La folie des grandeurs

Je ne sais pas si vous vous rendez compte mais en réalité je vous manipule. D’une part car à l’heure où j’écris ces billets (au présent la plupart des fois, en plus, histoire d’entretenir une confusion chronologique permanente) je suis loin, très loin du lieu de l’action (magie de la narration et de l’imagination réunie) mais également car je distille les informations au rythme que je le souhaite. Par exemple, je ne vous avais point dit que Da Lat était également la résidence d’été des empereurs Nguyen. Quoi ! Des empereurs aine guyenne, tu dis ? Tu nous l’avais caché ! Mais plus jamais tu fais ça, espèce de dingo ! J’imagine votre réaction indignée et outrancière. Je vous ferai dire que si vous êtes si avide de connaissances ayant trait à l’empire, vous aviez qu’à vous sortir les appendices et aller voir sur l’internet. Je part donc du principe que je suis votre unique source d’informations, ce qui m’arrange bien car elles sont particulièrement erronées et parcellaires.

Hors donc, Da Lat est la résidence d’été des empereurs Nguyen et je ne veux entendre aucun bruit dans la salle. Je devrais même dire « fut la résidence d’été », car bien entendu, si vous avez un tant soit peu suivi l’histoire, il n’y en a plus à l’heure où je vous cause. Le dernier représentant de cette dynastie et d’ailleurs mort il n’y pas si longtemps en exil à Paris. On comprends mieux pourquoi ils ont fuit leur pays : ils étaient sérieusement acoquinés avec le gouvernement français, ce qui, à l’époque, était une sérieuse tare pour un quelconque avenir politique dans le Vietnam communiste. Mais arrêtons de vous assommer de faits historiques et géopolitiques qui n’intéresseront de toutes façon que les personnes brillantes et cultivées (Il est toujours bon de piquer régulièrement l’amour propre de son lectorat).

Ce charmant décédé parisien (même si ce n’était que de façon temporaire qui dure) nous intéresse particulièrement dans le cas présent car c’est justement lui qui construisit un palais sur les hauteurs de Da Lat. Moi, toujours en mission internationale de collecte d’idées décoration, je suis allé y voir de plus près. En plus, c’était drôlement bien pratique car la visite publique était autorisé moyennant un modeste tarif d’entrée.

De l’extérieur, soyons sincère, le bâtiment ne paye pas de mine. Point de statues de lions rugissants (alors que c’est prouvé que cela augmente notablement la valeur de votre bien immobilier) ni de colonnades torsadées. Le palais est sobre, tout en angle et d’une couleur jaune pâle, si ma mémoire ne me fait pas défaut. Il n’est pas non plus particulièrement grand, tout au plus un grand manoir bourgeois des années vingt. En tout cas, on est en plein dans cette époque. Autant vous dire que vue d’ici, on y voit aucune trace de culture vietnamienne. L’influence occidentale sur le jeune empereur, éduqué dans la modernité de l’époque, y est pour beaucoup. Mazette, ça aurait été bête d’être jeune, riche et puissant dans les années folles et de ne pas en profiter. Le bâtiment est situé au milieu d’un petit parc où pousse des pins, surplombant la ville.

DSC_6119_DxODans la cour, on peut admirer une petite sportive décapotable en piteux état ayant appartenu à l’empereur. Cela me rappelle la collection de véhicules automobile de Ho Chi Minh, visible à Hanoi. C’est curieux cette fascination pour les voitures des puissants, tout de même ? En terme de véhicule, vous pouvez également emprunter une calèche à cheval pour faire un petit tour.

Rentrons plutôt dans le palais. Vous aurez tout le temps pour faire un tour en calèche après, si vous le souhaitez. Avant toute chose, vous êtes prié de chausser des patins, ou plutôt des gros chaussons que vous enfilez par dessus vos chaussures. Ça donne l’air ridicule à tout le monde tout en accentuant le caractère digne de la demeure. C’est une idée qui mériterait d’être mis plus souvent en pratique, d’ailleurs. Si vous souhaitez avoir l’air digne, ridiculisez vos invités en les forçant à porter un accoutrement clownesque. Par effet de contraste, vous aurez automatiquement un aspect noble et impérial.

