivé à Gingee de devoir décliner (timing et soif oblige) une invitation à la conversation par un groupe de cinq jeunes gens, dont un habillé en femme dans un sari vert. Véridique. Mais revenons à nos deux jeunes femmes. Une des deux, en sari jaune, me répète l’invitation : « hello ». Je réponds avec le sourire et me dirige tranquillement vers elles, ayant un peu l’habitude maintenant. Quand on est une rock-star, il faut savoir donner à son public. D’un anglais plutôt bon, mais un peu hésitant, la moins farouche des deux me demande de quel pays je viens, si je suis à Gingee pour plusieurs jours, ce que je fait en Inde, bref, des questions un peu originales. Elle aussi a manifestement plaisir à tester son anglais sur un étranger (car tous les étrangers parlent anglais, bien évidemment). Assez rapidement, néanmoins, elle me pose LA question que ce posent tous les indiens : are you married ? A ma réponse négative, elle est toute surprise et me demande pourquoi. Je lui explique qu’en Europe, ce n’est pas comme ici, et que nous sommes tous des dépravés libertins depuis les années soixantes. Bien entendu, je simplifie pour que ça rentre dans notre champs lexical commun. A mon tour, je demande si elles sont étudiantes et la plus délurée (la seule qui me pose des questions, d’ailleurs) m’informe qu’elles sont encore au lycée mais qu’elles iront à l’université l’année prochaine. Elle est vraiment pas farouche pour une indienne, dites donc. Assez intriguée par mon statut marital, elle me demande si je vais me marier à mon retour de voyage auquel je réponds un « peut être, qui sait », bien normand. Ne lâchant pas l’affaire sur cette histoire de mariage, elle me demande si j’épouserai une indienne. Mais pourquoi pas, enfin pas une lycéenne, non ça c’est sur. Je leur avoue que je trouve les filles de Pondichéry particulièrement mignonnes (je généralise, rappelez-vous) et la jeune lycéenne en sari jaune me demande si j’aime les filles du Tamil Nadu. Tout ceci me fait gentiment sourire car cela vire tout doucement au flirt. Elle continu en me demandant si je l’inviterai à mon mariage. Et bien je ne sais pas, pourquoi pas. Finalement, je décide d’abréger poliment la conversation et leur souhaite la bonne journée avec le sourire. Avant que je parte, la jolie délurée me demande : « can I have your telephone number ? ». Décidément, elle n’est vraiment pas farouche pour une indienne. Je décline poliment et repart en marchant vers mon ascension de la deuxième colline.

A peine avais-je marché cinq minutes que j’entends un bruit de mobylette venant derrière moi. Je me retourne et reconnais mes deux lycéennes, avec la plus délurée au guidon. Elles descendent précipitamment et ma groupie me demande si j’accepterai d’être pris en photo avec elle. Ruisselant de sueur, mon polo me collant au torse, je cède à ma curiosité et lui demande pourquoi en rigolant. « Because you are so beautiful ! », me répond elle.

Ce n’est pas moi qui l’ai dit et je n’ai rien à ajouter.

Gingee

Non loin de Pondichéry, à quelques 70km au nord-ouest se trouve la ville de Gingee (que l’on prononce « jinji », je crois). Ça me fait une belle jambe me diriez vous, mais il se trouve que c’est également le lieu d’un ancien complexe de forts construit initialement au 9ème siècle et qui passa ensuite de mains en mains en fonction du pouvoir du moment. Initialement construit par l’empire Chola, il fut ensuite repris par l’empire Vijayanagar (oui, tout à fait, le même qu’à Hampi), puis Moghol (le Taj Mahal, c’est eux) et enfin britannique (Big Ben, c’est eux). Chacun apporta sa petit pièce à l’édifice, sauf les britanniques, car il faisait trop chaud. Mais surtout, l’histoire retiendra que ce fut l’occasion pour moi d’une petite sortie journée avec un mémorable aller-retour en bus.

Départ le matin relativement tôt car mine de rien, 70km en bus en Inde, ce n’est pas la porte à côté. Il faut compter facilement deux heures de trajet. On irait presque plus vite à vélo. Je m’apprête donc à entamer la première étape du voyage en demandant au propriétaire de la guest house (dont je vous parlerai sans doute dans un autre billet car il incarne à lui tout seul par son physique toute la noblesse indienne) son estimation d’une course de rickshaw vers la gare routière de Pondy. Pour avoir fait ce trajet deux fois à pieds, je le savais être de distance moyenne, proche de quarante minutes de marche. L’estimation tombe : autour de 60 roupies.

