Ce que j’ai retenu des Aborigènes

Ce n’est pas très évident de découvrir la culture aborigène. Pourtant j’ai essayé. Ok, je l’avoue, je ne me suis pas démené comme un fou non plus. Disons qu’à chaque fois que j’en avais l’occasion, j’essayais de glaner quelques informations. Mais un peu à l’image de quelques aborigènes que l’on croise à Darwin ou Alice Springs, cette culture est proche mais à la fois lointaine. Voici donc ce que j’ai retenu comme information à ce propos.

Tout d’abord historiquement, l’homme est arrivé sur le sol australien par le nord. A cela, rien d’étonnant. Un rapide coup d’œil à une carte nous montre bien que la terre la plus proche se trouve en Timor ou Papouasie-Nouvelle Guinée. Physiquement d’ailleurs, il y a une nette ressemblance entre le type aborigène et certaines peuplades de Nouvelle Guinée.

Ensuite, vue de l’extérieur on a l’impression que la culture aborigène est unique : didgeridoo, boomerang et tutti quanti pour tout le monde. Il n’en est rien. En réalité il y a des variations géographiques. Certains peuples aborigènes, par exemple, ne connaissent pas le boomerang, et pour cause, il s’agit d’une arme destinée avant tout à chasser le grand kangourou dans un bush relativement ras. S’il y a des arbres partout, convenez que c’est beaucoup moins pratique. Néanmoins, ne nous mentons pas, il y a beaucoup de traits communs entre ces cultures, de la même façon que la France, l’Espagne et l’Italie partagent bien des choses.

Ces différences culturelles se concrétisent souvent au sein de « nations » aborigènes différentes. Une nation se cantonne à un territoire et possède sa propre culture. Bien entendu la langue varie également. La mosaïque de ces nations est d’ailleurs extrêmement complexe, comme le montre cette carte ci-dessous. De manière amusante, à chaque fois qu’un guide souhaitait faire comprendre cette complexité à des australiens, il prenait l’exemple de l’Europe : un petit territoire au grand nombre de nations. C’est sur que pour les américains et les australiens, les choses sont plus simples. Bien entendu, ce découpage en nations n’est pas à prendre strictement. Les frontières sont floues.

Aboriginal_Australia_Map

Ce flou est essentiellement du au fait que le mode de vie aborigène est extrêmement nomade pour la plupart. Ce mode de vie nomade découle d’une extrême dépendance aux ressources directes que l’on cueille, que l’on chasse ou que l’on pêche. Le niveau de ces ressources variant beaucoup avec les saisons, il faut donc se déplacer en fonction. Fait étonnant, si on est un peu curieux et doué de raison, aucune nation aborigène ne maîtrise l’agriculture. En sachant que tout le monde me répète que les cultures aborigènes sont les cultures les plus anciennes et qui remontent à presque 30000 ans sans changement notable, et on est en droit de se demander comment se fait-il que pendant tout ce temps, personne n’y ai pensé ?

La réponse m’a été donné par Adam et se trouve être parfaitement logique. Pour que l’agriculture se développe il faut que soit accessibles des semences et des animaux domesticables. Hors, le continent australien ne possède aucun animal de ce type. Sans animaux domesticable, il était impossible d’abandonner la chasse et de se créer des réserves, ce qui est la base de la sédentarisation. A priori, il semblerait que ce soit également le cas pour des semences de plantes équivalentes au blé, riz ou maïs. C’est donc une formidable culture de subsistance qui s’est développée.

Aucune de ces nations aborigènes n’a développé l’écriture. Sans doute est-ce du au fait que l’écriture a toujours dans l’histoire été un sous produit de la vie en cité, elle même enfante de la sédentarisation. Toute la culture et le savoir se transmet donc de manière orale ou bien avec le support de peintures « rupestres ». Sans me faire passer pour un spécialiste, tout ce savoir et cette culture auquel on ajoute le processus d’initiation qui permet de l’acquérir est regroupé sous un terme commun, Tjukurpa. Je ne sais pas si ce terme est commun à chaque nation aborigène mais il est en tout cas celui utilisé dans la région d’Uluru. Le Tjukurpa défini précisément la place de chaque individu dans la société (fille ou garçon, marié ou célibataire, etc.) et les règles qui s’y applique. Mais le Tjukurpa, c’est également l’ensemble des histoires du temps des rêves qui expliquent le monde, et donc le mode de vie des aborigènes.

