Ma première sortie à Mumbai

Mon avion étant arrivé à Mumbai (anciennement Bombay) vers minuit trente et étant sorti de l’aéroport vers deux heures du matin (faites une rapide soustraction pour calculer le temps passé à faire la queue pour la douane), je n’ai finalement pu voir la ville qu’au lendemain matin. Je l’avais ceci dit très bien entendu car la cacophonie de klaxon commence déjà au parking de l’aéroport où m’attendait deux employés de l’hôtel.

Bref, après pas mal de reculades et de traînage au lit, je prends finalement mon courage à deux mains et décide de faire une première sortie dans la ville en tentant de rejoindre la mer à pied. Histoire de temporiser et surtout façon de ne pas faire l’imbécile, je demande à l’employé de l’accueil de mon hôtel dans quelle direction se trouve la mer ainsi que son opinion quant à l’idée de faire le trajet à pied. Il me réponds que c’est à trois kilomètres et que je devrais plutôt prendre un tuc-tuc. Premièrement, un tuc-tuc je ne sais pas trop ce que c’est mais je me doute que c’est ces petits engins à trois roues avec un bruit de mobylette pour lequel il va falloir que je négocie un prix en sachant que je suis nullissime en marchandage (voir billet sur le prix des boissons). Pour une première sortie je trouve ça un peu trop dur. Quand je serai baroudeur niveau deux, pourquoi pas. Et deuxièmement, trois kilomètres à pied sur du plat, c’est une plaisanterie. Je fais ça régulièrement et parfois même à la montagne! C’est d’ailleurs ce que je lui réponds avec un petit rire.

Je me lance donc et quitte le calme et le frais du hall pour rej… oh putain ! Mais c’est quoi cette chaleur ? Mais faut vite baisser le thermostat les gars ! Je sens déjà mes pores se dilater avant d’avoir parcouru les vingt mètres de la cour qui séparent la porte de l’hôtel de la rue. En arrivant dans la dite rue je me prends le deuxième choc et me retrouve abasourdi par la cacophonie de klaxons, d’odeur et de mouvement. Surtout le dépaysement est total et il n’y a pas la moindre chose de familier auquel se raccrocher. Je sens mon cerveau compulser ses fiches à la recherche d’un truc qui pourrait m’aider à faire bonne figure. En attendant qu’il trouve, je tourne machinalement vers la droite comme me l’a indiqué l’employé de l’hôtel. Pendant cent mètres j’ai les sens complètement saturés où tout est brouhaha (bruit de véhicules, klaxons, conversations en hindi), mon regard ne parvient pas à se fixer à quelque chose mais saute de droite à gauche comme si j’étais bourré. Mon nez, pourtant pas très fin, respire une odeur fait d’un cocktail de sucre, d’épice, d’encens, parfois de feu de bois et d’urine finie au gaz d’échappement. Ce n’est pas une souffrance mais c’est une véritable surdose sensorielle et je sais que je finirai par m’y habituer (c’est d’ailleurs le cas). Pour ceux qui connaissent, ça me rappelle vaguement l’odeur de Mexico en plus fort et corsé. Pour le moment, je me concentre de suivre plus ou moins le trottoir en zigzaguant entre les vendeurs, les passants venant dans l’autre sens et les voitures, tuc-tucs et motos à ma gauche. J’apprends rapidement à arrêter de chercher les passages piétons et traverse les rues au timing comme mes collègues piétons, profitant du klaxon pour entendre venir les véhicules de loin. Ou plutôt non car comme TOUT LE MONDE klaxonne il n’y a plus du tout moyen de savoir qui te parle. C’est tellement le bordel que je me dis que non, décidément, Mexico c’est Genève à côté de Mumbai (blague pour les Rhône-Alpins).

