Si vous êtes un peu versé dans le surf, ou tout simplement doté d’une flatteuse connaissance géographique, vous n’êtes pas sans savoir qu’à Sydney, on trouve de nombreuses plages. Ceux qui répondent à l’un des deux critères précédents doivent me voir venir à des kilomètres, surtout au vue du titre de ce billet. L’une des plus célèbres, si ce n’est LA plus célèbre, voir la SEULE connue (j’arrête les majuscules, ça me donne mal à la tête de les lire) est Bondi beach.
Petite précision, on prononce pas cela à la française « bondi » comme dans « petit » mais à la je ne sais pas quoi en y rajoutant un peu d’ail au bout pour que ça donne « bondaï ». Pour être tout à fait précis, la formulation correcte selon les critères autochtones serait plus particulièrement « bond » comme dans « James Bond » suivi de « aïe ». Tout ceci est extrêmement important. Je suis là pour vous faire voyager. Faudrait pas prendre ça à la légère car vous seriez capable de vous ridiculiser lundi matin à la pause café en parlant de « bondih bitch ».
Bondi beach donne sur l’océan Pacifique ce qui est, encore une fois, une façon anthropocentriste de dire que le Pacifique lèche Bondi beach. Hors, ce n’est pas la seule à Sydney. Tout le côté orientale de la ville est ponctué de plages, des grandes et des petites, en arc de cercles voir au fond de petites criques charmantes. Il se trouve que Bondi est une des plus grande, notamment du côté sud de la baie (là où tout ce qui vaut d’être vu ce trouve, je dirai, en m’avançant un peu vu que je n’ai pas foutu les pieds au nord depuis 30 ans) mais elle est surtout connu car c’est un bon spot de surf et parce qu’on y trouve les historiques « lifeguards » avec leur ridicule bonnet de bain. C’est bien d’ailleurs la seule chose ridicule chez eux, car hormis cela, ils sont dotés de physiques et d’aptitudes sélectionnés de manière drastique. Un jour plus tôt, un jeune de 17 ans est mort en se préparant aux épreuves de sélection. Et dire qu’on trouve que l’entrée à l’ENA est sélectif.
Ces « lifeguards » sont là pour protéger les gentils baigneurs et surfeurs de moult dangers, notamment du requin au regard vide et morne mais également à la lippe molle car il a toujours la bouche entrouverte. Je dis ça mais en me relisant je me rend compte que c’est complètement débile. Ce n’est pas un « lifeguard » qui va protéger qui que se soit d’un requin. Au mieux, il ramène votre tronc amputé des deux jambes dare-dare à la plage. Non, il est surtout là pour sauver des noyades et siffler au soupçon de présence de squale en tout genre mais tout ceci, depuis 1913, excusez du peu. Je ne précise même pas que ce ne sont pas les mêmes depuis 1913 sinon ce serait extrêmement condescendant.
Mais Bondi, c’est également le quartier autour et derrière la plage. Ce dimanche, deuxième jour à Sydney, nous avons décidé avec Romain (que j’avais finalement vu la veille au soir avec Veronika, sa femme, mais je vous en narrerai les détails plus tard) de passer la matinée à longer la côte en partant de la célèbre plage. Nous nous retrouvons tout les deux à Bondi Junction, un nœud de transport mais également un grand centre commercial (je sais qu’il y en a que ça intéresse de savoir cela), pour ensuite prendre le bus vers Bondi beach.
Faire cette balade un dimanche, c’est l’assurance d’avoir un petit bain de foule. Fort heureusement, c’est loin d’être la cohue et c’est même particulièrement vivant. De plus, la météo a décidé de nous faire plaisir : 25°C et franc soleil sous un ciel bleu profond. Ici, c’est déjà l’été. On comprend ensuite pourquoi l’Australie souffre d’un nombre important de cancers de la peau.
