San Francisco

Le père Don Pedro pose un regard doux sur le paysage. La journée promet d’être belle malgré les derniers lambeaux de brume qui s’accrochent au fond des vallées. Le majestueux Pacifique à l’ouest, caché à sa vue par ce tapis de nuages si commun en cette saison, se jette à travers cet étroit passage au nord vers la baie. En se retournant vers le sud vers le fond de la baie, il peut presque apercevoir les fumées de cheminée de la plus proche mission voisine, non loin des salines où viennent se reposer les flamands roses.

Un raclement de gorge l’arrache à sa contemplation. « Si t’as décidé de rien foutre, t’as qu’à le dire, mon frère ? ». Le père Don José, lui jette un regard glacial malgré le chaud soleil de printemps.

  • Oui, bon, ça va. Si on peut plus contempler en méditant, à quoi ça sert d’être prêtre ?

Don Pedro reprend le travail, non sans poursuivre sa méditation. Il rêve au futur, à cette nouvelle mission de Saint François d’Assise, posée nonchalamment plus bas à flanc de colline, autour duquel s’abritera peut être un jour un gentil petit village voir même une bourgade, soyons fous. Il n’est pas interdit de rêver en grand, si Dieu dans son infinie miséricorde insondable veuille bien leur octroyer ce bonheur, comme à ces m’as-tu-vu de San José de Guadalupe du bout de la baie. A l’autre extrême, il n’envie pas du tout ses collègues du nord et leur misérable embryon de mission de San Francisco Solano de Sonoma. La très sainte et catholique Espagne aura rejeté ces pourritures d’anglais de ce continent avant qu’ils puissent faire pousser leur propre vin de messe dans leur vallée miteuse.

San Francisco, de nos jours, c’est la quatrième ville de Californie en terme de population. Je sais, à chaque fois je fais « Comment ? » d’un air totalement ahuri quand j’entends ça. Et bien oui. Très loin en premier nous avons Los Angeles, suivi de San Diego et, pour compléter le podium, San José. San José, tout le monde s’en fout à part certains américains. Je suis sur que vous ne savez même pas où elle se trouve, hein ? Ce n’est pas compliqué, elle est au sud de San Francisco, au bout de la baie, discrète. Pourtant, il y a même un aéroport international. A vrai dire, San José, c’est un peu la capitale de la Silicon Valley car la plupart des grandes entreprises technologiques (Google, Apple, Intel, Yahoo, Oracle, etc.) ont leur siège dans des villes à proximité.

Par contre, ne soyons pas dupe. Personne de sensé n’aurait l’idée saugrenue de préférer vivre à San José alors qu’il y a San Francisco 60km plus au nord. San Francisco, c’est la classe, l’avant-garde, la révolution, le futur, la culture et accessoirement les collines. San José, c’est plat, sans cachet et ringard. Je dis ça, c’est tout à fait gratuit et biaisé.

Donc, reprenons dans l’ordre. Au début, il y avait des missions religieuses installées à intervalle régulière de la basse Californie jusqu’à l’actuelle Sonoma, juste au nord de la baie de San Francisco. Toutes ces missions étaient reliées entre elles par un chemin, El Camino Real (le chemin royal, pour les non-hispanophones dont je fais partie), dont subsistent encore quelques traces. Des agglomérations ont poussé autour de ces missions. Puis il y eu la ruée vers l’or, la ruée vers l’argent, un tremblement de terre avec son gigantesque incendie, la seconde guerre mondiale, la puissance des fleurs, la libéralisation sexuelle, la naissance de l’industrie électronique et informatique, un autre tremblement de terre, la poussée environnementale et maintenant, nous voici à contempler le résultat. Tout ces évènements marquants ont laissé une trace dans la ville, ce qui est étonnant pour une ville américaine.

Mais la ville est aussi marquante par sa particularité géographique. Tout d’abord, elle est située sur une péninsule encadrée par l’océan Pacifique à l’ouest et la baie au nord et à l’est. Cette péninsule est couverte de collines, la région faisant partie de la vaste chaîne de moyenne montagne courant tout le long de la côte californienne du sud au nord. Comme il n’y a pas de hasard en géologie, cette chaîne montagneuse est due à des mouvements tectoniques proches et San Francisco est posée pile poile sur une faille, la fameuse faille de San Andreas.