70 roupies plus tard, me voici arrivé à la gare routière où commence la sempiternelle période d’observation des lieux à la recherche d’un éventuel panneau « départs ». Non, je plaisante. Je ne cherche même pas, d’une part car je commence à avoir l’habitude et surtout car j’avais déjà repéré les lieux. Je me dirige donc directement vers un comptoir quelconque (oui car il y a plusieurs compagnies de bus), et interrompt le préposé dans ses travaux (dont je n’identifie pas la nature) en demandant, après un vanakaam d’usage, « Where is the bus to Gingee ? ». Je suis quand même poli. Au passage, « vanakaam » veut dire bonjour en tamoul. Je me rends compte assez rapidement que contrairement à ce que je vous ai dit plus haut, Gingee ne se prononce pas « jinji » car une incompréhension évidente se lit sur les traits de mon interlocuteur. Heureusement, j’avais été prévoyant, et sort mon petit carnet où j’avais inscrit les six lettres « GINGEE », carnet que je fourre dans le champs de vision du préposé. Il me fait un vague signe derrière moi à gauche en disant « tirouvanamalaï ». N’étant plus né de la dernière pluie, et ayant au préalable potassé le sujet, j’acquiesce et me dirige vers la plate-forme indiqué : Tirruvanamalai est la grande ville dans la direction de Gingee. Néanmoins, je constate que mon cerveau a toujours du mal à retenir ces noms de villes indiennes que je massacre encore de mémoire en tiruvanalaman ou tiruvaïlamanam. Si toutes les villes pouvaient s’appeler Gingee ou Goa, ce serait plus simple.

DSC_5347_DxOJe repère un bus garé, de marque Ferrari, avec un panneau derrière le pare brise indiquant en alphabet tamoul et latin ma destination. Les bus locaux ne sont pas de première jeunesse mais ça m’a l’air rustique et costaud. De plus, il me tarde d’entendre rugir le V12 atmosphérique de Maranello qui doit se cacher sous ce capot anodin. Je patiente donc en observant les gens, mon occupation favorite. Rapidement je constate des mouvements dans le bus. Des personnes commencent déjà à s’asseoir. Je DSC_5351_DxOprends donc les devants et m’approche d’un préposé non loin du bus en lui demandant « Gingee ? », un doigt pointé vers le bus. Affirmatif. Parfait. C’est presque trop facile que ça n’en devient plus drôle. Je monte donc et me pose à l’arrière afin de pouvoir mater mes congénères.

Quelques minutes plus tard, le bus au trois quart rempli, nous démarrons. Bon et bien c’est raté pour le V12. On est plus proche du gros mono cylindre quatre temps. Une douce musique pop indienne lutte contre le bruit du moteur pendant que nous quittons la gare routière. Je n’ai pas honte d’avouer que je ne déteste pas, surtout le deuxième morceau avec une montée de cordes que même John Barry ne fait plus depuis les années 60 et qui s’enchaîne avec une rythmique tabla / tambourin du tonnerre, le tout soutenant une mélodie chantée par une soprane doublement émasculée. Oui, je tapote du pied là dessus. Nous quittons péniblement Pondichéry en s’arrêtant tous les cent mètres pour laisser quelqu’un monter ou descendre. A ce rythme là, on n’est pas rendu.

Effectivement, quelques deux heures plus tard, nous n’étions pas rendu et c’est finalement plutôt après trois heures de trajet cahotant que nous parvenons finalement à la gare routière de Gingee. Je me béni de multiples fois d’avoir potassé mon Lonely Planet, car mon seul indice pour identifier l’arrêt est une ruine de ce qui ressemble à un fort, au sommet d’une colline au bord de la ville. Et puis d’abord même si ce n’est pas Gingee, vous n’en sauriez rien. A part ça, aucune annonce, rien du tout ou alors en alphabet tamoul.

Je descends du bus avec plusieurs autres personnes dans une ambiance poussiéreuse et suis assez rapidement mordu au mollet par la meute habituelle de conducteurs de rickshaws. Je décline, comme d’habitude et m’engage le long de la grande rue, à la cacophonie habituelle, en gardant à l’œil le fort sur sa colline, au loin à gauche. Ma tactique consiste à prendre la première grande rue à gauche pour se rapprocher du fort. Dix minutes plus tard, en nage, je décide d’abandonner n’ayant croisé aucune route digne de ce nom (justes quelques misérables allées sentant le cloaque). Je rebrousse chemin et me prépare mentalement à prendre un rickshaw.

DSC_5380_DxOAllégé de 100 roupies et après un minuscule trajet de cinq minutes (l’ordure!), le rickshaw me dépose sur une route, devant une grande allée de terre menant à la colline aperçu. C’est déjà assez impressionnant vu d’ici et l’ascension va être poisseuse, je le sens. En réalité le site regroupe trois collines d’une nature très proche de Hampi car également granitiques. De la même manière, de gros blocs habités par quelques singes parsèment le paysage.

DSC_5357_DxOLe premier fort visité, le moins haut, permet déjà d’avoir une superbe vue sur l’ensemble du complexe et sur la ville de Gingee (qui n’a pas énormément d’intérêt). L’endroit est vraiment sympathique et un petit air frais souffle au sommet. J’en profite du coupDSC_5365_DxO pour refroidir après une montée qui me laisse humide et collant. Je fini ma première bouteille d’un litre et attaque mon déjeuner consistant en un anodin sandwich fait maison pain en tranches, tomate et fromage sous plastique pour respecter le cesser le feu négocié avec mon estomac.