Dans le rayon « lieux dont je me souviens », Bondi beach tient le haut du pavé. A ceci, une raison très simple : mon école se trouvait un peu plus loin sur les hauteurs. Nous y allions donc de temps en temps et notamment dans une pizzeria qui faisait une pizza aux fruits de mers à tomber. Les souvenirs d’enfant ne sont absolument pas hiérarchisés. Je ne suis pas allé vérifier si elle existait encore. En tout cas, je me souviens parfaitement de ce croissant de sable entouré de hauteurs couverts de maisons et habitations qu’une rue sépare de magasins et restaurants. Autre souvenir très précis, la piscine à un bout de la plage alimentée en eau de mer, toujours présente et même rénovée.
En ce magnifique dimanche de fin d’hiver, des gens se baignent et des surfeurs attrapent les quelques vagues en combinaisons néoprène. Mais Bondi, c’est également le lieu à Sydney dédié au culte du corps. Toute proportion gardé, ça n’a rien à voir avec Venice beach, à Los Angeles. Non, ici c’est moins extravagant même si c’est un endroit pour voir et être vu, surtout si on est jeune, beau et musclé. A Melbourne la culture et l’art, à Sydney les biceps, le surf et la plage. Je caricature, bien entendu.
Une foule de badauds se promène le long du front de plage ou du front de mer en empruntant le fameux chemin que nous allons suivre. La côte ici est plutôt rocailleuse et de petites falaises dominent l’océan. Les plages sont situés dans de vastes anses comme Bondi ou dans de plus petites criques. L’eau y est d’ailleurs magnifique.
On peut comme cela marcher sur plusieurs kilomètres au dessus de l’océan pour ensuite redescendre vers une nouvelle plage, successivement Tamarama, Bronte, la minuscule Clovely puis Coogee, la cousine par la taille de Bondi, au sud. Encore un peu plus loin, on peut rejoindre la grande Maroubra. Tout ceci est bordé de maisons et petits appartements, les environs étant extrêmement courus, bien évidemment. D’après Romain, l’immobilier est hors de prix par ici et j’ai une pensé pour Adam, mon guide à Kakadu, ainsi que Nick et Jane, les deux néo-z rencontré là bas, qui ont tous les trois une maison par ici.
Nous continuons notre très agréable promenade en papotant, Romain ayant maintenant un très bon aperçu de la vie australienne. Ça fait déjà cinq ans qu’il y est, même si côté accent, c’est encore un peu frenchie (Romain, ne prend pas ça personnellement). Arrivé à un nouveau promontoire où se trouve un petit monument, j’aperçois un grand gaillard appuyé sur un bloc rocheux, prenant le soleil, les yeux mi-clos. Intrigué, je m’approche. Pas de doute, je reconnais Samjin, l’anglais d’origine bosniaque de Stoke-on-Trent, rencontré à Melbourne pendant ce fameux pub crawl. Hey ! Je lui sert chaleureusement la main et lui présente Romain. Il est arrivé à Sydney hier soir et est hébergé à Bondi par des amis à sa sœur. C’est sa première sortie dans la ville et je lui propose donc de se joindre à nous pour poursuivre la ballade.
C’est donc maintenant en trio que nous bavardons, notamment de politique australienne, la campagne pour l’élection du premier ministre étant toujours en cours, tout en suivant le chemin. Pour changer, nous longeons un club de lawn bowling, où de vieux messieurs (et des moins jeunes personnes des deux sexes) s’amusent à ce jeu proche de la pétanque. Parce que cela a été inventé par les anglais qui ne sont pas les derniers pour inventer des règles tordues, le lawn bowling (littéralement le bowling sur pelouse) se joue avec une grosse boule non sphérique à la trajectoire hasardeuse. Avec la mer et le soleil, c’est tout un parfum colonialiste anglais qui se dégage.
