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La tombe d’un japonais

Les gens sont formidables. Et certains vietnamiens sont vraiment encore plus formidables que d’autres. Je pourrai vous laisser là dessus et reprendre le court normal de ma vie qui est présentement de manger une pomme mais je ne goûte pas trop à la torture psychologique. Non, moi je préfère la torture physique sur des petits animaux sans défense. Mais je m’éloigne encore du sujet.

Au court de ma ballade à vélo dans les environs de Hoi An (il m’est pénible de devoir subtilement faire un rappel des épisodes précédents donc j’aimerai que vous soyez un peu plus assidus), quelque part vers la fin, alors que je revenais sur la longue ligne droite de la route de Da Nang et que de lourds nuages menaçants commençaient à dominer le paysage, je décidai de prendre un brusque virage à gauche (oui, les lourds nuages menaçants étaient un leurre narratif). La raison en était fort simple : je venais d’apercevoir un nouveau petit chemin de terre qui traversait les rizières et une sorte de petit monument dans cette direction. A partir de maintenant je vais passer le temps de la narration au présent pour que vous soyez encore plus immergé dans l’action qui s’annonce drôlement trépidante.

Je m’engage donc dans le chemin de terre en pédalant, le vélo tout couinant, en croisant un autochtone au chapeau conique qui me hèle. Étant de nature extrêmement ouverte depuis maintenant dix jours, je m’arrête. Chic, une nouvelle interaction avec un de ces sympathiques indochinois, pense-je. J’attends qu’il arrive à ma hauteur et tout de suite me dit, en anglais bien sur (je me permet donc de basculer automatiquement en sous-titrage français pour les moins anglophones d’entre vous) et en pointant son doigt vers l’espèce de monument à deux cents mètres :

« Il y a une tombe d’un homme japonais, là-bas.

  • Ah ?
  • Oui. Homme japonais amoureux femme vietnamienne.
  • Ah ? Ok. Merci beaucoup.

Je repart sur le chemin, cahin, cahan et jette mon vélo à gauche sur l’étroit chemin en béton menant à la tombe.

« Stop ! No ! No ! », crie alors l’homme au chapeau conique. Je freine donc brutalement, enfin, autant que le peuvent mes freins usés et attend qu’il revienne encore une fois à ma hauteur.

« C’est sacré. Vous pouvez pas avec le vélo !, me dit-il

  • Ah, pardon. Désolé.

Il me prend donc le vélo, met la béquille et m’entraîne par le bras sur le chemin. Alors que nous marchons vers la tombe (qui est bien à cent mètres) il commence à me montrer les rizières en m’expliquant qu’elles sont à lui. D’ailleurs, il descend dans une rizière, arrache une touffe de riz et me propose de le prendre en photo. Moi, faut pas me le demander deux fois. Clic.

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Il me propose ensuite de me prendre en photo avec le chapeau conique en train de faire semblant de recueillir le riz. Là, par contre, aucune chance. C’est une idée très bête, si je peux me permettre.

Nous repartons donc vers la tombe et il commence à m’expliquer l’histoire du japonais. Pour résumer, car je ne me souviens plus trop des rebondissements, je ne serai pas dans le faux si je vous disait qu’il s’agit d’une version vietnamienne de « Roméo et Juliette » avec notre homme japonais dans le rôle de Roméo et la jolie vietnamienne (enfin, j’imagine qu’elle n’était pas moche) dans le rôle de Juliette. Le contraire aurait fait encore plus sensation à l’époque.

Arrivé à la tombe, mon guide improvisé qui est très bavard et enthousiaste, me montre une dame courbée en deux dans les rizières en contrebas, en train de trimer.

« C’est ma femme.

  • Ah, bien. Sin tchao.

Je ne sais pas s’il se rend compte de l’image qu’il donne en disant ça mais j’estime qu’un gars qui glande le long de la route et qui amène le premier venu montrer sa femme bosser est un peu fainéant sur les grandes largeurs. Après, je ne suis pas d’ici. Peut être s’agit-il d’une marque de fierté.

