Mes cantines

Et voici de nouveau le moment de parler nourriture. Ça faisait quelques temps que je n’en parlait plus. A Mumbai, pris dans la joie de la découverte, j’expérimentais les restaurants un peu au hasard. Quand à Hampi, on ne peut pas vraiment dire qu’il y ai eu d’expérimentations vu le nombre relativement faible de restaurants et surtout de leurs cartes très similaires. Disons que c’était bon, sans plus, mais là n’étais pas l’intérêt (rappellez vous, le but était surtout de se mettre à l’abri de la pluie). J’attendais donc avec impatience Pondichéry pour découvrir une cuisine un peu différente et un choix plus conséquent (région différente et surtout fusion potentiellement créole entre la cuisine française et indienne. Oui, j’avais des fantasmes de tartiflettes byrianni au garam masalla et de dahls au vin rouge).

Mais commençons par le commencement : le sud de l’Inde et le Tamil Nadu en particulier est une région particulièrement végétarienne. On peut même dire que c’est la norme. Les quelques plats carnés sont le fait de la communauté musulmane ou venus du nord. Bien entendu prêt de la côte il y a également quelques produits de la mer mais au quotidien, beaucoup de gens mangent des préparations végétariennes. Si vous êtes végétariens et que vous vous lassez des salades vertes voir de tofus au restaurant en France, this is the place to be, à condition, bien sur, de supporter la cuisine épicée. Pendant mes dix jours sur place j’ai eu largement le temps de prendre mes habitudes et je vais donc vous parler de mes petites gargotes à moi que personne d’autre ne connais à part une poignée de milliers d’indiens.

En premier lieu, le Surguru de Mission Street, limite côté tamoul, restaurant exclusivement végétarien. C’est ma cantine, quasiment. Et pour cause : c’est à quelques encablures de ma guest house. Au programme, une carte sur une feuille A4 plastifiée avec une bonne cinquantaine de plats aux noms mystérieux et quelques « Lunch Specials », le tout servi dans une grande salle climatisée à l’aspect de cantine scolaire mais occupé par un peloton de serveurs en tenu marron ou chemise blanche / pantalon noir. J’ai appliqué ma désormais éprouvée (quoique) technique de sélection aléatoire (étant donné ma mémoire atroce des noms, surtout étrangers), toujours ponctué de regards surpris voir interrogatifs des serveurs (j’ai sans doute mélangé des desserts et des plats principaux en divers occasions et oublié régulièrement de commander du riz). Le « Lunch Special » fut testé également. Sur un plateau métallique sont servis divers petits bols remplis de substances diverses avec deux chapatis au milieu. De temps en temps un serveur s’approche avec une cantine métallique et une louche en demandant un truc incompréhensible, auquel je réponds un coup sur deux « yes » ou « no » suivant tout un ensemble de paramètres qu’il me serait difficile d’expliquer (mais dont la sensation de satiété occupe la première place et l’état de mon tube digestif, la deuxième). Si la réponse est positive, il déplace un des petits bols du plateau pour y mettre une petite louchée d’une autre matière à la place. Auquel cas je réponds « merci » puis m’empresse d’y plonger un bout de cuillère dés qu’il a le dos tourné, pour vérifier la nature du met. Le Surguru est un restaurant bon marché (autour de 100 roupies) et de bonne qualité. Néanmoins l’attitude des serveurs un peu guindé dans un décor quelconque laisse une impression amusante.

Il faut que je vous précise que je ne suis toujours pas très doué pour manger à l’indienne, c’est à dire rien qu’avec la main droite (la main gauche étant réservée pour la coloscopie) en prenant une boulette de riz ou un morceau de chapati pour éponger les plats en sauce. Invariablement, le morceau arrive à ma bouche en ayant perdu les trois quarts de son contenu. De nombreuses fois j’ai utilisé ma main gauche. C’est mal et c’est sale. En désespoir de cause, j’avais recours à la cuillère fourni pour transférer les mets des petits bols dans la chapati au centre. Mais invariablement, je finissais mon plat en ayant constellé les environs de petits grains de riz collés et de gouttelettes de sauce. Autant vous dire qu’à l’arrivé du serveur venu s’enquérir de ma volonté de poursuivre le repas, je constatait souvent sur son visage une furtive mimique d’horreur très similaire à celle du G.I. découvrant le charnier d’Auschwitz. Notez que je ne pousse pas la provocation jusqu’à pousser un rot sonore (souvent latent du fait de ma consommation de Pepsi) qui n’est sans doute poli qu’au moyen orient.

