Démographie du CC Columba

Pour rejoindre l’île de Malte de Fos-sur-Mer j’ai l’autorisation (moyennant forte finance, bien sur) de voyager à bord du porte conteneur Columba, armé par la compagnie française de fret, la CMA-CGM (d’où le CC). Ces acronymes veulent certainement dire quelque chose mais, je vous l’avoue sans fard, je m’en tape. Je vous épargne la fiche technique de l’engin mais sachez, car c’est de toute beauté, qu’il est bleu. Comme tout les autres bateaux de la compagnie. C’est d’un chic.

Comme il est, à priori, dans les limites actuelles de ma connaissance, uniquement affectée à une des lignes Europe-Asie, son équipage est un mélange assez hétéroclite de trois nationalités. En premier lieu, des roumains, peuple certes doué mais qui ne vient pas en premier à l’esprit pour ce qui est de la chose maritime. Mais j’ai vérifié. Il y a un bord de mer en Roumanie et même qu’elle est Noire. En deuxième, nous avons un bon nombre de chinois, de Chine, tous d’une apparente très grande jeunesse moyenne. C’est bien simple, pour certains, on a l’impression qu’ils ont à peine 20 ans. Le talent n’attend pas. Et pour finir, il y a bien entendu le lot de philippins, peuple indéniablement marin qui constitue le groupe majoritaire.

Par un hasard sans doute total, l’ordre dans lequel je vous expose ces différentes nationalités correspond peu ou prou à l’ordre hiérarchique au sein du bateau. Les officiers supérieurs sont roumains, notamment le capitaine, son second et le chef mécanicien. Les officiers subalternes sont chinois, notamment les troisièmes et quatrième officiers ainsi qu’une poignée d’aspirants. Pour finir, le gros de la troupe de matelots sont nos amis des Philippines. Bien entendu il y a quelques exceptions mais on ne se trompe pas beaucoup en décrivant la composition de l’équipage de cette façon.

Aux repas où les passagers se retrouvent dans le mess des officiers, jusqu’à ce jour, j’ai constaté que la hiérarchie se reflète dans le plan de salle. Les passagers sont à une table, les officiers supérieurs roumains à une autre et la bande de jeunes officiers chinois à une troisième. A mon arrivée, le troisième officier, un chinois dynamique et fort avenant, m’avais désigné ma place à table, place que j’occupe dorénavant à chaque repas sans réfléchir. C’est assez bizarre d’autant que tout se fait dans un silence plutôt contenu, façon restaurant chic hormis le ronronnement des moteurs. C’est une véritable torture psychologique. D’ailleurs ça ne rigole pas beaucoup côté roumain, surtout le capitaine, pas franchement expansif. Sans parler qu’à la table roumaine, il ne sont que 4 grand max quand tout le monde est présent alors que côté chinois ils sont souvent pas loin de 7. Quand à nous, les surnuméraires, et bien on est 3. Comme quoi on pourrait manger avec les officiers, ces rats.

Un ballet d’acier

Le romantisme est mort écrasé par la révolution industrielle laissant la place au pragmatisme et à l’optimisation forcenée. On pourrait le regretter – et d’ailleurs je ne m’en prive pas – mais force est de constater que c’est tout de même bien pratique tout ce pragmatisme. Ce n’est pas nous qui allons nous plaindre de bénéficier de tout ces petits objets plus ou moins électroniques fabriqués à l’autre bout de la planète tout en étant conçu du côté opposé. C’est notamment pas moi. Quoique. Et bien, s’il y a un domaine ou le romantisme a été consciencieusement éliminé et la rationalisation poussée à l’extrême tel un vieux tube de dentifrice usagé, c’est bien le transport de marchandise par voie maritime.

Oui. C’est là que je voulais z’en venir.

EuroFos 1Le transport maritime, ce n’est plus ce que c’était. Là, présentement, j’assiste depuis bientôt cinq heures au ballet incessant de grues gigantesques arrachant et empilant des conteneurs d’aciers de 27t dans un fracas métallique. Plus d’odeurs maritimes, de goudron, de chanvre, de poisson pourri. Plus de cris, d’interpellations ou de mouettes rieuses. Le port industriel moderne, froid et efficace n’est plus là pour plaisanter. Et pour cause : l’économie mondiale globalisée repose en grande partie sur ce mode de transport et tout est fait pour aller le plus vite possible, notamment parce qu’on a bien envie que notre nouvelle batterie commandée 2€ sur eBay auprès d’un marchand chinois (non déclarée à la douane, bouh les vilains) arrive chez soi dans moins d’un mois et idéalement hier, bien sur (même si cette sus-mentionnée batterie prend très certainement le dernier vol pour Paris pour nous parvenir).

Au cœur du système, le conteneur est un peu le globule rouge de ce vaste réseau d’échange de marchandise. Sans lui et ses dimensions standards, le transport moderne ne serait pas possible à ce niveau d’efficience. J’ai ouïe dire, d’ailleurs, qu’il a été inventé par les américains pendant la seconde guerre mondiale pour rationaliser le ravitaillement de la Grande Bretagne. Et oui, on n’est jamais à l’abri d’une anecdote qui croustille.

Euro Fos 5Pour un porte conteneur de 300m de long et 40-50m de large, trois grues géantes sont chargées de transvaser ces cubes dans un ballet impressionnant de dextérité. Un homme dans chaque grue, une petite dizaine conduisant des véhicules porteurs pour les alimenter et une poignée de coordinateurs, c’est tout ce qu’il faut en main d’œuvre pour cette tâche titanesque. Alors certes, il faut quelques autres dockers pour boulonner régulièrement des colonnes de conteneurs une fois à bord (et encore, j’ai la forte impression qu’ils ne sont pas tous boulonnés) mais le nombre dérisoire de main d’œuvre face au tonnage de marchandise transbahuté est proprement hallucinant.

EuroFos 3Pour vous donner une idée : extraire du navire un conteneur ne nécessite qu’une dizaine de secondes une fois attrapé par la grue avant de le replacer sur le quai où un autre véhicule vient l’attraper et prestement le ranger ailleurs. Ceci dit, il faut être fin dextre pour manipuler ces trucs ! Ça se balance, ça redescend pas pile poil au bon endroit, etc. Il en faut de la patience. On est bien loin du déchargement à dos de manutentionnaire. D’ailleurs on se demande si l’être humain a encore sa place dans ce grand ballet mécanisé. Mais faut-il s’en plaindre.