J’ai à peine le temps de finir de dire bonjour à sa femme qu’il me reprend le bras et s’agenouille devant la tombe en me faisant signe de faire pareil. Il part ensuite cueillir une fleur de lotus et revient me la donner en m’indiquant qu’il faut que je la place dans un petit vase prévu à cet effet. Moi, je m’exécute bêtement. Ensuite, toujours suivant ses indications, nous effectuons trois courbettes les mains jointes. Qu’est-ce qu’il faut pas faire pour faire couleur locale. Dernière étape du rituel, il me propose de laisser un don monétaire dans un petit orifice dans la pierre. Hihihi, s’il croit que je ne la sentais pas venir celle-là. Je prend mon air le plus innocent possible et sort un billet de 2 kDongs (soit dix centimes. Je sais. Je suis un pingre mais j’aime pas qu’on me force la main).

« Non, non, non !, me dit-il avec force oscillation de la tête.

  • Ah ? Bon, ok.
  • Plus.
  • Ah ben non, moi je le connais pas ce monsieur. Je ne vais pas donner plus.
  • Ok, ok.

Il se lève alors, manifestement un peu énervé et je fais de même. Je le remercie et repart vers mon vélo. Ne me serais-je pas conduit comme un gros rapiat d’occidental incapable d’honorer un défunt en faisant offrande d’une modeste somme monétaire ? Ceci dit, il me semble que les vietnamiens font offrandes de faux billets à leurs anciens, donc là culpabilité, ce sera pour plus tard.

Arrivé à mon vélo, je me retourne pour voir arriver mon guide à chapeau conique courant en petite foulée vers moi.

« L’ami, les temps sont durs ici en ce moment présentement donc il me coûte drôlement et je me sens humilié et sale en te demandant si tu ne pourrais pas te délester d’un peu de ton argent en ma faveur ?, me demande-t-il de manière beaucoup plus simpliste, vous pensez bien. Mais dans l’intention, c’était ça. Mon couillon, déjà t’es un peu fainéant sur les bords et en plus t’es un peu maladroit. Je ne lui dis pas, mais j’y pense drôlement. Je lui réponds : « Ah, bien sur. Tenez. » et lui sort de nouveau mon billet de 2 kDongs.

« Non, non. Plus !

  • Ah ? Ok.

Je remet mon billet dans mon portefeuille et me remet en selle. J’aperçois venant vers nous un autre vietnamien. Je commence à pédaler et mon guide mendiant m’appelle :

« Bon, ok pour 2000 dongs. »

En souriant je m’arrête et sort mon billet qu’il empoche en me remerciant. En passant, le nouveau venu qui est arrivé à notre hauteur rigole et donne une tape sur l’épaule de mon guide avec un mouvement de tête qui semble lui dire « T’es pas croyable » ou bien « T’es pathétique ».

Les deux étant totalement vrais.

Vélo à Hoi An

Moi, quand je voyage, j’ai absolument besoin de voir la campagne. Pour moi, c’est le gras d’un pays. C’est bien de voir des villes mais on ne peut réellement sentir la nature d’une culture si on ne s’est pas promené en dehors. Je décide donc de louer un vélo à Hoi An. Pourquoi pas une mobylette, me demanderiez-vous ? Parce que j’ai envie de pédaler et que Hoi An, et bien c’est plutôt plat.

Je me dirige donc un matin à l’accueil de mon hôtel pour louer un bicycle. Le prix est complètement dérisoire puisque de 30 kDongs par jour (soit même pas deux euros, c’est dingue). Côté paperasserie, c’est réduit au minimum, c’est à dire à rien du tout et côté sécurité idem. Même pas une caution ou un otage, que dalle. Je demande quand même s’il y a un antivol et on m’amène un cadenas souple rose et une clé. Vraiment, on ne s’emmerde pas trop avec la sécurité et l’administratif ici, et je dois dire que c’est drôlement plaisant, bizarrement. On me tend donc un vélo en état moyen avec un joli panier devant. Comme tout les vélos se ressemblent je note le numéro marqué sur une petite plaque sous la potence, le 27. Ça peut toujours servir.

