Au risque de me redire, New York, c’est cher. Mon petit squat payant chez Christine touchant à sa fin, je décide d’aller prendre l’air et soulager un peu mon portefeuille en allant voir ailleurs quelques jours, avant de revenir pour les dernières journées de tour du monde à NYC. Mine de rien, la date de départ finale pour Londres puis Toulouse approche. Dans moins d’une semaine, tout ceci sera fini.
Histoire de changer un peu d’atmosphère, j’ai envie d’un peu d’histoire. En en discutant avec Christine, je tranche pour Philadelphie plutôt que Boston. C’est plus près et des bus pas chers proposent des aller-retours pour 16$. Il ne reste plus qu’à réserver deux nuits à Philly (le petit surnom affectueux de la ville), ce qui s’avère finalement un peu plus compliqué que prévu, la ville étant manifestement prise d’assaut. Je me rabat du coup sur une nouvelle auberge de jeunesse en centre ville, de nouveau en dortoir.
Le jour J, je me retrouve à faire la queue sur un trottoir le long d’un chantier non loin du Convention Center, côté Hudson, sous un ciel gris et une pluie fine en compagnie d’une trentaine d’autres personnes. Tout ceci n’est pas super emballant mais vu le prix, on ne va pas faire le difficile. La compagnie low-cost Megabus, en plus de son concurrent Bolt, propose une alternative à moindre coût à l’historique Greyhound vers des destinations principales comme Boston, Baltimore ou Washington. Merci encore à Christine pour le tuyau. Sur deux étages, ils proposent prises électriques et internet erratique. La SNCF devrait en prendre de la graine. Par contre, tout le monde tire une tronche de dépressif, y compris les employés qui eux, doivent avoir de bonnes raisons. Derrière moi, un gars tient une bruyante conversation téléphonique. Il a cette magnifique phrase pour décrire l’environnement à son interlocuteur : « ici, c’est tranquille et silencieux ». Raté.
Le trajet se fait sans encombre toujours sous un temps maussade, le long de la highway, plate et monotone comme le paysage. Arrivé derrière la gare ferroviaire de Philadelphie, je monte dans le très peu fréquenté métro, surtout en comparaison de celui de NYC, avant de rejoindre l’auberge de jeunesse à pied. Avec cette météo, le premier contact avec la ville n’est pas très joyeux.
Qu’est-ce qu’on peut dire sur Philadelphie ? Et bien, tout d’abord que c’est une des villes historiques du nord-est des Etats-Unis, avec Boston et New-York, notamment pour tout ce qui a trait à la guerre d’indépendance. C’est ici que fut ratifiée la toute première constitution des USA qui est restée quasiment inchangée jusqu’à ce jour, fait notable pour être souligné lorsqu’en comparaison, la constitution française en est à sa cinquième mouture.
En dehors du downtown, plus petit que celui de San Franciso, où l’on trouve quelques grattes-ciels, la ville est plutôt peu élevée en terme de construction et apparaît incroyablement provinciale vu de l’extérieur lorsqu’on vient de la mégalopole new-yorkaise. Elle est posée à la confluence entre la Schuykill River et le fleuve Delaware, ce dernier séparant l’état du New-Jersey de la Pennsylvanie. On traverse un pont et on change d’état. Voilà qui est pratique en cas de délit.
Entre le downtown et le Delaware se trouve les quartiers les plus anciens, notamment de jolie rues résidentielles avec de mignonnes habitations de briques rouges. Il y a même quelques petites rues piétonnes, ce qui me parait totalement rarissime aux US. A intervalles régulières des plaques commémoratives signalent quelques lieux en rapport avec la guerre d’indépendance ou la création de la fédération. Un petit parfum de 18ème siècle flotte par endroit, même si Etats-Unis oblige, tout ceci est bien dilué. D’ailleurs, de nombreux bâtiments « historiques » sont en réalité des reconstitutions réalisées au 19ème siècle.
Bien entendu, une poignée de musées autour de cette thématique permettent de s’imprégner un peu plus de l’époque. Manque de chance, je tombe en plein dans le « Government shutdown ». Pour cause de bataille budgétaire entre le gouvernement Obama et le congrès, majoritairement républicain, le fonctionnement du gouvernement fédéral est totalement bloqué, notamment la paye de certains fonctionnaires. Du coup toutes les institutions muséographiques dépendant directement des subsides fédérales sont fermées jusqu’à nouvel ordre et à Philadelphie, c’est le cas pour la majorité d’entre elles.