Je constate pas mal de regards dans ma direction et j’imagine que c’est soit à cause de mon air ahuri genre « mais c’est qui tout ces gens ? », soit à cause de mon look d’occidental. J’opte plutôt pour la seconde théorie. Au niveau visuel je suis surpris par la quantité d’échoppes de chaque côté de la rue – vendeur de téléphonie mobile, de nourriture, de boisson, de fruits, de chaussures – le tout un peu à l’arrache très très loin des standards occidentaux ou le moindre petit vendeur à une vitrine bien propre. Là tout le monde est dans la rue et le magasin souvent qu’une petite cabane en tôle ondulée. Derrière se trouvent souvent des immeubles modernes bien qu’assez décatis. Ce n’est pas tant la modestie d’apparat de ces magasins qui me surprends mais leur nombre. Je pensais Mumbai plus clinquant, plus vitrine, mais j’ai du choisir un quartier populaire. Côté indiens, je vois des hommes en chemise pantalon, d’autres en habits blancs avec ou sans petit chapeau, barbus, moustachus ou pas, des jeunes en jean et T-Shirt ou bien en habit blanc traditionnel, des femmes à l’occidental, beaucoup en saris de couleur et encore d’autres la tête voilée et même des femmes couvertes d’une sorte de burka. Un vrai mélange de religion et de croyance, quoi.

Je poursuis ma route et emprunte un escalier qui semble rejoindre une passerelle piétonne couverte qui suit la rue en hauteur. En continuant vers la direction indiquée de la mer la passerelle enjambe rapidement trois lignes de chemin de fers et je découvre pour la première fois les trains bondés à l’indienne avec des grappes de gens penchées à travers les portes ouvertes des wagons. J’ai une subite pensée pour le principe de précaution à la française et les campagnes de prévention routière. D’autres lieux, d’autres priorités. Je poursuit le long de la passerelle, profitant de l’ombre qu’elle procure et ne tarde pas à apercevoir un petit garçon assit bizarrement au milieu du flot humain. En me rapprochant je constate rapidement qu’il lui manque son avant bras gauche et poursuit mon chemin, comme tous les indiens à côté de moi. Ca, c’est bien une partie de l’Inde telle que je l’imaginai. Quelques dizaines de mètre plus loin une femme en sari crasseux fait l’aumône avec sa petite fille en slip. Je me rends compte que ça ne me choque pas plus que ça. La misère a bien progressé en France, et cette scène là est loin d’y être exceptionnelle. Pas sûr que ce soit une bonne nouvelle ceci dit.

Après quelques minutes de marche où on surplombe un quartier commerçant de bric et de broc, la passerelle se termine et je redescend un ultime escalier pour rejoindre une grande avenue bordée de magasins un peu plus à l’occidental. Malgré tout, des petits détails font qu’on ne peut pas se croire en Europe: des devantures un peu décaties et crasseuses même pour des banques ou des magasins hi-tech. Seules les magasins de luxes (quelques uns) sont à peu prêt propres, même si j’ai aperçu plus tard deux poules folâtrant dans le petit jardinet d’une joaillerie de luxe, mais c’est une autre histoire. Ce n’était pas bien différent au Mexique ceci dit mais la moindre boutique sérieuse ferait réfléchir le client en France par son aspect. Encore une fois, d’autres lieux, d’autres priorités et je me doute que la violence de la mousson annuelle ne doit pas aider pour l’entretien.

Je poursuit un peu mon chemin « à la boussole » et après avoir longé un terrain vague débouche dans une rue un peu plus pauvre et manifestement spécialisée dans les garages. Un grand nombres de garagistes oeuvrent sur les tuc-tucs et taxis jaunes et noires qui foisonnent dans les rues. Toujours ces regards vers moi et je décide donc d’adopter le regard dur et résolu qui inspire le respect et la crainte histoire de ne pas me faire embêter. Mais surtout j’adopte une démarche droite, résolue et surtout sans hésitations quand à mon chemin histoire de clairement faire passer ce message : « je suis en mission les gars, je sais ce que je fait, faites moi pas chier ». J’ai vu ça dans les films de Jason Bourne. Matt Damon, c’est mon mentor.