DSC_8370_DxOCes collines sont d’ailleurs assez exceptionnelles du fait de l’urbanisation et du plan quadrillé du réseau routier. Chaque rue (sauf impossibilité géographique comme la présence d’une falaise) est perpendiculaire à une autre. Celles qui montent les collines le font donc souvent suivant la plus grande pente, parfois aux alentours de 30%. C’est l’occasion d’admirer des voitures garées spectaculairement perpendiculaires au trottoir et donnant une bizarre sensation d’équilibre instable. Au sommet, sans surprise, c’est très souvent l’occasion d’une vue magnifique. D’ailleurs ces nombreuses collines à 30% de pente n’empêchent absolument pas la présence de nombreux cyclistes dans la ville. Bien au contraire. Je ne devrais pas vous le dire pour ne pas ternir ma réputation de grimpeur, mais il est possible d’acheter une carte de la ville où les pentes les plus sévères sont indiquées.

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DSC_8355_DxOLorsqu’on vient visiter San Francisco, on ne manque pas de remarquer, outre les collines et les tramways tirés par des câbles (que je n’ai toujours pas emprunter, maintenant que j’y pense), toutes ces jolies petites maisons victoriennes en bois plus ou moins ouvragées, peintes de couleurs plus ou moins vives. J’ai cherché pour vous la raison de cette abondance et il semblerait que ce soit du aux nombreuses forêts de séquoia qui fournirent du bois de construction à faible cout. Un grand nombre de ces maisons furent détruites pendant le gigantesque DSC_8367_DxOincendie de 1906, suite à un grand tremblement de terre. Malgré tout, n’allez pas croire qu’elles ne se trouvent qu’à un seul endroit de San Francisco. On en trouve partout, des anciennes, mais également des modernes s’en inspirant, toujours peintes et souvent de couleurs pastel.

Quand au downtown, le centre ville où se concentrent les gratte-ciel, et bien, ma foi, il n’a rien de particulièrement exceptionnel. La grande rue commerçante, Market Street délimite la ville en deux, le DSC_8241_DxOquartier SoMa au sud (d’ou le nom, South of Market) abrite d’anciens hangars, industries où habitations plus populaires, progressivement occupés par des designers, artistes et lofts. De toute façon, c’est une tendance générale dans la ville. Vu les salaires mirobolants des employés de l’industrie high-tech et les nombreux millionnaires internet, la gentrification massive du centre ville est quasiment achevée. L’essentiel des grattes-ciels, finalement peu nombreux par rapport à New York, par exemple, se concentrent au bout de Market au nord-est, à proximité de la baie. Plus on s’éloigne de ceux-ci, plus cela devient populaire voir pauvre avec un nombre accru de clochards.

Arrivé au niveau de la grande place menant à la mairie, la place des Nations Unies (car c’est à San Francisco que fut signé le traité l’instituant), j’ai pu découvrir un marché appelé ici « Farmer’s Market » pour bien le distinguer de je ne sais pas trop quoi. C’est toujours assez émouvant, je trouve, d’observer comment DSC_8349_DxOl’Amérique (et je pourrait ajouter l’Australie et la Nouvelle-Zélande dans le lot) redécouvre des choses simples qui ont court depuis toujours dans d’autres pays. Comme quoi, la mondialisation marche dans les deux sens. Les Etats-Unis s’européanisent également.

Bien entendu, cela n’a rien d’étonnant à San Francisco, la ville étant vraiment très particulière et très à gauche par rapport aux autres municipalités du pays. D’après une amie habitant la ville depuis 8 ans, de nombreuses initiatives sociales et de « wellfare » attirent un grand nombre de personnes de la région vers la ville. Pour une municipalité concentrant autant de richesse, de voir perdurer cet état d’esprit, je trouve ça chouette. D’ailleurs, dans un article du New Yorker, j’ai pu découvrir une tendance grandissante chez les jeunes entrepreneurs (comprendre dans cette ville hyper-dynamique et positive, de jeunes adultes à peine sortie d’université) de vouloir créer des sociétés non pas dans le seul but de s’enrichir et de faire la culbute à la revente, mais également pour apporter de réelles solutions concrètes aux besoins quotidiens.

