L’arrivée à Hampi

Dans le précédent épisode notre héros volontaire affronte le froid sibérien des wagons 2AC-Tiers ainsi que les affres de la non-signalisation évidente des quais de départ de trains. Nous le retrouvons quelques heures plus tard, à la descente de son train, en gare d’Hospet, petite bourgade de 200 000 habitants de l’état du Karnataka. Car quand y a pas, ta cas aller en car. Vous verrez, c’est pas juste pour l’effet de style. Mais chut, trois coups de canne, rideaux…

Je me retrouve donc vers 19h32 sur le quai de la gare d’Hospet, mon dernier arrêt avant Hampi. Plus précisément mon dernier arrêt en train car comme convenu par mail, la dernière portion de route me séparant de Hampi (à peine une grosse dizaine de kilomètres) devrait être effectué en voiture grâce à une personne de la guest house venu me chercher. Ils sont bien sympa de proposer alors moi je saute sur l’occasion. A 19h30 le soleil s’est couché depuis une bonne demi heure et je sort donc du hall de la gare dans la touffeur habituelle de fin de journée. Une petite activité standard à base de pétaradement de deux roues et de vrombissements graves et gras de bus me confirme que je suis toujours en Inde. Je jette un œil aux alentours à la recherche d’un indien, frêle ou pas, moustachu ou pas, mais équipé d’un carton avec écrit «M. OLEEVER PRATH » ou quelque chose d’approchant. Rien de visible dans un rayon de 100m. Je repart sur le quai et effectue la même recherche. Même résultat. Je décide d’attendre un petit quart d’heure. Soupir.

C’est là que je me rends compte de l’incroyable chemin mental parcouru depuis une petite semaine. Hormis ce petit soupir de lassitude saupoudré de philosophie qui m’a échappé, je ne constate aucune hausse de tension artérielle ou de rythme cardiaque. Tout ceci est à peine surprenant et je me met à trouver des explications : le train est en retard d’une demi-heure et je n’avais fournis que l’horaire du train, pas son numéro. Allez, admettons. Bref, je me tourne vers les deux bus hors d’âge garés cinquante mètres plus loin, chacun déjà occupé par des passagers et apostrophe poliment le plus vieux des préposés que j’identifie grâce à leur uniforme caca d’oie maronnasse : « Bus to Hampi ? » Je pose la question une deuxième fois car je suis insatisfait de la qualité d’interprétation de la première réponse par mon cerveau . « Bus to bus station, 3 roupies. After bus to Hampi 15 roupies ». Il faut que je prenne un premier bus vers une station et ensuite un autre pour Hampi. Bon, ben allez, quand il faut… Je monte donc dans le bus en essayant de ne pas assommer des gens avec mon gros sac et paie diligemment mes trois roupies (une misère).

Après quelques courts instants, un des préposés monte dans le bus et pousse un coup de sifflet. Le chauffeur, dans un craquement inquiétant enclenche la première et démarre. Fenêtres ouvertes et moteur quasiment dans l’habitacle font qu’on est encore une fois submergé par le bruit du trafic, le rauque vrombissement du bus ainsi que le craquement de la boite de vitesse. Nous profitons tous également de la moindre subtilité du revêtement (ou de son absence) routier dans un couinement de suspension. Bref, tout ceci commence comme un joli tour de manège ou de temps en temps, profitant d’un ralentissement ou d’un signe de la main adressé au chauffeur, un passant vient s’accrocher à la barre extérieur pour sauter de manière experte dans le véhicule.

Le trajet jusqu’au terminus des bus est extrêmement rapide et me permet à peine d’entre-apercevoir Hospet de nuit. Ca ressemble à Santa Cruz (East) avec moins de grands immeubles et des bas côtés en terre. Rien de bien excitant donc. Au terminus, je repasse en mode recherche de mon nouveau bus en les passant un à un à l’inspection parmi les cris et klaxons des chauffeurs et préposés aux tickets, les bruits de diesels affolés (on le serait à moins) et les appels des passagers. La tâche s’annonce compliquée car hormis des numéros et des indications en hindi, il n’y a rien à quoi me raccrocher. Je repère un panneau marqué « Bureau of Enquiries » avec juste devant, quatre gars en uniforme caca d’oie marronnasse autour d’une petite table, occupés à consulter leurs machine enregistreuses portatives. Après quelques moments d’attente en espérant qu’un des préposés s’enquiert auprès de moi de mon éventuel besoin de m’enquérir, je me rends à l’évidence : c’est à moi de m’imposer. Je jette donc un «Excuse-me» sonore et demande en anglishe où je peux trouver le bus pour Hampi. Le plus vieux de la bande (celui qui est assis à la table, vous pensez bien) me réponds un truc que j’approxime plus ou moins comme « F600 ». D’acccoooord. « Thank yyyou », réponds-je à cette cryptique réponse et je refais le tour des bus en cherchant un F600. Que dalle. Putain, ils y mettent pas du leur, franchement.