DSC_5919_DxOJe part donc gaillardement le sourire aux lèvres sous un chaud soleil de début de journée. La journée promet d’être chaude, très chaude. Je m’économise donc pour limiter ma transpiration. Avec mon sens de l’orientation qui fait ma fierté, je me dirige au jugé vers la plage qui devrait se situer vaguement à l’est, en traversant la vieille ville puis en empruntant une très jolie route qui longe une petite rivière. Je traverse finalement un pont qui enjambe un cours d’eau plus important puis, après avoir parcouru une rue bordée de petits restaurants, tombe sur la plage. Je vous laisse juge de la qualité du sable.

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C’est à ce moment là que je me suis souvenu que je n’avais pas pris mon maillot de bain. En même temps, je n’étais pas plus motivé que ça de prendre l’eau. Avec mon vélo, on avait plutôt envie de partir à la découverte de la campagne. La plage attendra. Je décide donc, après un peu d’hésitation, à suivre la plage vers le sud pour trouver éventuellement un endroit un peu moins « courru ». En plein soleil, je pédale mollement en longeant des résidences hôtelières de luxe sur le front de mer puis quelques maisons un peu humbles côté terre.

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Je quitte ensuite les résidences de luxes en plein activité pour longer une petite digue. Plus loin j’aperçois des bâtiments en construction. Arrivé à leur hauteur je constate qu’il s’agit d’autres hôtels mais très probablement inachevés. Il n’y a plus aucune machine sur DSC_5900_DxOle chantier et les herbes commencent à envahir certains endroits. J’avais entendu parler de ces « resorts » ou complexes touristiques bâtis un peu partout par le gouvernement, parfois vides de touristes voir abandonnés comme celui-ci. Ce doit être le résultat d’une économie planifiée un peu trop ambitieuse, j’imagine.

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DSC_5897_DxOFinalement, je tombe sur un phare et un cul de sac au bout de ce qui est donc une péninsule et découvre un petit embarcadère proposant des visites sur les îles Cham, au large. Il n’y pas énormément d’activité hormis en revenant vers le phare, un groupe d’hommes jouant aux cartes et une femme vendant des canettes de boissons. ToutDSC_5892_DxO le monde est à l’abri sous les arbres. J’achète donc un Coca à la dame et m’assoit sur les petits tabourets en plastique, comme il se doit. Au total, je reste bien une heure à savourer ma boisson et à lire un peu, profitant du farniente et de la chaleur. Il est presque midi et j’ai un peu faim.

DSC_5928_DxOJe repart donc en sens inverse vers Hoi An et m’arrête dans un restaurant de rue pour manger. Comme d’habitude quoi. Pour l’après midi je décide d’aller visiter les rizières autour de la ville et emprunte la route de Da Nang pour m’éloigner. Il commence à faire maintenant sérieusement chaud et le moindre arrêt au soleil fait monter très rapidement la température. Des petits chemins de terre partent de temps en temps vers les rizières et je bifurque sur l’un d’eux, complètement au hasard. Après des méandres je tombe sur un groupe de maisons et emprunte un chemin à l’ombre des arbres. En contrebas, des buffles d’eau se vautrent dans une mare pour se refroidir.

DSC_5917_DxOJe passe comme cela une bonne partie de l’après midi à zigzaguer sur des petits chemins, traversant des groupes de maisons colorées, DSC_5915_DxOballade que j’interromps uniquement par une petite sieste au bord de l’eau à l’ombre de quelques palmiers. Il ne faut pas plaisanter avec cette chaleur. Sur le chemin du retour, je ne résiste pas au plaisir d’une bia hoi pris à l’ombre dans un petit café qu’on croirait improvisé au coin de la route. Au retour à l’hôtel, je pose le vélo et me jette dans la piscine. Je sais c’est complètement indécent de raconter ça.

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La soirée commençant, je reprends un vélo pour aller faire quelques photos au crépuscule dans Hoi An puis pour ensuite me restaurer. Je passe donc quelques heures à mitrailler pendant que le soleil se couche et, alors que la foule commence à remplir tout doucement les rues, je repart avec mon vélo vers le vieux pont japonais pour l’immortaliser en image. Mince, je constate que la rue y menant est interdite aux vélos. Dans Hoi An, la vieille ville est interdite aux voitures et, à certains endroits, aux deux roues. Je pose donc le vélo à l’entrée de la ruelle et met le cadenas, alors que discutent à côté ce qui ressemble à des policiers. Arrivé au pont je prends quelques photos pourries en jonglant avec les autres touristes qui passent puis repart vers mon vélo.