Chaque individu aborigène prend connaissance du Tjukurpa, par étape, au cour de sa vie. A chaque étape correspond une initiation et il y a un parcours distinct entre hommes et femmes. Suivant le degré d’initiation d’un individu, il aura accès ou sera interdit de certains lieux. Puisqu’on en est à parler des individus, à leur naissance, chaque aborigène se voit attribuer un animal comme « totem ». Cet totem est à la fois l’esprit de l’animal protecteur pour cet individu mais également son interdit alimentaire. Si votre totem est le petit wallaby noir, il vous est interdit de le chasser ou de le manger. Même si c’est un cadeau. En plus d’une signification spirituelle, c’est également un moyen de réguler les ressources alimentaires d’un territoire. Si une espèce tend à péricliter, les anciens vont décider d’affecter ce totem aux nouveaux nés. En tout cas, j’imagine que c’est comme ça que cela fonctionne. Moi, mon totem depuis deux mois, c’est le curry indien.

Lorsqu’on n’est pas initié, comme le sont la plupart des touristes, avoir des informations sur le Tjukurpa est extrêmement difficile car avoir la connaissance de tel élément suppose que l’on soit initié de l’élément le précédent. Les informations fournis à ce sujet dans les endroits touristiques tel que Uluru sont d’ailleurs considérés par les aborigènes comme des informations « pour enfant ». Néanmoins, certains choses sont connus comme le système de justice. D’après Bob, à chaque transgression du Tjukurpa est associé une punition, elle même décrite dans le Tjukurpa, assignée par les anciens une fois la faute jugée. Des exemples de transgressions sont le non respect de son totem (comme le manger, ça c’est vilain) ou encore de voler une carcasse d’animal mort de ses blessures alors qu’il a été blessé par un autre chasseur. Ça ne se fait pas et c’est le comble de l’impolitesse.

Ces châtiments peuvent être bénins mais peuvent parfois être assez sanglants. Du côté extrême du spectre on trouve le coup de lance dans la cuisse (Tiens ! Ça t’apprendra à mettre tes doigts dans le nez) ou la très sophistiquée et perverse application d’une puissante glue naturelle sur les paupières du fautif endormi que l’on vient ensuite emporter, aveugle, quelque part au milieu du bush, sans eau. C’est à cela que l’on devine à quel point cette culture est raffinée. Notez qu’avec ce système de justice punitive, que l’on peut sans doute estimer barbare aux yeux de nos cultures baignées dans la douce lumière de la raison, la culture aborigène considère la personne punie d’une façon bien différente que dans nos cultures occidentales. Un individu ayant courageusement subi et purgé sa peine sera par la suite pleinement réintégré dans le groupe sans que quiconque n’en fasse plus jamais allusion. Suivant la gravité de la punition, il sera même considéré avec respect car il aura su encaisser son châtiment dans le digne respect du Tjukurpa. Comparons donc cela à l’opprobre et aux stigmates publics qu’un condamné occidental doit se coltiner même après sa sortie de prison. Un coup de lance dans le jambon, c’est sans doute cruel, mais une fois que c’est fait, on en parle plus. Tiens, prends ça, malpoli ! Aïe. Bon, et à part ça, je te sert une bière ?

Donc, comme on le voit, la vie dans la société aborigène est extrêmement cadrée et définie. Ce n’est pas une société où chacun s’émancipe mais, en contrepartie, chacun a une place, suivant le schéma de beaucoup de sociétés traditionnelles, il me semble. Les personnes ayant atteint le plus haut niveau d’initiation sont appelés « anciens » et forment un collège décisionnaire dans la vie de chaque groupe. La toile de fond de cette vie et de cette culture est bien entendu la nature australienne. Le regard sur la nature que porte les cultures aborigènes est très proche de la vision amérindienne : la nature est nourricière et il faut donc en prendre soin. On pourrait appeler cela de l’écologie mais c’est bien entendu plus que cela. La nature n’est pas considérée comme une ressource à exploiter. Il s’agit plus d’un équilibre du type « aide la nature et la nature t’aidera ». Au vu des conditions difficiles de vie dans la majorité du pays, il y avait tout intérêt à raisonner comme cela.