La deuxième partie du complexe se situe de l’autre côté de la route. Au pied de la colline on trouve les vestiges d’un ancien palais dans un très agréable espace paysagé. Au passage, les préposés à la billetterie se foutent de ma gueule en voyant mon ticket acheté au premier fort, désormais dans un état DSC_5385_DxOlamentable après les litres de sueurs absorbés pendant la première ascension. La deuxième est pas mal non plus d’autant plus que l’heure avance et le site ferme à 16h. Cette deuxième colline est encore plus haute et le fort plus important. Une petite heure plus tard, la vue est splendide eDSC_5391_DxOt la lumière devient intéressante. Malheureusement, on est rapidement invités à se hâter pour redescendre avant la fermeture du site. Je repart donc assez rapidement après avoir éclusé ma deuxième bouteille d’eau et me retrouve à sec.

Juste avant la fermeture je suis de nouveau en bas et me dirige directement vers un vendeur ambulant pour lui acheter une bouteille de Coca frais et un nouveau litre d’eau. Oui car au final, toute cette journée se résume à des histoires d’approvisionnement en boisson. Il me reste encore à retourner prendre le bus à Gingee pour être de retour à Pondy en soirée. Cette fois-ci, il est hors de question qu’un rickshaw me rackette et je part donc à pied vers la ville. Fort DSC_5390_DxOheureusement, le soleil étant un peu plus bas désormais, la ballade n’est pas désagréable, hormis quand j’arrive en ville ou je note quelques attroupements de gens à un croisement ce qui m’oblige à me frayer un chemin sur la route. J’ai envie de demander, et alors ?

Je me retrouve donc de nouveau à la gare routière de Gingee et sans perdre trop de temps dans des simagrées d’occidentaux pourris par le confort, je demande au premier type habillé en marron caca d’oie : « bus pondichéry ? ». Il me réponds par la négative puis me fait un signe par où je suis venu en me lançant un « crossroad, crossroad ». Ah. Je sens que ça va redevenir intéressant tout à coup. Je rebrousse donc chemin en espérant que l’arrêt de bus pour Pondy ne se trouve pas quelque part au niveau des attroupements que je venais de croiser. Premièrement, je note qu’il y a trois attroupements différents, espacés d’environ vingt mètres chacun, sans aucune indication particulière. Ce sera donc la loterie complète pour savoir où attendre. Deuxièmement, je note rapidement que chaque bus qui descend en dessous de cinq kilomètres heures à proximité d’un attroupement se fait littéralement assaillir. Et troisièmement, après trente minutes d’attente, force est de constater qu’aucun bus n’aborde une indication en alphabet latin, contrairement à ce matin à Pondy. Et pas de trace d’un bus Ferrari. Ca va être coton.

Je me résout donc à utiliser un joker et demande au premier quidam avec un vague air d’éducation (en espérant qu’il parle anglais) comment faire pour reconnaître le bus pour Pondichéry. Est-ce un coup de bol ou est-ce Vishnu qui me protège, le gentilhomme me répond avec un sourire « I go to Pondichéry. Follow me ». Le saint homme. Nous attendons donc quelques minutes pendant lesquels deux ou trois bus passent en lâchant et attrapant des grappes humaines. Un autre bus amorce sa décélération cinquante mètres en amont et mon bon samaritain se penche pour tenter de déchiffrer son panneau. Tout à coup il se retourne vers moi et me fait un signe. Nous nous mettons à jogger avec d’autres vers le bus qui s’arrête à vingt mètres devant un autre attroupement. On tente de s’insérer dans le bus bourré et je parviens plus ou moins à caser mon sac à dos entre mes pieds. Malheureusement, le trajet se fera debout et mon sauveur me fait un sourire suivi d’un haussement d’épaule. Je réponds par un sourire parce que, merde, on n’est pas des bourgeois quoi ! Si les indiens peuvent le faire, je peux le faire : trois heures de rodéo debout !

Au final, après une heure de trajet où chacun s’accroche comme il peut dans les cahots, freinages et accélérations du bus, quelques personnes descendent. Pour une raison que j’ignore (de la gentillesse sans doute et l’envie de satisfaire un étranger), deux ou trois indiens (en même temps, je suis le seul étranger) m’enjoignent de prendre une place assise libre, en insistant. Bon, bon et bien ssank you. Je m’assoit et profite des deux dernières heures à observer le paysage dans le brouhaha habituel des grincements mécaniques, de la musique et des conversations. Finalement on arrive à Pondy en début de soirée, alors que le soleil décline, et je me paye un dernier tronçon en rickshaw vers la guest house, au tarif de 80 roupies. Ça avait encore augmenté, les salauds !