Vous devriez sentir que je parle beaucoup de mon vélo depuis un paragraphe. Il doit y avoir anguille sous roche. Arrivé à l’entrée de la ruelle, je constate l’absence de mon bicycle. Dans ces moments là (surtout moi qui suis incroyablement distrait pour ce qui est des objets) je passe les dix premières minutes à me dire que j’ai encore oublié où je l’avais laissé. Faut vraiment être nouille pour paumer un vélo en cinq minutes. Bon je vous rassure, je me doute bien qu’on me l’a piqué (mon précédent record est d’un vélo volé en dix minutes à Toulouse le temps de rentrer et de sortir de la Fnac) mais vu le nombre de touristes ayant des vélos semblables je me dis qu’il y a peut être eu méprise. Je demande à tout hasard aux deux policiers s’ils auraient pas vu un vélo, là, garé à même pas deux mètres d’eux, mais ils me font mine que non, sans vraiment s’intéresser à mon soucis. Bon, bon.

Je fais un rapide tour des environs, des fois que, et aperçoit vingt mètres plus loin, deux vélos gris semblables au mien attachés ensembles par un cadenas très similaire à celui que l’on m’a donné. Avec ma clé de cadenas, je m’approche et jette un œil au numéro de la plaque : 27. Ah ben te voilà, salopiaud ! Qui s’est qui t’as pris ? Je met donc la clé dans le cadenas et constate que cela ne marche pas. Mince. En m’approchant encore plus, je constate que le deuxième vélo porte également le numéro 27. Du coup, ça ne va pas être simple de le reconnaître, finalement.

Me rendant à l’évidence, je repart à pied à l’hôtel pour annoncer la terrible nouvelle à la dame de l’accueil. En attendant, je m’insulte copieusement pour ne pas avoir attaché le vélo à un arbre. Faut vraiment être naïf. C’est la faute aux vietnamiens à force de sourire bêtement à tout bout de champs, aussi. On se ramollit. J’arrive donc à mon hôtel et m’approche du comptoir avec un sourire navré et en montrant la clé du cadenas : « Je crois bien qu’on m’a volé mon vélo », dis-je

  • Ok, me répond-elle avec un sourire en prenant ma clé.
  • Non mais c’est tout ce qu’il reste du vélo. On me l’a volé.
  • Comment ça ?, me demande-elle soudainement inquiète
  • On m’a volé mon vélo dans Hoi An et pourtant je l’avais attaché avec le cadenas (la mauvaise foi, c’est pas très joli joli)
  • Ah ok. Merci.<silence>
  • Bon, bon. Bonne soirée.

Je m’esquive lâchement. Soit elle n’est pas très émotive, soit ça leur arrive tout le temps, soit, plus probablement, elle n’a pas comprit ce que je voulais lui dire. Toujours est-il que quelques jours plus tard, alors que je réglais ma note, je constatai une totale absence de montant ayant trait à la perte du vélo.

Ils sont vraiment trop gentils.

Hoi An

DSC_5930_DxOHoi An est une ville particulière au Vietnam. Elle fut créée par des marchands japonais venu s’installer sur la côte indochinoise pour favoriser les échanges commerciaux et qui restèrent sur place s’installer. Ce devint ensuite un des principaux ports de la région avant que les alluvions apportés par la rivière ne viennent progressivement le boucher et repousser la mer plus loin, au profit de Da Nang, plus au nord. Hoi An a donc un charme particulier du à ses maisons basses aux couleurs ocres, à son ambiance de petit port de pêche, à ses petites ruelles ombragées et à son dynamisme provincial. Pour vous dire à quelle point cette petite ville est charmante, il fut décidé par les deux parties de la préserver lors de la guerre Américaine. Maintenant, c’est pour la plupart des touristes occidentaux, la petite préférée d’entre toutes les villes de la côte.

