Cruiser en scooter 2 – Part 1

J’avions vu la plage. J’avions vu les temples Champas. J’avions vu un peu des quartiers non touristiques. Je commençais à me demander ce que j’allais bien pouvoir faire à Nha Trang pour mon deuxième jour. Il y avait possibilité de faire du parachute ascensionnel sur la plage, de faire de la plongée sous marine ou encore d’aller visiter Vineland. Moi, je suis asocial. J’ai donc préféré faire le dingue et louer un scooter (ou motobaïque, en vietnamien) pour la journée, histoire d’aller visiter les alentours de la ville et notamment ces magnifiques montagnes en bordure. Qui plus est, la location d’un scooter pour la journée est particulièrement bon marché et encore une fois, dénuée de toute tracasserie administrative.

Ce matin là, je descend donc à l’accueil et en parle à la dame de la réception. J’expose mes souhaits : « J’veux aller voir les montagnes ! ». Elle me propose d’aller au sud en suivant la nationale Ho Chi Minh, là où la montagne rencontre la mer. Elle m’avait bien cerné et, avec un air complice, m’affirme que c’est très joli. En disant ça, ne croyez pas que c’est la seule indication qu’elle m’ait donné d’un air mystérieusement asiatique en plissant les yeux, le regard lointain : « Va au sud, là où la montagne rencontre la mer, homme au t-shirt Tiger Beer! ». Ça aurait été un peu court et je me serai arrêté au pied du téléphérique pour Vineland : « Ben j’comprend pas, la montagne rencontre la mer, mais c’est moche ! ». Non, en vérité, elle m’a donné tout un tas d’indications à base de « à droite », puis « à gauche après le bâtiment militaire » et ponctué d’un sinistre « vous pouvez pas vous tromper » qui augure souvent d’une navigation catastrophique.

Je part donc muni de mon sac à dos rempli de quelques bouteilles d’eau, prêt à affronter cette chaude journée en véhicule motorisé. Pour la nourriture, je compte bien m’arrêter comme d’habitude au bord de la route chez un restaurant ou échoppe quelconque. On m’explique comment faire pour démarrer et je découvre au passage que le niveau d’essence est au minimum. C’est toujours très agréable. Je décolle donc, avec une vague indication pour la station service la plus proche.

Assez rapidement, je retrouve mes sensations de Pondichéry dans un trafic tout de même beaucoup moins stressant. De plus, je suis muni d’un petit casque. Côté sécurité, je suis donc au top de ce qui se fait en Asie du Sud-Est. Par contre, je ne tarde pas à abandonner l’idée de trouver la station service du quartier. Ma mémoire doit être défectueuse ou mon attention peu soutenue. Toujours est-il que je roule un petit quart d’heure, les fesses serrées, avant de craquer et de demander à une collègue à deux roues le chemin vers la plus proche station essence. Le plein fait, je constate que le niveau ne bouge pas. Tiens, tiens ? La jauge serait-elle défectueuse ? Finalement, après quelques nouvelles minutes de route, l’aiguille remonte tout doucement pour se stabiliser au milieu. Ça n’a pas l’air super fonctionnel tout ça mais au moins je ne suis pas au minimum.

Je part donc tout ragaillardi d’avoir un plein d’essence (le monde est à moooââââh, hahahahaha) et assez rapidement commence sérieusement à douter du sinistre « vous ne pouvez pas vous tromper ». En réalité, je crois bien que je le peux, et assez facilement. Le long de la mer, je longe un bâtiment et aperçoit un panneau marqué « marine nationale » et me demande s’il s’agit de ce fameux bâtiment militaire où je dois tourner. Plus loin, je vois d’autres grands bâtiments similaires. Je soupire, puis prend l’initiative de tourner maintenant.

Quasiment une demi-heure plus tard, je me retrouve sur une colline où je vois un panneau indiquant le téléphérique de Vineland. C’est désormais officiel, je me suis trompé. Ce n’est pas bien grave. C’est les vacances et j’ai pu savourer l’expérience de traverser un marché dans une rue principale sur mon deux roues, comme un véritable vietnamien. Je sais qu’il faut que je traverse un pont enjambant une rivière. Je fais donc quelques tentatives dans des culs de sacs avant de trouver la bonne route.

Finalement, me voilà donc roulant à un solide petit 60 km/h, cheveux quasiment aux vents mais le nez clairement dedans, le long de la deux fois deux voies de la route Ho Chi Minh. La route contourne une colline avant de repiquer au sud. Je croise un casino qui n’a pas l’air très fréquenté (encore une idée du gouvernement local, j’imagine) ainsi que quelques petite routes partant à droite ou à gauche. D’après ma réceptionniste, je dois continuer, la montagne ne rencontrant toujours pas la mer. Toutes les collines ou montagnes autours sont densément boisées, sans aucune habitation, et je cherche à discerner une route y menant. Je passe devant l’entrée d’une nouvelle résidence touristique sous un grand panneau publicitaire qui ne dois donner envie qu’aux Vietnamiens. Finalement, trouvant un peu le temps long, je décide d’obliquer sur un chemin partant vers la mer, toute proche.