DSC_8329_DxOParce qu’au final, ce qui a de génial dans cette ville, hormis les collines, les embarcadères, le centre ville, les tramways tirés par des câbles (il y a aussi Lisbonne pour cela), la baie, les parcs, les petits cafés, les restaurants, les vues, la température clémente et les otaries (tout cela sera bien entendu détaillé plus tard, surtout les otaries), c’est cette formidable énergie positive et créative qui s’en dégage. C’est peut être, pour certain, un centre de la mondialisation galopante avec toutes ces grandes multinationales de la high-tech mais c’est également un des seuls endroits, je trouve, où je me dit que si quelque chose de révolutionnaire doit un jour émerger, c’est probablement d’ici. Et puis d’abord, ça c’est déjà produit. Tout ça à l’endroit d’une mission catholique. J’vous jure.

Back to Frisco

Comme ce titre de billet sonne ringard, vous ne trouvez pas ? Mais si. Si. Mais si, vous dis-je. C’est complètement ringard de se référer à San Francisco par son surnom « Frisco », tellement années 70-80. Maintenant, si vous voulez être totalement accordé au hype du moment, dites nonchalamment « San Fran ». Enfin, je dis ça, c’est ce que j’ai noté en écoutant parler Phil et Max, les deux américains rencontrés lors de mon tour Kakadu – Litchfield (en Australie pour ceux qui n’ont pas suivi).

Tout ça pour dire que je suis à San Fran. Yeah dude. Après un atterrissage sans soucis (c’est vrai que je ne prend pas vraiment la peine de vous narrer mes atterrissages et décollages qui sont pourtant des phases critiques) à SFO (oui, on ne dit pas San Francisco International Airport lorsqu’on est un minimum à la page), un petit tour sur la blue line du tram interne de l’aéroport pour rejoindre la station du BART (non pas Simpson mais le Bay Area Regional Transport, l’espèce de RER du coin), une descente à Powell Street en plein downtown (il serait ridicule de se référer au centre ville autrement si on est vraiment branché) puis environ une heure de marche pour trouver mon @#?*! d’auberge de jeunesse (car je m’étais gravement fourvoyé dans ma tête quand aux indications) avant de consulter mon portable arrivé au terminal du Caltrain (une autre sorte de RER mais qui dessert les villes de la Silicon Valley vers le sud) afin de noter la bonne adresse puis d’arriver à bon port à l’intersection de Minna et de la 7ème (rue, il va sans dire si vous êtes comme moi au fait des dernières tendances), quartier des junkies dans SoMa (pour ne pas faire plouc on se réfère au quartier « South of Market Street » par son diminutif « SoMa »).

Sinon, tout c’est bien passé, merci. La chambre est petite, sommaire et pour une fois, individuelle, n’ayant pu trouver de place en dortoir, pour le prix d’une chambre d’hôtel classique dans n’importe quel autre ville raisonnable du monde. Bienvenu à San Francisco et son immobilier galopant.

A peine avais-je posé les pieds en dehors de l’avion que je reçu un message d’un certain Samuel Gateau m’invitant à le contacter pour manger ce soir une pizza sur la colline aux chèvres. Il faut savoir que ce monsieur ne m’est pas inconnu et que même que c’est moi qui lui avait notifié de ma présence prochaine dans sa bonne ville. Quand à la colline aux chèvres (ou « Goat Hill » quand on a une attitude moderne et anglophone), je ne la connaissais pas.

C’est donc une petite demi-heure après avoir posé mes bagages dans la chambre, le temps de prendre une douche (je ne parle pas assez souvent de mon hygiène) dans l’espace commun, que le sieur Gateau se gare devant mon hôtel dans un énôôôrme pickup avec un sourire d’enfant gâté sur son visage. Ah ben bravo. On voit qu’on s’y fait à l’Amérique !

