Au risque de me répéter, un port industriel, et à fortiori un port de containers, n’est pas fait pour les êtres humains. En tout cas, pas pour des piétons. Accéder au pied d’un porte container est déjà presque une aventure en soit, surtout si l’on souhaite limiter les frais.
Déjà, à Fos-sur-Mer, les choses se sont avérées légèrement plus compliquées que prévu. Venant de la gare Saint Charles à Marseille, je rejoint le village de Fos par un petit train surplombant la mer. Malheureusement, le centre du village où je dois séjourner les quelques jours avant le départ est à quelques kilomètres de l’autre côté d’un étang. A priori, sur la carte, une unique voie rapide automobile permet d’y accéder. Je tente de joindre des taxis par téléphone mais personne ne répond ou n’est disponible. A côté de moi, une femme accompagnée de son fils de dix ans tente de repérer un chemin piéton sur son smartphone. Nous décidons donc d’unir nos forces et partons à pied dans la direction de l’étang. Arrivé à un rond point, le constat est sans appel : aucun trottoir ne permet de marcher en toute sécurité. A ce moment là, une voiture s’arrête et un homme nous demande où nous allons. C’est donc en stop, conduit par notre bienfaiteur qui s’avère être brésilien, que nous rejoignons le village en constatant qu’il aurait été suicidaire de marcher le long de la voie rapide. Première embuche.
Quelques jours plus tard, je réserve un taxi, recommandé par l’agent local de la CMA CGM, pour rejoindre le bateau. Le terminal porte-container a beau faire partie de la commune de Fos, y accéder du village nécessite de faire tout le tour du port industriel, soit une bonne vingtaine de kilomètres et 25 euros de taxi. Au poste de sécurité du terminal, coaché par mon chauffeur qui a l’habitude, des employés blasés me demandent vaguement mon passeport et le nom du bateau. Finalement, mon taxi me dépose au pied du Columba, après avoir suivi un parcourt alambiqué dans le terminal. Rétrospectivement, c’est sans doute l’accès le plus aisé au cargo que j’ai eu, mais aussi le plus couteux.
Je passe l’accès au port de Gènes que j’ai déjà relaté dans un précédent billet mais à Malte, le Freeport se trouve juste en face d’une petite station balnéaire prénommée Il-Brolli. Les baigneurs ont d’ailleurs une vue imprenable sur la poignée de cargos qui y transitent et cela ajoute sans doute un divertissement gratuit ainsi que quelques reflets irisés d’hydrocarbures. Quelques heures avant l’arrivée au port, alors que nous sommes toujours en mer, on me fait signer une décharge de responsabilité puis on m’informe que je dois payer une taxe de 30€ auprès de l’agent local afin de pouvoir débarquer. Sympa.
Bien évidemment, la somme n’est payable qu’en liquide et je me retrouve donc sans le moindre sous à avant d’arriver à Malte. Heureusement, Doug me rembourse une partie des frais commun de taxi de Gênes avec un billet de 20€. Hormis l’attente de la navette qui nous permet de rejoindre le poste de sécurité du bateau, puis l’attente de la confirmation que nous faisons bien parti de l’équipage du Columba, nous parvenons à sortir du port sans aucun frais. Les marins du Columba nous avaient indiqué qu’un bus, le 82, permettait de relier la capitale, La Valette, du Freeport en une heure environ pour une somme modique. Nous marchons donc avec Doug et Mary jusqu’à l’arrêt du bus et je propose de payer les trois billets de bus avec le seul billet de 20€ en poche.