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En contrepartie, les petites maisons japonaises du centre historique sont occupées par de nombreux magasins de souvenirs, de galeries d’art, de photographes ou de restaurants et cafés cosmopolites à la carte recherchée. C’est en quelque sorte un Saint Martin de Ré ou Gordes indochinois, si j’ose employer cette comparaison, le snobisme en moins. Nous sommes au Vietnam, après tout, et il y persiste un petit parfum populaire tout à fait agréable.

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Le marché central en est un des cœurs et bien qu’on puisse y voir quelques touristes dans la journée, cela reste un endroit vivant et authentique où trouver des légumes et des poissons frais.

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La véritable magie du lieu s’opère à la nuit tombée quand de multiples lampions s’illuminent dans le coeur de la ville. Autour de la rivière s’anime la foule qui déambule de café en café. C’est le moment de se poser à un restaurant fusion et de goûter à une cuisine vietnamienne aux influences renouvelées ou encore de profiter de cocktails aux fruits frais dans une vieille demeure restaurée attablé face à la rue. De vieilles dames vous proposent d’acheter un petit lampion flottant qu’elles viendront délicatement poser sur la surface de l’eau pendant que de l’autre côté le vieux pont japonais s’illumine progressivement de couleurs jaunes et rouges.

DSC_5939_DxODSC_5952_DxODSC_5956_DxODSC_5959_DxOAllez, j’y retourne.

L’arrivée à Hoi An

Entre Hué et Hoi An, deux villes sur la côte, se trouve un très joli relief montagneux et notamment un col, le « col des Nuages », qui marque une frontière aussi bien culturelle que météorologique entre le nord et le sud du Vietnam. Au sud on dit Viet congs et il fait beau alors qu’au nord on dit Viet cons et il pleut. Il fallait bien la faire un jour ou l’autre, celle là, et il me semble que c’était le parfait moment.

M. Tranh de Saint Cloud, Hauts-de-Seine, mon référent pour tout ce qui a trait au Vietnam (car il était particulièrement peu loquace sur l’Inde), m’avait décrit la route comme « valant le détour » avec cet enthousiasme qui caractérise tout les habitants du petit bassin Parisien. Non, là je suis mauvaise langue. On sortait d’un déjeuner de pho (fa) à Toulouse. Il était donc de très bonne humeur et il avait les yeux qui brillaient à l’évocation de cette route malgré une absence, à ma connaissance, d’alcool dans son système sanguin.

J’avais donc décidé de faire le chemin entre Hué et Hoi An par la route, initialement par le bus, pour profiter de ce magnifique spectacle naturel. A l’accueil de l’hôtel Valentine, le réceptionniste m’avait presque convaincu de louer une moto pour le faire mais c’était un malheureux quiproquo. En vérité la proposition consistait à faire le trajet en moto, mais avec moi comme passager. Absolument ridicule. Faire 100 km à deux roues avec un pilote tenant mon gros sac à dos de 45 litres entre ses genoux et moi accroché à l’arrière avec dix kilos de matériel photo au dos, c’était parfaitement impensable.

Vint donc le moment de prendre le bus à Hué pour quitter la ville impériale, un matin vers neuf heures. Je vous évite la narration de l’indispensable transfert en xe om jusqu’au point de récupération du bus mais avec mon gros sac à dos, c’était une nouvelle première. Surtout que je l’avais gardé sur le dos et donné le petit au pilote. C’est une terrible erreur car j’avais du coup les abdominaux terriblement contractés pour éviter de ne pas basculer vers l’arrière. Je me retrouve donc déposé devant une agence de voyage en compagnie d’une grosse poignée d’autres routards.

DSC_5885_DxOAssez rapidement le bus arrive et en montant je constate qu’il s’agit d’un bus couchettes malgré le trajet entièrement diurne. On nous ordonne d’enlever nos chaussures et je progresse dans une des étroites allées nu pied jusqu’à une couchette supérieure qui me semble idéalement placée. Je m’installe comme je peux car, encore une fois, les dimensions ne sont pas idéales pour un européen, aussi moyen soit-il, surtout avec un petit sac à dos à caser quelque part. A part ça c’est assez confortable.

Nous récupérons un peu plus loin un nouveau paquet de gens vietnamiens ou touristes dont une bande de jeunes français du sud-ouest assez vocaux qui ont manifestement la gueule de bois et les intestins en purée. Ça promet. Des fois, on regrette de comprendre la conversation de nos voisins.