On se retrouve donc quelque temps plus tard attablé dans une petite pizzeria de la franchise « Goat Hill Pizza » (c’était donc ça), elle même accrochée à une pente d’une des nombreuses collines de la ville. Ce soir, c’est soirée « all you can eat » (ou « à volonté », si vous ne parlez pas la langue du cru) avec le sus-mentionné Samuel Gateau, sa compagne Claire, leur p’tit Isaac ainsi que le frère de Claire et sa copine, en visite. Une petite bande de franchies aux « staïtesseuh ». Un serveur passe régulièrement entre les tables avec une pizza en annonçant la couleur. Chaque personne qui se sent encore d’attaque peut alors le héler pour avoir une nouvelle part. Aux Etats-Unis, la culture de l’abondance et de l’éclatage de bide est encore très présente. Comme les français loin de chez eux sont un peu extrêmes, Samuel et Claire implorent le serveur pour que le chef prépare la pizza spéciale à l’ail. Elle est effectivement très très aillée.

D’ailleurs, si je reste sur le sujet de la nourriture, le surlendemain, le même Samuel m’amène dans un restaurant asiatico-fusion-branchouillisant à la décoration sombre tout en éclairages indirectes. On s’attable au bar et commandons. La serveuse arrive avec une grande assiette blanche carrée occupée uniquement en son centre par une magnifique petite pyramide d’un tartare de saumon et d’avocat, disposé en étages. Superbe. Mais avant que je puisse m’en approcher pour la contempler de plus près la serveuse se saisie d’une fourchette et se jetant sur la pyramide s’emploi à la bousiller méticuleusement. Avec un grand sourire sadique elle malaxe le tout et s’en va non sans nous avoir lancé un « Enjoy », un éclat pervers dans les yeux. Manifestement, ça fait parti de la recette. Comme c’est bon, j’en reste là, d’autant qu’on enchaine par deux morceaux de porc gras fris à point, croustillants et fondants à la fois. De plus, la serveuse cette fois-ci nous les laisse indemnes.

Je parle, je parle, mais tout ça pour vous dire que je suis de retour à San Francisco et que c’est drôlement chouette. Avec tout ça je vais me remettre à la page, découvrir les dernières nouveautés technologiques et me gaver de nouveaux acronymes. Dude.

Santa Anna

Pour la suite de mon séjour, je m’en vais passer deux semaines du côté de San Francisco. Après un grand bond au dessus du Pacifique, me voici pourtant à Los Angeles, quelques centaines de kilomètres plus au sud. Ne vous inquiétez pas, il ne s’agit pas d’une erreur d’aiguillage mais juste d’une petite optimisation tarifaire mitonnée, avec mon consentement, par mon agence de voyage. Je repart demain de l’aéroport John Wayne d’Orange County. Avec le recul, il aurait été plus malin de prendre un transport terrestre pour remonter jusqu’à San Francisco mais, convaincu par mon agente de voyage « Vous pourrez passer une soirée pour visiter Los Angeles, comme ça », j’ai cédé.

Le problème avec Los Angeles, c’est d’abord sa taille. La ville fait environ 30 km d’est en ouest et 100km du nord au sud. Si on y ajoute l’ensemble des villes y attenante qui forment l’agglomération c’est facilement le double ou le triple. Ensuite, cette taille est totalement inaccessible en l’absence de véhicule personnel car la ville possède un système de transport en commun totalement anémique. Los Angeles, c’est LA ville construite uniquement pour la bagnole. En dehors d’elle, point de salut. Pour limiter le stress, j’ai donc pris, naïvement, une chambre d’hôtel non loin de l’aéroport John Wayne, à proximité d’Annaheim, ville uniquement célèbre pour abriter Disneyland.

Visiter Los Angeles en « une soirée » sans véhicule, c’est à peu prêt aussi illusoire que de visiter l’Australie en trois jours. J’ai beau regarder attentivement le petit clip vidéo dédié à la ville sur le système de divertissement embarqué d’Air New Zealand, il n’y a rien qui me tente par son accès facile et son intérêt. Il faut dire que j’ai un très mauvais à priori sur cette ville artificielle au premier abord, vaste chape de béton de 1300km2 posée sur un désert entre des montagnes et la mer au dessus duquel transite des flots de véhicules motorisées sur un entrelacs d’autoroutes de deux fois 4 à 8 voies.

A l’aéroport international de Los Angeles, où j’arrive, suite à la recommandation du sympathique employé du centre d’accueil, je prend donc un taxi partagé pour rejoindre mon hôtel. Dans un gros van, on se retrouve à cinq avec le chauffeur, en partance pour le sud sur une six voies. L’agglomération ne recèle finalement pas énormément de haut immeubles en dehors du petit centre ville de LA ce qui accentue encore plus cette impression de ville hyper-extensive et hyper-décentralisée. Finalement, au niveau planification urbaine, cette ville doit être dans une classe à part. Le contraste avec la petite taille et la modestie de Rarotonga est gigantesque.