Le chemin très court descend vers une petite plage et je manque déraper en freinant, la roue avant s’étant bloquée. Le freinage m’a l’air drôlement sensible. En tout cas la vue est un peu décevante car ponctuée de résidences hôtelières. Mais surtout, toujours pas de route longeant les montagnes en vue. Finalement, je décide de faire demi-tour pour prendre les chemins menant vers la colline. Le premier, après quelques méandres et fausses routes sur des routes en terre me mène le long d’une petite route pentue où je croise un vieux monsieur marchant dans l’autre sens. Sin tchao. Pas de chance (ou sens de l’orientation défectueux), c’est un cul de sac menant vers une maison. Encore raté.

Je retourne donc vers la nationale Ho Chi Minh et revient encore un peu plus pour bifurquer dans un petit groupe d’habitations croisé plus tôt. Cette petite route se transforme rapidement en une longue route en terre toute droite traversant la campagne avec quelques maisons sur le côté. Je me retrouve à rouler à vitesse réduite pour essayer d’éviter les nids de poules. On apprend difficilement de ses erreurs et dans un excès de zèle, je freine pour éviter un gros trous. Ma roue avant se bloque. Le scooter chasse de l’avant. En une fraction de seconde je me retrouve par terre, le véhicule sur le flanc en surrégime, une vive douleur à la jambe gauche. Comme je hais ces petits cailloux coupants profondément enfoncés dans la terre battue.

Dans ces moments là, la première chose à laquelle je pense, c’est de m’administrer une grosse gifle. Puis, je jure en me traitant de tout les noms tout en me relevant. Ensuite, j’essaie de comprendre ce que j’ai fait pour m’être retrouvé dans cette situation. Puis enfin, je sens comme une douleur qui pique et je jette un œil à ma jambe.

Si vous êtes ma mère ou une personne sensible, veuillez-lire le paragraphe ci-dessous. Dans le cas contraire, lisez le deuxième paragraphe qui suit.

Je constate de la poussière sur mon genou et quelques éraflures sur le haut de mon pied, que je n’avais pas protégé car je porte des claquettes pour faire couleur locale, rappelez-vous. Finalement, la douleur provient essentiellement de mon amour propre qui, lui, est profondément blessé en de multiples endroits de méchantes coupures. Veuillez sauter le paragraphe suivant et poursuivre votre lecture comme si de rien n’était.

Je constate de multiples méchantes et profondes coupures sur le haut du tibia et des éraflures superficielles sur le haut du pied que je n’avais pas protégé car je porte des claquettes pour faire couleur locale, rappelez-vous. Du sang coule abondamment et je sens ma jambe qui irradie à chaque battement de cœur. P***ain, quel con ! Je me cite si vous le permettez. Je plie ma jambe et ma cheville. Check. A priori, il n’y a rien de brisé, hormis mon amour propre.

En dehors de cela, je constate quelques autres éraflures mineures à la paume de la main. L’adrénaline fait le reste pour me maintenir en vie. Je relève donc le scooter, met la béquille et éteint le moteur. Au passage, je remarque que le rétroviseur gauche et brisé en morceaux par terre et quelques égratignures décorent maintenant le carter de la transmission. Je sors donc une bouteille d’eau minérale pour nettoyer ma jambe (la poussière sur le genou surtout, bien entendu). Ça piquotte. La journée commence bien.

A cet instant, une mobylette s’arrête derrière moi et un vietnamien d’âge mur descend rapidement de son véhicule pour venir me voir. Il jette un œil à ma jambe gauche (toute empoussiérée, bien sur) et secoue la tête en fronçant les sourcils et en faisant « tss, tss, tss ». Je lui fait un sourire pour le rassurer. Un garçon et une fille accourt également, sortant de la maison juste à côté. Oui, quand je me vautre, j’ai la bonne idée de faire ça devant du public. Je commence à me dire que j’ai du faire un petit raffut en tombant pour attirer tout le monde. Ils jettent un œil mi-dégouté, mi-désolé à ma jambe (qui est le centre d’attraction maintenant, sans doute à cause de la poussière) et repartent en courant vers leur maison.

L’homme à la mobylette prend mon scooter et le pousse en dehors de la route en terre en m’invitant à m’asseoir sur le petit muret de la maison. J’obéis en clopinant. L’adrénaline retombant tout doucement, le familier raidissement commence à opérer. Car je commence à avoir l’habitude de me vautrer en deux roues sur des chemins de terre. J’ai fait pire.