Le bus entame le trajet qui devrait durer quelques heures et je commence à observer le paysage, à l’affût dés que la route s’élève. Pour le moment on se contente de traverser les faubourgs de Hué donc ça ne s’élève pas des masses. Je transfert donc mon attention au bout d’une petite heure sur la suite des aventures de Dick Bolitho, maintenant capitaine d’un deux ponts (c’est qu’il n’arrête pas d’être promu le garçon). Encore une fois, la climatisation est mon ennemie. La température de la cabine chute et nombreux sont mes voisins qui comme moi tentent de se protéger du froid. Ça devient vraiment n’importe quoi surtout que je commence à avoir sérieusement mal aux fesses à cause de ma position un peu raccourcie. Bref, pour le confort, on repassera. Pour que l’ambiance soit encore plus parfaite, une de mes voisines écoute de la pop sirupeuse avec son téléphone portable.

Environ deux heures plus tard, où je tente de soulager mes fessiers, j’aperçois des reliefs côté terre et commence à recentrer mon attention sur le paysage. Je sens que ça va être de toute beauté d’autant plus que nous ne sommes pas très loin de la mer que nous apercevons par moment de l’autre côté. Je note avec un peu d’appréhension de gros nuages au dessus des montagnes et malheureusement assez rapidement le temps devient gris. La route s’élève mais le plafond est un peu bas. Néanmoins après un virage à droite, on aperçoit la ville de Da Nang en contrebas, sous les nuages et un petit crachin. C’est déjà pas mal surtout qu’elle est adossée aux montagnes, coupées en deux par les nuages bas, mais je sens que ce n’est pas les conditions idéales.

Nous redescendons donc dans la ville, un des ports principaux du Vietnam, et effectuons un arrêt pour déposer des gens. La pluie s’installe pour de bon. On repart et alors que nous sommes encore dans les faubourgs de la ville, les précipitations s’intensifient pour atteindre un régime tropical. Avec la climatisation à la température arctique, j’ai l’impression d’être un couillon en short et claquettes/ tongues / schlappe / slache / gougoune en plein automne écossais.

La dernière heure de trajet se fait dans les mêmes conditions météorologiques et je commence à me dire que ça ne va pas être simple d’effectuer les deux kilomètres de marche prévu entre l’arrêt de bus et mon hôtel. Ceci dit, ce sera l’occasion idéale de tester la fiabilité de mes sacs étanches. J’hésite.

Finalement, le bus pénètre dans Hoi An et nous lâche sur un terrain vague. Les conducteurs se précipitent dehors sous le déluge pour sortir les bagages de la soute pendant que chacun sort en remettant ses chaussures. Je récupère mon gros sac à dos maintenant plein de boue vu qu’il a été négligemment jeté à même le terrain vague et me le jette sur le dos. Ma décision est prise et je sens que je prend un risque vital.

Je me dirige hâtivement vers un groupe de xe oms sous le relatif abris d’un arbre. L’un des deux s’avance vers moi : « Motobaïque ? ».
– Yes, yes. How much for this hotel ?, lui demande-je en montrant l’adresse.
– 40.
– What ?!
– Yes, rain, dangerous.
– Ok, ok. Go.

Oui, je me sens pas trop de négocier car chaque minute d’attente ajoute environ un kilo d’eau à mon barda. Je lui donne donc mon gros sac à dos de 45 litres pour qu’il puisse se le mettre où il veut et m’éviter une deuxième session de crunchs abdominaux. Je m’installe rapidement à l’arrière, met le casque fourni et lui lance le « Go ! » pour lui signifier qu’il peut envoyer les gaz quand il veut.

Franchement, je crois qu’il y a rien de tel qu’un danger mortel pour se sentir incroyablement vivant. Zigzaguer dans le trafic, certes réduit, mais présent de Hoi An sous un déluge de pluie qui vous gifle le visage, en s’agrippant à une petite poignée métallique, ça a quelque chose de vraiment intense. A vrai dire je n’ai pas remarqué de différence notable entre la conduite de xe om sur la pluie ou sur le sec. En plus je crois bien que j’ai rigolé à un moment donné quand une autre mobylette était à notre hauteur, le pilote également crispé et penché en avant pour s’éviter un maximum de pluie. On s’est regardé tout les deux et on s’est bien marré. Qui plus est, j’ai atteint mon hôtel vivant, mais trempé jusqu’à l’os.