Un part un, le chauffeur dépose ses clients à sa destination. Je me retrouve alors seul avec lui pendant que nous reprenons la route, plus d’une heure après notre départ de l’aéroport, pour l’essentiel passé sur autoroute. Finalement, il s’arrête devant l’hôtel La Quinta Inn de Santa Anna, où j’ai choisi de passer la nuit. Pour ce qui est d’espérer attraper un bus pour le centre ville, ça me paraît drôlement compromis.

Parfois on visite pour voir de belles choses et parfois pas. Dans un bâtiment couvert d’un crépi jaune orange entourant une piscine, le La Quinta Inn (ou La Quinta Inn tout court) de Santa Anna ressemble à un décor de cinéma, faux et temporaire. De l’extérieur on ne peut pas dire que ce soit moche, dans une sorte de style néo-hispanique commun à la région, mais en s’approchant on est surpris par le manque de qualité des matériaux. Les chambres sont spacieuses, propres et bien équipées mais sombres, glauques et à l’odeur persistant de déodorant bas de gamme. Tout ceci contraste avec l’accueil professionnel, la gentillesse du personnel et la clientèle croisée. L’ensemble vient renforcer cette impression de primeur à l’apparence.

Ne croyez pas que je veuille faire un billet entier sur cet hôtel mais c’est juste que, bizarrement, il cadre exactement avec l’image que je me faisais de Los Angeles, là ville du cinéma et du paraître. De plus, les quelques clients que je croise ont l’air d’approcher voir de dépasser l’âge de la retraite. J’ai même l’impression que ce sont des résidents permanents, impression confirmée à la vue d’un siège accroché au bout d’un bras télescopique permettant de descendre doucement dans la piscine et du défibrillateur placé à l’entrée de celle-ci.

Après avoir posé mes bagages, je retourne à l’accueil et demande s’ils n’ont pas un adaptateur pour mes prises électriques françaises. C’est un grand classique à chaque arrivée dans un nouveau pays. Malheureusement, ce n’est pas le cas et leur demande s’il y a un magasin non loin où je pourrai en trouver. Cette petite question anodine me vaut alors un dialogue qui en dit plus long sur la géographie de cette région que n’importe quel guide touristique : « Ah oui, bien sur, au supermarché Target à côté »

  • Parfait, c’est dans quelle direction ?
  • Euh, par là mais vous comptez y aller à pied ?
  • Oui, pourquoi, c’est loin ?
  • Cinq minutes en voiture mais on vous y amène si vous voulez.

C’est donc quelques minutes plus tard que je me trouve à l’arrière du mini-van de l’hôtel conduit par un jeune homme au fort accent hispanique. D’ailleurs, ne vous y trompez pas, l’espagnol est aussi officiel que l’anglais, ici. Après quelques minutes de conversation aimable sur la ville, je lui demande s’il est né ici. Affirmatif. J’avoue avoir levé un sourcil devant son anglais à l’accent peu académique.

Il me dépose devant le supermarché en question où je part à la recherche de mon adaptateur. Cette histoire d’adaptateur est d’un intérêt mineur mais sachez que ce fut un échec. Néanmoins, j’en profite pour passer un peu de temps dans la zone commerciale. Son petit supermarché du coin s’avère en fait être un hypermarché au milieu d’une zone commerciale à la surface majoritairement constituée de parkings. Au cœur de la zone, un mall à ciel ouvert typiquement américain propose toute la panoplie des franchises multinationales. J’en profite pour y manger mon premier burger (mais ce sera l’occasion d’un futur billet).

Les centres commerciaux ont tendance à me mettre mal à l’aise voir à me remplir d’un vague dégoût après un certain temps. Heureusement, le fait d’être en plein air atténue cette sensation. Malgré tout, je décide d’abandonner ma quête après avoir ratissé toutes les enseignes qui me semblaient pouvoir proposer mon fameux adaptateur. Comme je suis un fou, je décide de rentrer à pied à l’hôtel.