Assez rapidement, le bus arrive et nous montons, souriant avec de chaleureux « Good evening ». Je tend le billet de 20 et à sa vue, le chauffeur, visiblement agacé, me fait signe qu’il ne rend pas la monnaie sur ce montant, peu ou prou égal à 5€. Malgré son anglais peu clair et son ton désagréable, je comprend qu’il veut que je descende à un magasin dans 100m afin que j’y fasse la monnaie. Il s’arrête donc un peu plus loin, je lui demande si c’est bien ici et agacé me répond oui. Je descend donc rapidement avec mes deux sacs à dos et me rue dans un restaurant chinois. N’y voyant personne je ressort et repart rapidement jusqu’à une pâtisserie qui accepte de me faire la monnaie. Je court vers le bus que je trouve finalement garé à 10m de là, visiblement à l’arrêt, avec Doug et Mary à l’extérieur, le chauffeur leur ayant intimé l’ordre de sortir. Un beau trou du cul celui là.
Finalement, je rentre dans le bus et lui prend ses trois billets. Nous nous posons et le bus attend quelques minutes avant de repartir. J’ai alors tout le loisir de m’interroger sur l’attitude ultra-désagréable du chauffeur. Surtout, pourquoi nous avoir pressé d’aller chercher de la monnaie si c’est pour aller se garer un peu plus loin et attendre ? Bref, pour un premier contact avec des maltais, c’était loin d’être positif. Heureusement, nous atteignons finalement La Valette sans encombre et ruminons cet incident avec mes deux compagnons. Déjà que ce n’est pas évident pour les marins de quitter le port mais si en plus ils ont droit à ce traitement quand ils vont en ville, la réputation de Malte doit en souffrir.
Une grosse semaine plus tard je fait le chemin inverse. Ce jour-ci il y a fête religieuse dans le village en face du port et le bus s’arrête plusieurs arrêts avant celui prévu. Ce n’est pas très grave, j’ai deux heures d’attente avant l’arrivée du bateau et j’avais prévu de dîner sur le bord de mer. Le repas terminé, je part en marchant jusqu’au poste de sécurité où nous étions sorti en me présentant ainsi que mon passeport. On me demande, dans un anglais très approximatif, le nom du bateau mais celui-ci leur est inconnu. L’anglais a beau être la deuxième langue officielle du pays, il ne semble pas vraiment parlé par la majorité des habitants. C’est d’autant plus surprenant quand ces personnes travaillent dans un port international. Mais, bref. Je comprend donc que le bateau a un peu de retard, chose confirmée lorsque je rappel l’agent local.
Mon interlocuteur me fait alors difficilement comprendre que ceci est une entrée secondaire et qu’il faut que je me présente à l’entrée principale du port, qu’il m’indique avec de grand gestes comme étant vaguement derrière à gauche. Je le remercie donc et repart à pied avec mes deux sacs à dos dans la direction indiquée pour constater qu’il s’agit d’un grand parking avec un grand bâtiment blanc sur les hauteurs derrière. Ayant un doute, je revient le voir, et je crois comprendre qu’il s’agit bien du bâtiment blanc.
Je repart donc en marchant et après cinq minutes et une petite montée tourne autour de ce bâtiment à la recherche d’une entrée. Je tombe sur deux agents de sécurité à qui j’expose mon problème. Ils sont assez interloqués et avec un anglais simplifié leur fait comprendre que je cherche l’entrée principale. Finalement, je comprend que celle-ci est beaucoup plus loin, à au moins 10mn à pied. Après un soupir de lassitude, je repart en marchant dans la direction indiquée. Je longe alors une route sans trottoir, croissant quelques camions et quelques minutes plus tard arrive sur une entrée routière avec un bâtiment attenant.
Je pénètre dans le bâtiment et derrière un hygiaphone, un groupe d’hommes visiblement détendus discutent entre eux. Je leur explique – difficilement – que je suis un passager du Gemini, bateau qui est encore au large. Ils me demandent interloqués ce que je fais là, car pour eux, j’aurais du entrer par l’autre entrée, prévu pour les piétons. Un peu agacé, je leur répond que j’en viens et qu’ils ont insisté là bas que je me présente ici. Qui plus est, il n’y a aucune trace dans leurs ordinateurs de mon enregistrement en tant que passager. C’est d’autant plus étrange qu’une semaine avant, j’avais envoyé une copie de mon passeport à l’agent local afin que celui-ci fasse les démarches nécessaires. Je reprend donc mon téléphone afin d’éclaircir ceci auprès de ce dernier et il me promet d’envoyer un mail dans la foulée. Quelques minutes plus tard, on me dis que tout est validé et on me prie enfin d’attendre l’arrivée du bateau. C’est finalement une heure plus tard, vers 22h, qu’à bord du pickup d’un des employé locaux, je suis amené au pied du Gemini.