Et cet intérieur, alors ? Qu’en est-il ? Et bien il est du même acabit que l’extérieur, c’est à dire particulièrement sobre et art déco. Ça tombe bien, j’adore l’art déco mais je trouve néanmoins qu’il est particulièrement très sobre, jusqu’à en devenir quelconque. J’ai du mal à croire que ce palais est un jour été somptueux. En vérité, on a plutôt l’impression que c’était une maison familiale, simple et sans fioritures doté du confort moderne, certes, mais sans chaleur. C’est peut être impressionnant pour un vietnamien, mais pour un européen, c’est particulièrement décevant.

DSC_6118_DxO DSC_6120_DxO DSC_6121_DxO

Heureusement, il reste quelques meubles d’époque ainsi qu’un grand nombre de photos permettant de se replonger dans l’ambiance. Je dois avouer que ce fameux « dernier empereur », bien qu’étant très légèrement joufflu, avait la grande classe. Des photos de lui habillé en costume blanc et Ray Bans, cheveux gominés en arrière sous un panama clair sont particulièrement avantageuses. Aaah, on savait s’habiller à l’époque. Ceci dit, sous une chaleur tropicale, ça ne devait pas rigoler tout les jours.

Donc, pour ce qui est de l’ostentatoire et de l’extravagant, il ne faut pas se tourner vers l’empereur, pas assez décadent à mon goût. Je peux donc vous proposer d’aller faire un petit tour à l’autre site d’intérêt architectural de Da Lat, « Crazy House », nettement plus baroque. Crazy House, pour faire simple, est l’œuvre d’une architecte vietnamienne contemporaine (l’endroit est d’ailleurs toujours en construction) qui se trouve être la fille d’un important cacique du parti communiste. L’anecdote n’est pas anecdotique car les méchantes langues disent que si elle a pu pendant toute ces années construire son horreur en toute impunité, c’est un peu la faute à papa. Pour ceux qui connaissent « La Demeure du Chaos » dans les environs de Lyon, c’est quelque chose d’un peu similaire dans la démarche bien que le style soit différent.

DSC_6128_DxOLaissez moi réfléchir. Comment décrire la chose? On pourrait voir ça comme un croisement entre la maison d’Hansel et Gretel, la Demeure du Chaos et la reine dans Alien. Geiger rencontre Grimm rencontre Thierry Ehrmann, vous voyez ? Fort heureusement, j’ai pris quelques photos car comment dire l’indicible, je vous le demande ? Bon, soyons franc, c’est un style que l’on pourrait qualifier de tranché. Il n’est pas rare que l’on déteste mais il n’est pas inconcevable que l’on aime. En ce qui me concerne, je pense qu’encore une fois, dans l’ensemble, il y a bien une ou deux idées décorations à picorer à droite, à gauche,DSC_6132_DxO en haut ou en bas. Oui car cette maison (je ne vous l’ai pas dit?) est faite de multiples petits recoins joins entre eux par des escaliers ou des passerelles qui forment un perturbant dédale en trois dimensions. J’adore le concept des petits recoins (sans vouloir me vanter j’en avais parlé à une amie architecte il y a dix ans) où se planquer pour lire un bouquin mais j’avoue être moins fan de sa transcription.

Fait amusant, il est possible de louer une chambre pour une nuit. Je pense qu’il vaut mieux éviter de s’y réveiller de peur de mourir terrorisé à la vue des sculptures d’animaux au regard dément qui DSC_6130_DxOse trouvent dans chacune des chambres d’amis. C’est d’ailleurs comme cela qu’on les repère : la chambre de l’ours, la chambre du rêne et ainsi de suite. Je vous rassure, la propriétaire n’est pas une perverse sadique (pas en public en tout cas) et a charitablement inclus un cabinet de toilette dans chaque chambre. Je n’ose imaginer le nombre de visiteurs qui déféqueraient dans les-dits recoins, à bout après deux heures de déambulations fiévreuses à la recherche des toilettes, si ce n’était pas le cas. J’entends les mauvaises langues persifler qu’un ou deux étrons ne changeront rien à l’affaire.

L’ensemble, et je vous l’ai déjà dit, est toujours en cours d’évolution. Je me suis donc trouvé nez à nez avec un ouvrier, dans un chantier en traversant un pont en planches, alors que je cherchais la sortie. Ce fut ma fois fort intéressant au demeurant car j’ai pu constater que l’ensemble était construit en briquettes et béton sur armature métallique. De la très belle ouvrage. Là encore, transposons ça en France et imaginons les hoquets d’horreur de la commission sécurité en charge de la validation pour ouverture au public du lieu. Moi, je vous le répète : d’autres lieux, d’autres angoisses.

2 réflexions sur « La folie des grandeurs »

Laisser un commentaire