Je me rabat tout de même sur le National Constitution Center, musée dédié à la constitution de 1787 (qui est à 99% celles des Etats-Unis contemporaines). Ah, il faut dire qu’ils en sont fiers de leur constitution. Malgré, par moments, une pointe d’auto-congratulation, un grand nombre d’expositions apportent un éclairage très intéressant sur le long et pénible processus ayant mené à la rédaction du document ou encore permettent de consulter les opinions politiques sur divers sujets des précédents présidents US, en les comparant dans le temps suivant leur couleur politique. Plus qu’un musée sur la constitution, c’est plus largement un musée sur la démocratie américaine plutôt bien fait, même si on n’échappe pas parfois à un ton plus proche de la propagande et d’une touchante naïveté.
Dans le genre anecdote pour soirée mondaine, j’apprend que George Washington était esclavagiste, comme la vaste majorité des propriétaires terriens du sud, et que les rédacteurs originels de la constitution souhaitaient déjà introduire l’émancipation et l’interdiction de l’esclavage. On était, après tout, en plein dans l’esprit des Lumières. Malheureusement, c’était un tel point de dissension entre les représentants des états du sud et les autres que pour éviter un éclatement de l’union au sortir de la guerre d’indépendance, ils ont choisi d’omettre ce point-ci. Un siècle plus tard, quasiment, le sujet manqua effectivement de faire éclater le pays. Encore une fois, une lecture de l’histoire permet de mieux sentir les rapports de force de l’époque et remet en perspective certaines certitudes contemporaines. J’apprend également, et sans surprise finalement lorsqu’on y pense, qu’un autre sujet de discussion houleux lors de la rédaction de la constitution portait sur la structure politique du pays, fédéraliste ou plus centraliste. Le fédéralisme l’emporta, contrairement à la France.
Mais Philadelphie, ce n’est pas que l’histoire. C’est également la gastronomie. Enfin, non. Disons qu’il y a une petite spécialité locale, inventé par un fast food du coin que l’on a justement nommé le Philly’s Cheese steak. Ce n’est pas d’une grande finesse mais ça vaut largement mieux qu’une poignée de poutine. Jugez plutôt :
- Prenez une pièce de bœuf que vous découpez en fines lamelles
- Faites revenir avec des oignons les lamelles de bœuf à la poêle.
- Prenez un demi-pain long façon baguette mais à la consistance plus molle, genre bun de hamburger.
- Disposez les lamelles de bœuf et les oignons dans le pain que vous aurez au préalable coupé en deux dans le sens de la longueur
- Nappé le bœuf de fromage genre provolone italien ou n’importe quel fromage fondant.
- Servez gras avec des frites.
Ce n’est pas l’expérience du siècle mais ça vaut bien n’importe quel burger.
L’autre spécialité de Philadelphie, c’est le boxeur à la voix éraillée. Ça, c’est Christine qui me l’a appris à postériori : « T’as vu la statue de Rocky ?
- Ah bon, il y a une statue de Rocky à Philadelphie ?
- Ben oui, c’est là qu’ils ont tourné le film. Il y a des gens qui se prennent en photo devant l’entrée de la maison.
Voilà. J’ai beau être cinéphile, je ne vais pas faire un déplacement spécialement pour ça. Pour les Goonies, je dis pas non, mais pour Rocky, niet. Tout ça en dis long sur le tourisme local. Ceci dit, en ce qui me concerne, mon court séjour dans la ville restera effectivement associé au cinéma.
Pendant deux jours le temps étant pourri et les choses à voir relativement restreintes du fait du « Shutdown » (avec un S majuscule), je me suis réfugié deux fois dans un petit cinéma des vieux quartiers, le Ritz Five, sentant agréablement l’art et essai dans le bon sens du terme, cousin de notre Utopia toulousain dans l’esprit. Au programme : film d’auteur, documentaire passionnant et petite comédie sous-diffusée, le tout servi par une petite équipe sympathique et souriante à un tarif doux. Comme j’y étais un mercredi, les places étaient à 7$. Sur deux jours, je me suis donc servi trois excellents films, « Inequality for All », documentaire de Robert Reich, ancien ministre du travail de Clinton, « Wadja », petit drame saoudien avec une petite ado débrouillarde et « In the World », hilarante comédie sur le milieu des voix de bande d’annonce hollywoodienne. Oui, c’est pointu. C’est vous dire la qualité du lieu.