Des personnes bien intentionnées de ma connaissance qui avaient précédemment visitées l’agglomération de Los Angeles m’avaient affirmé que les gens d’ici regardaient bizarrement les piétons. Je trouvait cela un peu extrême. Rétrospectivement, ils avaient totalement raison. Le piéton est minoritaire dans cette ville. Il m’a fallu plus d’une demi-heure pour retourner à l’hôtel (avec un ultime arrêt plein d’espoir dans un autre magasin) et ce furent la demi-heure de marche urbaine la moins intéressante que j’ai faite depuis des mois. Certes, il y a des trottoirs le long des deux fois trois voies qui servent de rues principales mais chaque croisement est un supplice d’attente. Ici, point de bouton pour signaler son désir de traverser. On est condamner en tant que piéton à attendre que le feu devienne rouge et cela peut durer dix minutes. Je doit être en plus en plein dans un quartier vide de commerces ou d’habitations

Je vous rassure, après le troisième croisement, j’ai fraudé. J’ai profité d’un moment de calme pour tranquillement traverser au mépris de la loi. Mais je ne me fait pas d’illusion. Si un policier passe par là, je suis bon pour une amende salée. Aucune chance en plus d’espérer me noyer dans l’anonymat, je suis le seul piéton. Tout ça me donne une impression de déshumanisation très désagréable.

Je retrouve finalement mon hôtel et rentre à l’accueil. J’annonce mon échec. A côté de moi, une cliente âgée très menue, cheveux courts, habillée d’un pantalon seyant et de quelques bijoux, me regarde. Sans sourire, elle me dit :

« You look stunning with that T-Shirt »

Ce qui peut se traduire approximativement par « Vous êtes ravissant avec ce T-Shirt ».

Je bredouille un remerciement et repart dans ma chambre. Je crois que c’est trop pour moi. Cette ville est vraiment trop bizarre.

Aera Ra

Je veux pas partir.

Enfin, si.

Aarrh, j’sais plus.

Je suis à la fois en pleine empathie pour des gens comme Paul Gauguin et Jacques Brel qui ont choisi de finir leur vie sur des îles polynésiennes tout en étant impatient de passer à autre chose. Je crois bien que j’ai fait le tour du lagon même si j’ai adoré cette vie nonchalante. Si j’avais eu la chance de rester au Paradise Inn et de rencontrer finalement plus de monde, le départ aurait-il était encore plus difficile ?

C’est donc avec un mélange confus de nostalgie et d’anticipation que je me retrouve le soir vers 11h30 au petit aéroport international, attendant mon dernier vol Air New Zealand pour Los Angeles. Signe qui ne trompe pas, lorsque la gérante du Muri Beach Resort m’a demandé l’heure de mon départ dont je ne me souvenait pas, il m’a suffit que je lui dise que je partais vers Los Angeles pour qu’elle me réponde d’un air experte : « Ah oui, le vol de minuit d’Air New Zealand ». Comme dans les petites villes secondaires, les vols sont assez rares pour être notables.

En tout cas, un dernier repas au restaurant / bar d’en face, de l’autre côté de cette petite artère circulaire et je n’ai plus qu’à attendre avant de retrouver la civilisation. Comme tout est plus modeste ici, le hall de départ est grand ouvert sur la nuit et les insectes stridulants. Tout doucement, il se remplit de passagers. Alors que je passe la douane, point de non retour, dans le petit espace tampon avant la traversée du tarmac, un homme sur une estrade, couvert de colliers de fleur, joue pour nous des airs à la guitare. Il me donnerait presque le bourdon, celui-là.

Au revoir. Aera ra.

La vie dans une île

Mon idéal de voyage consiste à vivre un mois dans un endroit en s’occupant, une partie du temps, de choses quotidiennes. Je trouve que c’est le meilleur moyen pour découvrir toutes ces petites choses légèrement différentes de chez nous qui, misent bout à bout, donnent une image plus précise de la vie dans un nouveau lieu. On croit souvent que ces petites choses sont les mêmes partout. En réalité, la normalité est souvent loin d’être évidente.

La vie dans une île isolée comme Rarotonga a ses particularités. Vous allez voir, je ne vais dire que des choses banales dans ce billet, ou en tout cas d’une limpide logique. Prenons, un par un les choses que l’on prend pour acquis chez nous. Par exemple, pour commencer, parlons de la nourriture.