Pour le col des Nuages s’est un peu raté mais je ne regrette absolument pas de ne pas l’avoir fait en moto. Et je vous laisse avec cette superbe double négation.

Encore la guerre

Et si on parlait encore un peu de guerre, tueries et autres massacres de masse ? Ouaih, je me doutais bien que vous aimiez ça, petits pervers.

Au nord de la ville de Dong Ha, elle même au nord de la ville de Hué, elle même au nord de la ville de Da Nang (elle même au nord de la ville de Hoi An, mais je sens que vous commencez à vous lasser), se situe la DMZ. Mais que veut dire cet acronyme. Non, non, interdit de regarder sur Wikipédia, vous êtes à moi. Voilà. Regardez moi dans les yeux. Bien. DMZ veut dire « demilitarized zone », autrement dit en français, zone démilitarisée, ce qui est une façon plus jolie de dire « ligne de démarcation ». En vérité c’est plus qu’une ligne car c’est une bande de terre courant de la mer à la frontière du Laos séparant le Vietnam du nord du Vietnam du sud. D’où la zone. Vous l’avez compris, de nos jours cette DMZ n’existe plus mais c’est néanmoins un lieu majeur de la guerre américaine car un nombre important de batailles y eu lieu pendant cette fameuse « Offensive du Têt » (A ne pas confondre avec un coup de boule : wah vaz’y, comment qu’j’vais t’mettre une offensive d’la tête, la vie d’ma mère !).

Côté mer, on trouve un grand nombre de réseaux de tunnels creusés à main d’homme (et de femmes, bien entendu, les nord vietnamiens étant particulièrement peu sexistes dans ce domaine) qui permettait de s’abriter des bombardements quotidiens. Cela ne protégeait pas d’un coup au but mais augmentait drôlement le taux de survie. Ce qui est assez amusant, maintenant que les bombardements ont cessés (en tout cas, quand j’y étais. C’était sans doute un dimanche), c’est de constater l’étroitesse et la hauteur sous plafond de ces tunnels, clairement construits à l’échelle du vietnamien moyen de l’époque. Au passage, cela permet de goûter à la touffeur qui y règne et à l’angoissant manque de lumière. Pendant un bombardement, ça ne devait pas rigoler.

Si on sort dehors et qu’on s’élève un peu dans les airs, ont peu constater dans le paysage aux alentours, plutôt plat à cet endroit, un nombre très importants de cratères dans les rizières. C’est bien simple, cela ressemble à la surface lunaire. Fort heureusement, la végétation recouvre partiellement tout cela, et au sol, c’est plutôt imperceptible. Il n’y a que les buffles d’eau qui s’en réjouissent en profitant des multiples mares circulaires. Ça, pour se vautrer dans de la flotte boueuse, ils savent y faire. En plus, s’il y a un cratère, c’est que la bombe a explosée. Il n’y a donc aucun risque pour l’animal.

Contrairement à la Corée où un savant technocrate choisit de couper le pays en deux selon une jolie ligne droite le long d’une latitude, au Vietnam on se dit que c’était quand même drôlement plus pratique de prendre un élément naturel que l’on ne risque pas de ne pas voir comme séparation. C’est vrai, le 40° parallèle nord, j’ai beau me fatiguer les yeux, je n’en voit pas la trace au sol. On choisit donc de prendre la rivière Ben Hai comme ligne de démarcation, ce qui n’était pas bête vu qu’elle coure à peu près d’ouest en est.