Un peu moins fréquemment et toujours pour les mêmes raisons (sa proximité), je vais souvent au restaurant « The Olive Garden ». L’ambiance est complètement différente du Surguru, hormis la climatisation. Le décor est légèrement tamoulisant avec des peintures représentant un Paris imaginaire (c’est à dire bloqué aux années vingts avec la Tour Eiffel quasiment à deux pas de Notre Dame) mais sans grande prétention. Par contre, je m’y retrouvait souvent seul ce qui est toujours très amusant. J’espérais une cuisine un peu fusion mais en réalité la carte se limitait à quelques plats indiens (d’un bon niveau standard) et ensuite quelques plats un peu plus occidentaux (pâtes à la bolognaise, au pesto et pizzas) que je n’ai pas essayé. Côté prix, c’est un poil plus cher que le Surguru, mais pas de beaucoup. D’ailleurs les plats « occidentaux » sont en général deux fois plus cher. Par contre, comme j’étais le seul client, c’était également l’occasion, au moment de payer, de poser quelques questions sur ce que j’avais vu (et pas compris) dans la journée. Par exemple, les indiens ont des mots pour cent mille roupies et dix millions de roupies, respectivement lakh et crore (si je ne dis pas de bêtises). Donc quand on vous demande votre salaire (ce qui peut arriver relativement fréquemment, surtout avec les étudiants) vous pouvez répondre deux lakhs par mois, c’est très classe. Bien entendu pour deux crores par mois, c’est encore plus classe mais vous risquez de vous faire taper de quelques lakhs au passage. Mais je digresse (encore).

Par ordre de fréquentation vient ensuite le bar / restaurant du « Quality Hotel » situé juste au sud du parc Bharati dans un très joli bâtiment colonial jaune et blanc du quartier français dont le grand intérêt est sa sélection de bière (Notamment trois types de Kingfisher dont mon Ultra habituelle), ainsi que son menu proposant, en plus des plats indiens, des plats simples un peu plus occidentaux (escalopes de poulet farci). Arrêtez de crier au scandale. Il y a toujours un moment ou on a envie de quelque chose de non épicé sans prétention. Malheureusement, la seule fois où j’y ai pris un plat indien, ça m’a atomisé la flore intestinale tellement c’était épicé. D’où l’intérêt combiné de la Kingfisher Ultra et de l’escalope de poulet. Autre particularité du « Quality » : sa faune. Comme c’est un des rares endroits où on sert de l’alcool, c’est le coin de rendez vous de certains indiens légèrement plus aisées qui veulent s’en jeter une (ou dix) après une journée torride. Coup de chance, ou conséquence de leur niveau social, je comprends ce qu’ils racontent donc c’est également pour moi l’occasion d’écouter discrètement leur conversation éméchée. L’ambiance sympathique est renforcée par de grandes fenêtres ouvertes (donc plus probablement une absence de fenêtres), de grands ventilateurs tournant paresseusement au plafond et un grand néon « Budweiser » toujours du meilleur effet. Le coût est par contre en conséquence de tout ça, largement deux à trois fois plus cher que le Surguru ou l’Olive Garden. Autre point négatif, le bar / restaurant ferme à 22h30 pour une raison législative qui reste à déterminer. En même temps, après la deuxième Ultra, un air à 32°C, une humidité à 50%, la sensation d’ivresse arrive très vite.

C’est le moment de vous avouer un terrible secret qui sera sans doute très mal perçu par certains : voilà, euh… comment dire sans froisser personne. Ecoutez, la meilleure chose, je crois, c’est d’être franc : J’EN PEUX PLUS DE LA CUISINE INDIENNE ! Voilà qui est dit. Je me sens mieux. Oui j’avoue qu’autour de mon vingtième jour en Inde, je n’avais plus beaucoup de plaisir à manger indien et chaque matin, midi et soir cela devenait presque une corvée. Ne nous trompons pas, j’aime bien la cuisine indienne mais celle que je mangeais me semblait légèrement peu variée, répétitive et finalement, dans un sens, peu subtile : riz, chapati, plat épicé en sauce. Et surtout je n’ai pas trouvé cette cuisine typique de Pondichéry. Sauf…

Avec un repas à 100 roupies, on s’en tire pour 2-3 euros, autant dire que c’est ridiculement bas. J’ai donc décidé de changer de catégorie et d’aller tâter du poids lourd. Pour quelques soirées, habillé de mon magnifique polo blanc acheté 110 roupies sur Mission Street et du guide Lonely Planet, je suis allé dans les meilleurs restaurants de Pondy. Enfin, je crois.

Juste à côté de la guest house, de l’autre côté de l’active et commerçante Mission Street, dans une rue paisible aux maisons coloniales, j’ai osé pénétré dans « La Maison Tamoule » au nom appétissant. Pour vous dire, je n’ai aucun souvenir de ce que j’y ai mangé. Ce ne devait pas être mauvais. Ce ne devait pas être excellent. Ce devait être cher et plutôt indien, sans doutes 500 roupies. Sans parler du fait que j’étais seul, encore, et pour le coup c’est beaucoup moins amusant dans un restaurant un peu guindé. Néanmoins, je dois avouer que le décor était assez sympathique : murs blancs et colonnes de bois exotiques sombres sculptés.