Finalement, nous redescendons de nouveau vers une grande plage semblable à Bondi, en plus modeste néanmoins, mais également longée par une rue où se massent des restaurants et des cafés. Voici Coogee beach. Il est juste midi et je suggère d’aller manger une pizza, histoire de profiter un peu de cette ambiance estivale. On se décide sur un restaurant italien et, dans un soudain changement d’humeur, je commande des spaghettis bolognaises (et non pas gabonaises comme me le suggère idiotement mon correcteur orthographique). Ça faisait très longtemps que je n’avais pas parlé de nourriture, tiens. Vous allez finir par croire que je ne me sustentait plus. En tout cas, tout ceci est un cul de sac narratif car les spaghettis n’ont absolument aucune espèce d’importance dans ce qui va suivre.
Une fois rassasié en cette bonne compagnie, nous repartons en sens inverse, toujours le long du chemin côtier. C’est une fois revenu à Bondi beach que nos chemins se séparent. Romain s’en retourne chez lui, non sans m’avoir invité à passer mes quelques nuits restantes chez Veronika et lui, alors que Samjin poursuit plus au nord. Quand à moi, j’ai un but, retrouver mon ancienne école et clore ainsi le chapitre Bondi par un brin de nostalgie. Ou pas, finalement.
Je tente de me repérer et de rassembler mes souvenirs pendant quelques secondes. Ma mémoire me souffle qu’il faut que je monte sur les hauteurs, l’école dominant la mer à bonne distance de la plage. J’ai une vision d’une rue qui descend vers la plage au sud. Je regarde autour de moi et aperçoit deux candidates, dont une qui monte plus fort que l’autre mais surtout qui se nomme « Bondi road ». Ça me paraît pas mal. Je l’emprunte.
Après une montée un peu raide, la rue se poursuit en ligne droite dans un long faux plat montant. Des commerces de chaque côté ne m’évoquent rien. En même temps, en trente ans, il peut se passer beaucoup de choses. Je continue à suivre la rue même si j’avais souvenir que l’école était vraiment proche. Je me raisonne en me disant que je faisais le trajet à l’arrière d’une voiture. Aujourd’hui, je suis à pied.
Finalement, un panneau indicateur accroche mon regard : « Bondi Public School ». Je suis la direction dans une rue perpendiculaire et quelques dizaines de mètres plus loin, m’arrête. Damn, je reconnais ce bâtiment derrière cette grille. Même s’il est plus petit que dans mes souvenirs. Je ne nierai pas qu’une certaine émotion s’est emparé de moi, même si elle n’était pas d’une violence extrême. Je poursuit en longeant la grille pour finalement atteindre l’entrée principale. Deux jeunes adultes jouent au basket à l’intérieur et une jeune mère accompagné de son petit garçon discute avec une autre femme plus loin. Dommage pour la discrétion. Je vais passer pour un pervers à roder autour d’une école primaire.
C’est toujours assez étrange de voir des bâtiments de longues années après. Dans l’ensemble rien ne s’est transformé alors que des détails ont changés. On est presque vexé que les choses changent en notre absence. Ou alors, pour faire une phrase facile et creuse, c’est nous qui changeons. Certes, tout paraît plus petit mais indéniablement, certains bâtiments ont été restaurés, d’autres construits ou les panneaux de baskets posés. Ce n’est pas que moi. Finalement, je suis un peu déçu quelque part. Ça me paraissait plus grandiose, plus inquiétant. Quel est l’intérêt de revenir, finalement, hormis de remettre les choses en proportion, de combler des trous, d’affiner les souvenirs ou de se retourner pour replacer tout ceci dans un contexte plus large. Comme dans un film, j’ai des flashs de moi dans la cour, là bas, jouant à chat perché ou sortant d’un atelier de menuiserie de ce bâtiment au fond, ou encore de la voiture de ma mère, une Mazda 323 grise, m’attendant sur le trottoir.
Au final, je n’ai aucune nostalgie. Ce qu’il y a à faire m’intéresse plus. Je prend quelques photos discrètes pour la famille et repart vers Bondi Junction, sans me retourner. En chemin, je repense quand même aux institutrices et camarades de cette époque. Et dire que j’étais en uniforme gris, là bas. Pfff.