Un seul pont permettait de traverser la rivière proche de son embouchure mais comme il était en plein dans la DMZ, il était très peu utilisé. La DMZ était également une « no man’s land » ce qui implique que toute personne y pénétrant était potentiellement considérée comme un assaillant. Autant vous dire que le tourisme y était peu fréquent. Néanmoins, et c’est toujours aussi fascinant de voir à quel point l’humanité peut être absurde parfois, le nord Vietnam décida de placer des haut parleurs de leur côté du pont pour diffuser des messages défaitistes : « Rendez-vous, sales impérialistes, en plus votre pho (fa) est dégueulasse de votre côté ! ». Quand il s’agit de jouer au con, il y a toujours des volontaires donc le sud Vietnam installa sa batterie de hauts parleurs avec un supplément de wattage pour diffuser des contre-messages également défaitistes : «Non, vous, rendez-vous, sales rouges mangeurs de chiens ! ». Cela dura quelque temps où chacun installa un nouveau surplus de puissance: « C’est à babord, qu’on gueuleuh, qu’on gueullleeeeuh ! C’est à babord, qu’on gueule les plus forts ». « C’EST A TRIBORD QU’ON GUEULE, QU’ON GUEUU-LEUH !! C’EST A TRIBORD, QU’ON GUEULE LES PLUS FORTS !! ». Et cetera. Fascinante humanité. Les vendeurs de matériel audio devaient se frotter les mains. Accessoirement, je vous invite à relire la BD « Le Grand Fossé », aventure d’Astérix pour se rendre compte, encore une fois, comment la réalité peut dépasser la fiction.

Mais malheureusement, le plus triste dans tout cela, c’est que ce n’est pas drôle. Car hormis ces moments de sympathique absurdité, la guerre Américaine, comme toutes ses cousines, recela un bon gros paquet de saloperies. Je vous rappel cette célèbre phrase tirée d’Apocalypse Now : « I love the smell of Napalm in the morning ». Oui, car pour rendre la vie plus difficile aux Viet Congs, les américains firent tout ce qui était en leur pouvoir pour déforester un maximum de territoire, notamment autour des lignes d’approvisionnement. Vous connaissez tous la célèbre photo de Nick Ut d’une petite fille brûlée au napalm courant nue vers le photographe qui fit basculer, entre autres, l’opinion public américain (et lui octroya le prix Pulitzer en 1972). Je n’en dirais donc pas plus sur le sujet.

Ce fut également l’occasion de tester à grande échelle de nouveaux types de défoliants à base de dioxine. On sait maintenant que la dioxine est une des substances les plus cancérigène au monde et ayant une durée de vie particulièrement longue. Il y a donc dans la campagne vietnamienne de longue bande de végétation à l’aspect neuf voir de longues bandes de prairies dans les montagnes, traces de ces défoliants. La star d’entre toutes les stars de ces produits porte un doux nom semblant directement issu d’un épisode de « X-Files » : l’agent orange. Si vous avez le cœur à ça et surtout bien accroché, je vous invite à chercher des photos d’enfants mal-formés de parents ayant été exposés à l’agent orange. C’est particulièrement indicible et l’exposition sur le sujet au musée de la guerre à Ho Chi Minh City laisse un sale goût en bouche et une sensation désagréable à l’estomac. Pensez « Elephant Man », membres en plus ou en moins, problèmes mentaux et déformations du squelette. Bien entendu, ça, c’est dans le pire des cas, quand l’enfant est viable. On imagine sans peine l’incroyable charge financière que cela représente pour un pays, sachant que cela peu courir sur plusieurs générations.

Sans vouloir faire dans l’accusation simpliste, car la chaîne de responsabilité est bien évidemment un peu plus complexe que cela, ce magnifique produit (trèèès efficace pour ce qui est de défolier, il est vrai) a été conçu et produit par l’extrêmement sympathique et humaniste compagnie Monsanto. Oui, celle des brevets sur les OGM, entre autres. D’ailleurs une « class action » intentée contre elle a été remportée par une association d’anciens combattants américains exposés à l’agent orange. Malheureusement, le gouvernement vietnamien a été débouté lorsqu’il a tenté de se raccrocher à cette action en justice. Encore une fois gardons nous d’une stigmatisation trop abrupte mais je ne résiste pas à l’envie de conclure par cette nouvelle très fraîche à propos de cette honorable entreprise. Elle aurait très récemment fait acquisition de la société « Blackwater » qui se trouve être une entreprise privée para-militaire notamment utilisée en Irak par l’armée américaine.

Bonne nuit les petits.