Deuxième tentative au restaurant de l’hôtel « The Promenade », sur les toits, juste sur l’avenue Goubert, c’est à dire sur le front de mer. Ambiance classieuse avec une adorable petite électro muzak en fond sonore emportée par la brise marine, donc parfaitement inoffensive. Je commande un mojito pour faire ton sur ton et décide de faire abstraction du prix de la carte. Ce soir c’est fête, ce sera donc homard. Malheureusement, la bête n’est pas disponible et je part à la recherche d’un autre plat de fruit de mer. Le serveur, sournois me suggère le plat de fruit de mer ultra luxe à un lakh. Chenapan, va. Je me replie plutôt sur un plat de poisson et prend une Kingfisher Ultra pour le consoler. En attendant, je pousse un soupir de contentement et profite de cette décadence en goûtant à la brise marine, chaude comme un séchoir à cheveux, la Kingfisher régulièrement portée aux lèvres. Je crois même que je tapote les doigts au rythme de la muzak. Mais ce doit être l’ivresse de la demi quart de pinte de bière.

Finalement le plat arrive et je dois dire que j’ai bien apprécié : cuisson parfaite, goût, léger épice. Très bien, merci. Le gredin de serveur me suggère un dessert et, souhaitant prolonger l’instant, j’acquiesce et porte mon auguste doigt de détenteur d’euros forts sur une glace à la mangue flambée. Trop la classe. Quelques instants plus tard (ou je suis toujours à pousser des soupirs de contentement), deux serveurs arrivent avec une assiette argentée, deux boules de glaces au milieu, une saucière d’alcool chauffé à blanc et un petit lance flamme portatif. Cérémonieusement, ils mettent le feu à ma glace en me posant délicatement le résultat devant moi puis s’effacent dans un sublime mouvement coulissant arrière dont l’absence de couinement de roulettes continu de m’enchanter. Je porte une cuillerée de la glace à ma bouche et, alors que la brise marine continue de me souffler dans l’oreille, suis bien obligé de conclure qu’il s’agit d’une glace de supermarché dont il ne reste absolument aucune trace de la moindre molécule d’alcool en goût ou en odeur. Déception. Je me contente du froid. J’ai d’ailleurs une deuxième dose de froid quand je reçois la note : 1000 roupies.

Pour conclure, parlons du « Shanti House », le quasi restaurant fantôme tant vanté par le Lonely Planet. Sensé se situé sur la rue Mahé de la Bourdonnais (j’adore ce nom), j’ai eu un mal fou à la trouver. Je parle de la rue donc le restaurant, vous pensez bien. Pourtant l’urbanisme du quartier français est relativement simple mais rien n’y a fais, cette rue m’a échappée pendant deux nuits. Je suis même tombé dessus par hasard en journée en notant bien mon point de sortie pour ne plus la retrouver la nuit tombée. Magie de l’orient… Toujours est-il que j’y suis quand même parvenu (sans doute en faisant le vide dans ma tête) et suis donc entré dans le restaurant du Shanti House, hôtel. Le décor est superbe puisque situé dans une cour intérieure d’un bâtiment à l’architecture coloniale. Couleurs claires, mur végétal, plantes exotiques, ventilateurs, meubles également exotiques, on y est. Au passage, le restaurant est également décoré de quelques clients ce qui est toujours rassurant. Je m’assois et un serveur classe mais dans la limite acceptable du « prout-prout » et surtout, dans un anglais compréhensible, me tend une carte. Je m’attendais à ces prix (suite à l’expérience de la terrasse du « Promenade ») donc ma sudation ne subie aucune variation. Je commande une Kingfisher en apéro (ça devient une habitude) et choisi ensuite un plat de homards cuits dans une feuille de bananier. J’ai une vision de quatre homards du Maine cuits à la vapeur dans une feuille géante. Après quelques minutes pendant lesquels ma bière tente de me rafraîchir, on m’apporte le plat… de taille normale. Manifestement, le mot « lobster » en anglais englobe également les écrevisses. Toujours est-il que le plat est délicieux et subtile. Enfin, un vrai plat un peu fusion et travaillé. Et en plus pour 800 roupies le repas, c’est complètement pas beaucoup très cher !

Le lendemain, je suis de nouveau parti me retourner le bide au Surguru parce que ça ne peut pas être tous les jours fête mais j’ai fini les trois derniers jours à Pondy sous la menace d’un Immodium.

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