Finalement, à mon arrivée à Valence, les choses se sont encore une fois avérées un peu plus compliquées que prévu. J’avais quelques jours avant demandé à l’agent local de Valence (encore et toujours ces foutus agents locaux) les coordonnées GPS de la sortie du port de Valence la plus proche du quai où le Gemini devrait accoster. Je comptais m’y faire récupérer en voiture par mon père et sur le plan, le port de Valence semblait bien être également d’une grande complexité. On me répondit en m’annonçant que ce sera l’entrée principal en me précisant qu’il faudra que je prenne un taxi pour la rejoindre du bateau. Sans doute que ma question ne fut pas très clair, mais arrivé à Valence, l’officier du Gemini qui s’occupait de mon débarquement m’avait prévu une navette pour rejoindre la sortie du port. Il n’était donc plus question de taxi. Une fois descendu du bateau, je rejoint donc une camionnette et celle-ci me dépose quelques minutes plus tard à portée de marche d’une entrée ressemblant à un péage. Le chauffeur me rappel qu’il va falloir que je passe par un bureau chargé de l’immigration avant de pouvoir sortir. Je récupère donc mes sacs, remercie le chauffeur et part en marchant vers la sortie.
A part un grand bâtiment vaguement préfabriqué, je ne vois rien qui ressemble à un bureau d’immigration et décide donc de passer le péage à pied. On verra bien si on m’interpelle.
Effectivement, une fenêtre à glissière s’ouvre au poste de sortie et on me demande en espagnol où je vais. J’explique alors que j’attends quelqu’un qui vient me chercher et on me laisse continuer. Bonjour la sécurité. Je pénètre donc en territoire espagnol en toute illégalité.
Une fois dehors, je comprend assez rapidement qu’il ne s’agit absolument pas de la sortie spécifié par l’agent local. Une grande route de deux fois deux voies empruntés par des voitures et des camions dessert l’entrée du port, sans indication de rue. Je retourne au poste de sécurité pour tenter d’avoir les coordonnées GPS où l’adresse de l’entrée. On me donne un petit papier avec un nom de rue mais manifestement, l’indication est trop vague pour qu’on puisse me trouver. Un vague trottoir permet de longer la route et après une heure, je décide de repartir à pied vers ce qui me semble être la ville pour y voir plus clair. Quelques centaines de mètres plus loin, le trottoir s’arrête sur un petit terrain vague et la route devient rapidement impossible à poursuivre à pied. J’erre un petit peu quand finalement une voiture de la Guardia Civil s’arrête à ma hauteur, me demandant ce que je fait là. Après moult tentatives de communication, l’officier ne parlant ni anglais ni français et moi pas vraiment l’espagnol, il m’invite finalement à monter dans sa voiture avec me sacs et me dépose un bon kilomètre plus loin à un arrêt de bus. Muchas gracias la Guardia Civil.
Bref, pour moi tout ceci reste dans le domaine de l’anecdote et j’en ris maintenant de bon cœur avec vous. Mais je conçoit aisément que pour des marins philippins qui ont finalement très peu de temps à chaque escale, ainsi qu’un porte feuille limité, la complexité et le coût nécessaire à une petite escapade en ville devient parfois dissuasif. Pour eux, ça rigole moins. Quand à nous, les simples passagers, espérons que les choses soient plus simples lorsqu’il s’agit de monter à bord d’un paquebot.