Après la nourriture du corps, laissez moi évoquer la nourriture de l’âme. Je m’étais laissé dire (je ne sais plus par qui ou par quoi) que Montréal était extrêmement dynamique culturellement. Ce n’est pas forcément en quelques jours hors de toute période festivalière que l’on peut véritablement confirmer ou infirmer ceci. Néanmoins, voici deux anecdotes qui me permettent, d’une moue plutôt conciliante, de ne pas contredire cela.
Commençons par l’incident le plus mineur. Lors de mon séjour montréalais, j’ai pu découvrir en deux occasions des pianos laissés gratuitement à la disposition des passants en des lieux de passage (qui sont généralement considérés comme les lieux de prédilection pour les passants). Permettez moi de balayer de suite toutes les petites remarques mesquino-cyniques de certains d’entre vous concernant l’impossibilité de voler un piano. Certes, néanmoins ils étaient attachés. On a beau être en général plus souriant qu’un français, un québecois n’est après tout qu’un homme et lui aussi peut être tenter de s’embarquer un piano, gratuitement pour chez lui. Devant cette démonstration de tant de confiance en son prochain, je n’ai pu m’empêcher de demander à la première passante croisée la raison de ces pianos publics. Il se trouve, que cette passante était une policière et au lieu de me regarder de haut en me répondant de manière glacée (comme on peut être habitué lorsque l’on vient d’hexagone), elle m’a gentiment répondu en souriant qu’il s’agissait d’une chouette initiative de la mairie. Un peuple qui donne gratuitement des pianos à disposition et dont les policières sont urbaines ne peut pas être foncièrement mauvais. Depuis, j’ai constaté en gare de Toulouse Matabiau une initiative similaire proposée par la SNCF. Bizarrement, ça n’a pas la même saveur.
Mais surtout, en ce qui concerne l’atmosphère culturelle de Montréal, voici un rapide résumé de ma dernière soirée en ville, après mon retour de La Malbaie. Comme un fou, je décide d’aller la passer dans le quartier des spectacles, là où, comme son nom le laisse supposé à l’esprit vif et logique qui caractérise mon lectorat, se concentrent la majorité des théâtres et salles de spectacles de la ville. Peu avant 20h, le long de la rue Sainte-Catherine à l’ouest de Berry-UQAM, se presse une quantité de gens recouvrant tout le spectre d’élégance, sortant des restaurants ou minables fast-foods servant d’atroces poutines hypo-lipidiques, pour aller se divertir d’une des nombreuses pièces, films, concerts, comédies-musicales ou boites de nuit des environs. En ce qui me concerne, j’hésite à tenter un bar lounge.
En remontant la rue encore plus à l’ouest, on arrive au cœur de ce quartier bordé au nord par la rue Sherbrooke et au sud par le boulevard René-Lévesque. La Place des Arts centralise en un lieu extérieur et couvert plusieurs salles de spectacles. Ici la foule est encore plus concentrée. Une envie subite me prend d’aller voir une pièce de théâtre et sans trop y croire, je commence à faire la queue à la billetterie dans le brouhaha du hall. Je feuillette rapidement le programme du soir et mon tour arrivé, demande d’un air goguenard s’il reste encore des places pour des spectacles. En sous-titre je tente de faire passer le message corporel que je ne suis pas né de la dernière pluie et que je sais qu’il est totalement illusoire (voir emprunt d’une grande et touchante naïveté) d’espérer (ne serait-ce que) avoir une place une demi-heure avant le début de la représentation alors qu’à Paris, ville lumière et phare culturel pour l’élite de l’humanité, il faut être provincial mongoloïde pour oser le penser.
« Oui, il nous en reste, me répond la guichetière avec un sourire.
- Ah ?
<silence>
- Ben euh, et pour la « Venus à la Fourrure », c’est combien ?
- 35$.
- Euh ben, d’accord, j’en prend une.
Si c’est pas un signe évident de dynamisme culturel, ça ? Parce qu’attention, là. Je ne vous parle pas d’un obscur spectacle de chant atonal d’une peuplade oublié de Sibérie oriental, mais d’une très ambitieuse et divertissante adaptation en français d’une pièce de l’auteur new-yorkais David Ives, elle même inspirée de l’oeuvre sulfureuse de Leopold Sacher-Masoch, qui fut à l’origine du terme « masochiste », que Roman Polanski, pour vous dire si ce n’est pas de l’étron faisandé, a lui même adapté au cinéma pas plus tard qu’il y a quelques mois !
Je me retrouve donc assis au cinquième rang de l’allée centrale, dans une salle quasiment comble, a suivre pendant deux heures un huis-clos entre deux excellents acteurs au doux accent québecois. C’est autre chose que le monologue ampoulé et emmerdant de ma dernière tentative théâtrale à Lyon, spectacle que j’avais du réserver trois mois à l’avance. Je ne vous raconte pas le sujet de la pièce, de peur de vous « spoiler » le film de Polanski mais sachez que c’était frais, amusant et pétillant, alternant entre des passages contemporains et des ambiances 19ème siècle où les acteurs basculaient sur l’accent français hexagonale pour se donner un genre aristocratique. Je ne sais pas s’il faut se vexer.
Donc, je ne sais pas si vous êtes d’accord avec moi mais une ville où l’on peut se payer une place de théâtre de bonne qualité, à un prix raisonnable, à la dernière minute ne peut pas être totalement provinciale. C’est même le contraire.