J’ai déjà évoqué quelques informations à ce sujet glanées auprès de la gérante du Paradise Inn. Bien que l’île possède une petite agriculture, elle est loin de suffir aux besoins touristiques. C’est notamment le cas car la plupart des produits de cette agriculture sont directement produits et consommés par les familles ou à une échelle somme toute artisanale. Il faut donc en importer le reste par bateau, souvent, de Nouvelle-Zélande, typiquement. Comme il n’y a pas de mystère en économie, les prix de certaines denrées sont donc sensiblement plus chères dans les supermarchés, notamment les produits manufacturés.

La source évidente de protéine ici vient de la mer, notamment avec le poisson, fort réputé. J’ai donc décidé, un jour, d’aller m’en procurer. Et bien figurez-vous que ce n’était pas si évident que ça, la faute à mon heure tardive, j’imagine. Au marché, ils étaient à court. Je me suis donc déplacé un kilomètre plus loin, non loin de l’aéroport chez un poissonnier. Arrivé là bas vers 10h30, le choix fut très restreint. Comme quoi la pêche reste très artisanale ici et le seul moyen d’avoir un large choix de poisson doit être d’arriver très tôt ou de se rabattre sur du congelé dans les supermarchés.

Notre civilisation ne serait rien sans énergie et, si on est un brin curieux, on se pose naturellement la question de l’origine de celle-ci sur Rarontonga. Il y a bien des ruisseaux qui coulent des montagnes mais seul un projet de petite centrale hydroélectrique est en court. La totalité de l’électricité de l’île est actuellement produite par une unique centrale fonctionnant aux hydrocarbures importés. Ce n’est pas franchement glop. En tout cas, au Muri Beach Resort, de grands panneaux solaires sur les bungalows apportent un peu de renouvelable dans tout ça. J’avoue ne pas avoir bien vu s’il s’agissait de panneaux photo-voltaïques ou de chauffe-eaux.

Fort heureusement, l’île ne subit pas un trafic routier insensé voir incroyable voir important. C’est même carrément modeste. Le parc de véhicules à l’air de se partager à 50 / 50 entre les automobiles et les scooters. De ce point de vue là, la consommation d’hydrocarbures pour le transport individuel doit être raisonnable. Je viens de vérifier sur internet, à l’heure actuelle le prix du pétrole y est d’environ 1,40 € le litre, ce qui est à peine plus élevé qu’en Nouvelle-Zélande.

Finalement, nous sommes au 21ème siècle et il est dorénavant quasiment inenvisageable de ne pas parler d’accès internet. En tout cas, pour moi c’est un besoin quasi-indispensable puisque je profite de mon séjour sédentaire sur Rarontonga pour me remettre au niveau côté boulot. Pour ça, j’ai besoin d’une connexion. Jusqu’ici, quand ce n’était pas gratuit (mais de qualité variable en Inde et au Vietnam), une journée d’internet me coutait environ 3-5$ (AUS ou NZ). Au Muri Beach Resort, l’internet se négocie non pas en accès illimité dans le temps mais à la quantité de données utilisé. Finalement, on est facturé de la même façon que les très grands opérateurs nationaux qui payent l’utilisation des grands backbones de l’internet à la quantité de donnée transitée. Le prix à l’hôtel fait d’ailleurs frémir puisque pour 25$ NZD, j’ai le privilège de pouvoir accéder à 150 Mo de données. Pour ceux qui ne sont pas très au fait de ces choses là, en utilisation normale du Web, le quota est facilement atteint en une journée. C’est incomparablement plus cher que le moindre forfait internet européen, australien ou américain. Devant mon air abasourdi, l’employée de l’hôtel m’a affirmé que c’était les prix communs partout sur l’île. Les pauvres. En tout cas, c’est un bon moyen pour limiter les téléchargements illégaux.

Je pourrais également vous parler de forfaits téléphoniques mais, d’une part, je n’ai pas eu l’occasion de m’en servir dans mes voyages (hormis une carte pré-payée Telstra en Australie), mais surtout ça ne me passionne absolument pas. Tout ce que je sais, c’est qu’à chaque fois que j’utilise mon portable, une alerte sonne chez mon banquier.