A ce moment là, je repère un groupe de quatre jeunes touristes occidentaux (oui, ça se voit comme le nez au milieu de la figure à la présence de deux blonds). Je m’avance vers eux et leur demande dans un anglais châtié où je peux trouver le bus pour Hampi. Une des fille me réponds qu’il y en a régulièrement par là bas, pendant qu’une autre explique que si j’entends un « Hampi, hampi », c’est le bon bus. Cette dernière remarque aux allures de « private joke » fait sourire ses collègues. Super, bande de nazes. Je me dirige donc « là bas » en décidant d’aller faire chier tous les chauffeurs de bus un par un en leur demandant s’ils vont à Hampi. Coup de bol ou intuition venu de Vishnu, le premier me dit « Yes, yes » de manière passablement agacé puis se retourne pour répondre à la question de quelqu’un d’autre. Etant toujours en perpetuel doute quand à la réelle compréhension de mes interlocuteurs, je m’apprête à monter dans le bus en me soumettant au destin. Si je me retrouve de nuit, paumé au fin fond du Karnataka, c’est que Vishnu trois yeux veut que j’y soit. C’est à cet instant précis que, comme filmé au ralenti (c’est pour que vous vous sentiez captivé par le recit que je met des éléments de mise en scène), je lit la plaque d’immatriculation du bus. Elle se termine par « F600 ». Soupir. Oui. Certes. Une fois qu’on le sait c’est pas plus bête qu’autre chose comme moyen d’identification. Il n’avait qu’à me donner le numéro de sécurité social du chauffeur tant qu’il y était. Un peu dans le doute malgré tout (Non… ça peut pas être ça quand même ? Il aurait pas osé?), je me pose avec mes sacs.

Le bus part, toujours dans un mélange sonore de diesel agricole et autres craquements ou couinements mécaniques. Mes co-passagers me jettent des regards curieux (j’allais dire des petits regards, mais ce serait mentir) pendant que je jette un œil au paysage nocturne qui défile : petites échoppes sur terre battue, quelques vaches, des mobylettes, des saris puis un peu de campagne, un village de petites maisons en parpaings sur terre battue, une vache, des scooters qui klaxonnent (ah ok, c’est pas qu’à Mumbaï donc), le tout pendant vingt minutes. Et surtout, régulièrement, lorsque le bus s’arrête pour récupérer des passagers, le préposé au billets lance un « Hampi, Hampi » sonore. C’était donc ça la petite blague. Quelle bande de pourris. Aucune solidarité.

Puis soudainement, après avoir emprunté une route à gauche, j’aperçois un petit temple en ruine. Quelques instants plus tard, un gros bloc rocheux et un autre petit temple. Tout ceci est rassurant. Le bus s’engage au ralenti dans un virage à angle droit et j’ai le temps de découvrir à la lumière de ses phares un autre temple en ruine avec colonnades aux bas reliefs étranges sous cette lumière mouvante. Dans un nouveau craquement de boite de vitesse, le bus plonge alors dans une descente cerné de blocs rocheux et je devine en bas un vaste terre-plein bordé de quelques échoppes éclairées ainsi qu’un groupe de maison à étages à l’aspect carré.

Le bus vient se garer sur le terre-plein et je descends finalement à Hampi Bazaar. Assez rapidement, des gens qui me veulent du bien m’interpellent pour me proposer de m’héberger dans leur guest house. Je leur explique avec le sourire que j’ai déjà réservé à la Padma Guest House et après une mimique de déception ils m’indiquent le chemin. Un peu dans le doute (j’ai du mal à croire quelqu’un qui quelques secondes avant souhaitait me proposer une chambre dans son hôtel), je remonte une petite ruelle éclairée (la seule ruelle, en fait) et aperçoit au fond un petit panneau. J’étais arrivé et il était prêt de 21h.

Mumbai – Hampi par train et par bus : vingt quatre heures de trajet. Ça a intérêt à envoyer du lourd le patrimoine mondial de l’UNESCO.

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