A ce moment là, les deux enfants reviennent avec leur mère qui elle aussi secoue la tête d’un air navré en voyant ma jambe ensan… euh… empoussiérée. Elle dit quelque chose à l’un de ses enfants qui repart dans la maison. Quelques minutes plus tard, il revient avec une grosse tasse d’eau qu’il tend à sa mère. Ah ben c’est gentil ça mais elle est propre votre eau ? Malgré tout, j’avance ma jambe pendant que la mère verse l’eau sur mon tib… GNNNNNANNNNNNNNNNHHHAaaaaa !! Salop**** de p**** de sa $@!#, pense-je très fort. Mais c’est de l’eau quasiment bouillante! Sans me prévenir. Même pas un petit verre d’alcool de riz. En même temps, j’avoue que je ne parle pas très bien le vietnamien et eux, pas du tout anglais. En tout cas, ça répond à ma question sur l’hygiène de l’eau mais ça piquotte très très fort. Elle répète l’opération deux trois fois en tamponnant un peu avec un coton pendant que je me contracte pour ne pas crier ou la gifler. Malheureusement, je crois qu’un léger « aaaAAAah » m’a échappé à un moment. La honte. Et dire que je représente la France dans ces moments là.

Ma jambe plus ou moins nettoyée, un des enfants dépose quelques gouttes d’un liquide jaune pâle et un peu huileux d’une petite flasque sur chacune des pla… euh, pardon… traces de poussières. J’espère très fort que c’est un désinfectant. Finalement, la mère couvre tout ça dans un gros morceau de coton (d’une surface couvrant environ dix centimètres sur dix, pour vous dire l’étendue de la saleté) tenu par quatre petits sparadraps. Du travail bien fait en tout cas et je les remercie chaleureusement avec tous les sin tchao que je peux sortir ainsi que quelques petites courbettes pour faire bonne mesure.

Je clopine donc vers le scooter pour repartir pendant que l’homme à la mobylette est toujours là avec un air soucieux. J’ai beau sourire pour le rassurer, j’ai l’impression qu’il n’a pas confiance. Je m’assois et tente de démarrer. Rien. Je retente. Re-rien. Mon collègue motocycliste s’approche donc et tente également la manœuvre. Même résultat. Rhaaaa, fait chier. Il se rassoit sur sa mobylette et me fait signe d’avancer sur la route dans la direction où j’allais. Je suppose qu’il veut m’indiquer un endroit où réparer le scooter. Je descends donc et commence à pousser mon engin en clopinant. Mon collègue s’agite et me fait signe de m’asseoir. Qu’est-ce que ? Non ? Si ? Alors que je suis assis je le sens mettre son pied contre un élément de mon scooter et alors que le pétaradement de son engin augmente je sens qu’on accélère. Ils sont vraiment très adroits en deux roues pour pouvoir pousser un deuxième véhicule avec une jambe tout en conduisant.

Nous avançons donc à vitesse très réduite sur la route défoncée, moi légèrement crispé de peur de me casser une nouvelle fois la figure et surtout, de retomber du côté déjà abîmé. Bizarrement, me vautrer et me faire mal sur l’autre jambe ne me pose aucun problème. On est vraiment bizarre, parfois. Finalement après à peine deux cent mètres nous nous arrêtons devons un petit garage de campagne où sont assis environ cinq autres vietnamiens qui se régalent du spectacle. Pour ce qui est d’être discret, c’est décidément complètement exclu.

Mon bienfaiteur discute avec le garagiste qui s’approche pour ausculter le scooter. Il tente de démarrer et n’obtient aucune réponse. Puis rapidement, il dévisse un petit élément de carrosserie en plastique et sort la batterie. Je suis pas très doué, sans doute, mais là il était clairement évident qu’un des câbles n’était plus connecté. Comme on se sent couillon dans ces cas là, je vous jure. Le garagiste s’empresse donc de reconnecter le câble et retente de démarrer. Roouuuarh. Ca marche, super. Tout content, voir euphorique, je demande le prix de la réparation qui se trouve être de 20 kDongs. Je me la joue américain en voyage et lui file le double sous ses remerciements. J’espère qu’il partagera avec mon bienfaiteur car j’ai complètement oublié de le remercier autrement que par une pluie de sin tchao.

Je repart donc timidement sur mon scooter sous les regards que j’imagine un peu narquois des six vietnamiens. Cinq mètres plus loin, je cale. Le ralenti semble très très bas. Je retente de démarrer pour éviter la double honte. Peine perdue, le scooter refuse. Jusqu’à la lie je la bois ma honte. Je range donc mon amour propre (enfin, ce qu’il en reste) dans ma poche et me tourne avec un sourire vers le garagiste qui se dirige déjà vers moi. Il doit avoir un pouvoir ou je ne sais quoi car après la deuxième tentative le moteur redémarre et sans demander mon reste je repart en tentant de maintenir un minimum de régime moteur. En sachant en plus que je repart sur cette fameuse route en terre qui m’a traîtreusement amené au sol, je ne vous cache pas que je pilote de manière contracté et surtout, sans toucher aux freins.

Finalement, je me relâche lorsque j’atteins enfin le bon vieux bitume de la route Ho Chi Minh et tourne en direction de Nha Trang.

Et dire qu’avec tout ça il n’est même pas midi.

(la suite au prochain épisode)

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