Mais qu’en est-il de cette culture aborigène de nos jours ? Et bien, en tant que non spécialiste, j’ai envie de vous dire, ça dépend. Depuis plusieurs dizaines d’années, le gouvernement fédéral australien a rendu progressivement une partie des terres aux aborigènes. Plus précisément, comme le veut la terminologie officielle politiquement correcte, il a rendu des terres aux « propriétaires traditionnels ». Comme l’ont précisé et Adam et Bob, le terme est particulièrement mal choisi dans la mesure ou dans la culture aborigène, le concept de propriété de la terre est juste inconcevable. C’est à cela que je devine que je devient peut être un peu aborigène moi même. La terre appartient à tout le monde. Il s’agit donc plutôt de « gardiens responsables de l’entretien traditionnels ».

Une partie de la population aborigène vit encore de manière traditionnelle au sein de ces terres. La société moderne percole malgré tout jusque là et certaines techniques ou instruments ancestraux ont été remplacé par des éléments plus contemporains. Une autre partie vit dans les villes de façon un peu nomade. On en croise quelques uns à Darwin et Alice Springs qui se regroupent dans les parcs ou sous des arbres. C’est d’ailleurs assez bizarre car on les sens étrangers mais à la fois chez eux. De quoi vivent-ils ? D’argent public, d’après Bob, ce qui pose de sérieux problèmes car la vie traditionnelle enseignée par le Tjukurpa étant une vie de subsistance où la nature fourni tout ce dont ils ont besoin, l’argent obtenu ne leur sert pas à grand chose, à part éventuellement acheter à manger ou à boire. Selon Bob, il y a eu des tentatives de fournir des logements gratuits à des populations aborigènes. L’expérience a tourné à l’échec pour certains, qui arrachaient le plancher pour alimenter un feu à l’extérieur où chacun venait se retrouver. On sent que l’Australie occidentale et le gouvernement fédéral tente de gérer maladroitement un problème qu’elle s’est peut être créé elle même, sous empreinte de culpabilité collective.

Ce que je trouve fascinant, c’est la façon dont cela renvoi au problème plus vaste de cohabitation entre civilisations sédentaire et nomade. En Europe, un cas similaire se pose entre les sociétés sédentaires et les Roms, Gitans et gens du voyage. Les sociétés sédentaires ayant le plus de pouvoir et étant par nature prompte à s’accaparer définitivement l’espace, la compatibilité semble difficile. L’Australie a peut être une chance du fait de ses vastes espaces inexploités mais la pression des industries d’exploitation font peser une menace permanente.

Ceci dit, une dernière partie de la population aborigène a adopté un mode de vie occidental. Ils bénéficient d’ailleurs des lois « pro aborigènes » qui leur octroie un financement gratuit des études, y compris supérieur. Il y a d’ailleurs, du coup, une définition très précise d’un individu « aborigène » basé sur un pourcentage d’héritage génétique. Ça rappel les définitions officielles de négritude aux États-Unis pendant les années de ségrégation ou un individu métis était considéré comme étant noir. Bien entendu, comme toute les mesures de discrimination positive, qui consistent à vouloir régler une injustice au niveau d’une catégorie d’individus en appliquant une injustice au niveau des individus, elle est décriée.

Avec tout ça, j’ai quand même eu le sentiment qu’officiellement, l’Australie avait beaucoup changé sa façon d’aborder la culture aborigène. C’est désormais mis en avant de manière positive comme une des véritables cultures de ce continent. Pour avoir été petit enfant à l’école là bas il y a trente ans, je ne me souviens pas du tout d’avoir été ne serait-ce que présenté à cette culture. Maintenant, les enfants des écoles sont sensibilisés, notamment dans certaines régions à la forte influence aborigène comme à Alice Springs. De nombreux « artistes » aborigènes sont maintenant dans les galeries et « l’art aborigène » s’arrache parfois à prix d’or à Sydney ou Melbourne.

Comme souvent, le fin mot de l’histoire sera sans doute démographique. Face à une immigration essentiellement asiatique, jusqu’à quand est-ce que la culture aborigène restera-t-elle en vitrine de l’Australie et surtout vivante ?

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