Bref, je traverse ce petit quartier de garagistes au demeurant fort sympathiques et opère une rotation vers la gauche car entre temps la rue avait traîtreusement obliqué dans le mauvais sens. Je repart donc vers l’ouest (c’est le meilleur d’après Jim Morrisson) et un peu plus tard change à nouveau de quartier que j’imagine être Juhu, quartier en bord de mer, car j’avais un petit peu potassé mon Lonely Planet. Un peu plus vert que les quartiers précédemment traversé, avec plein d’arbres aux lianes pendantes que les amateurs de plantes et les boudhistes identifieront mieux que moi comme l’arbre où Boudha est resté en méditation pendant des années, les immeubles aussi semblent être résidentiels supérieur bien qu’encore une fois, un peu décatis. Devant on y trouve pas mal de pancartes de médecins, cliniques ou autres dentistes. Deuxième indice donc concernant le niveau social du quartier. Le troisième indice étant la présence de gardes devant l’entrée des parkings. Alors, je vous arrête tout de suite. Ceux qui imaginent des gardes façon GIGN ou gros vigile black à la Sécuritas se fourvoient. Ici quand je dis gardes, il faut plutôt comprendre gardiens et ce sont plutôt de frêles messieurs légèrement assoupis sur leur chaise (faut dire qu’il fait drôlement chaud ici, rhaa), les doigts de pieds à l’air au dessus de leurs sandales et dans un uniforme légèrement trop grand pour eux. Ca ne fait pas trop peur. Mais en tout cas on comprend que ne rentre pas qui veut et surtout pas les crapouilleux.

Finalement, après un peu de marche supplémentaire, entre deux immeubles, je découvre un passage légèrement ensablé, et au loin, la mer. Joie ! Donc avec empressement je me dirige vers elle et… Au fait, vous pouvez m’arrêter quand je dis des conneries, hein ? Avec empressement ???!! Mais n’importe quoi. Sous 36°C et 90% d’humidité ? Faut être malade et c’est surtout carrément pas crédible. Donc non, je me suis traîné mollement vers la mer car j’avais déjà le cerveau pas mal en ébullition malgré ma casquette estampillée anti-UV et mes deux litres d’eau embarqués. Mon pantalon me collait aux cuisses et ma chemise de lin était trempée dans le dos. La voilà la vérité crue et sans fard !

Bref, je me pose un peu sur la plage, quasi déserte, et profite du trèèèès relatif air frais porté par le vent marin en provenance de la mer d’Oman. Un vent à 30°C je dirai. Donc pas très frais finalement. Mais bon, ça fait quand même du bien et je découvre quelques jeunes couples qui ont l’air de profiter de ce lieu pour se bécoter en toute discrétion à l’ombre des palmiers des résidences haut de gamme posés le long de la plage. En m’approchant de l’eau (c’est inévitable quand on est à la plage d’y être attiré) je découvre avec une demie surprise une eau sale et encombrée de détritus. Un peu plus loin sur une avancée rocheuse encadrant une rivière j’aperçois des gens penchés et cherchant des choses. Avec peu d’imagination je me dis qu’ils fouillent les poubelles. De l’autre côté, vers la mer, quelques barques de pêcheurs et leurs propriétaires travaillent sur leurs filets.

Je me pose à l’ombre d’un palmier à distance respectueuse de mes voisins, le dos appuyé sur le mur de soutien du jardin d’une résidence de catégorie supérieure et commence à bouquiner le Lonely Planet en tâchant de redescendre ma température corporelle à 37.5°C. L’environnement plus clame et paisible de la plage est agréable et je traîne un peu avant de refaire le chemin inverse vers mon hôtel, à travers Mumbai que je viens de rencontrer.

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