Je vous fixe dans les yeux les yeux grand ouverts.
Je suis presque accroupi en me frappant les cuisses avec les mains.
J’alterne en frappant alternativement mon coude droit avec ma main gauche suivi de mon coude gauche avec ma main droite. Je ne ferme toujours pas les yeux. Ca pique.
Je suis toujours presque accroupi et je vous tire la langue. D’ailleurs, j’ai mal aux cuisses à tenir cette posture.
Je me relève, non sans mal, en vous jetant un regard de défi.
Je viens de réaliser un haka et j’ai grand besoin d’une giclée de collyre dans les yeux doublé d’un massage énergique des quadriceps.
Cette scène, c’est un peu le cliché de la culture Maori, véhiculé avec grande efficacité par l’équipe de rugby à 15 nationale, les All Blacks. Rassurez-vous, c’est tout à fait authentique. Mais à part cela, qu’ai-je donc appris de la culture de ce pays ? Hein ?
C’est sans doute le pays où j’ai le plus découvert de choses côté culture. Autant j’avais quelques notions de la culture indienne, vietnamienne et australienne, autant pour les néo-z, que dalle. Je pensais que c’était une sorte d’Australie en beaucoup plus vert et petit avec les Maoris à la place des Aborigènes. Hormis la taille et la couleur, j’étais totalement dans le faux.
Remontons un peu le temps. <Bruit de cassette que l’on rembobine, la régie n’ayant aucune imagination pour ce qui est des effets sonores>. Mais pas de beaucoup <Bruit de pneus qui dérapent>. Arrêtons nous dans les années 1400, qui contrairement aux années 1970, étaient nettement en retrait du côté des tapisseries à motifs oranges et marrons. Pendant qu’en Europe, en pleine Renaissance naissante, on redécouvre les savoirs antiques dans une croissante effervescence artistique qui culminera quelques 550 années plus tard aux sus-mentionnés décorations murales aux tons chauds et rapidement démodés, de l’autre côté de la Terre, on pagaie. On pagaie même drôlement fort sur un océan sans pitié, très loin de considérations artistiques qui ne sont que l’apanage des fiottes et autres petites natures.
Ce « on » ce sont une grosse pelletée de polynésiens à bord de sept gros canots de mer, ayant quitté l’île de Rarotonga, dans l’archipel des îles Cook (mais ça on ne le saura que plus tard lorsque le capitaine du même nom y passera), en partance pour une terre prêt à accueillir une population excédentaire. Depuis des centaines d’années, la culture polynésienne procède ainsi, colonisant par petits bonds hasardeux l’ensemble des archipels du grand Pacifique. L’histoire ne raconte pas (ou je ne m’en souviens pas) s’ils avaient la moindre idée de ce qu’ils cherchaient mais ils touchèrent le gros lot en atterrissant sur les rives de la future Baie d’Abondance dans l’île du Nord.
Ce pays, ils le nommèrent Aotearoa, parce que ce doit signifier quelque chose de drôlement pertinent en polynésien comme « Arrêt Pipi » ou « Lieu où On Peut Enfin Bouffer Autre Chose Que Du Poisson Séché Qu’On En A Plein Le Cul». C’était de sacré navigateurs même si je serai curieux de connaître le nombre d’échecs et de bateaux perdus en mer pour chaque terre trouvée. Est-ce qu’on ne serait pas en train de les juger sur le nombre de leurs succès en omettant leurs échecs ? Ceci dit, de l’autre côté de la Terre, là ou on s’amuse à redécouvrir l’eau tiède en relisant des textes en langues mortes, on en est encore à croire que la Terre est plate alors que les polynésiens savaient se repérer avec les étoiles. On note également qu’en ce qui concerne l’immigration clandestine par bateaux, nous, contemporains, n’avons rien inventé.
Cette terre totalement vierge d’humains étant très riche et plein de potentiel (je parlerai plus tard de la faune endémique), on s’installa, se développa et la population locale cru en se propageant à travers, principalement, l’île du Nord puis celle du Sud (qui ne demande pas des compétences extraordinaire hormis une absence de myopie pour la découvrir). Cette culture locale polynésienne devint culture Maori, gardant de nombreux traits communs, notamment la langue, avec ses racines d’origine. De manière amusante, la croyance maori associe la mort à un retour vers une île mythique ancestrale, terre d’origine (bien que je ne crois pas qu’il s’agisse de Rarotonga. Ils ont quand même un peu de mémoire), comme tous les peuples polynésiens, même si le nom change d’archipel en archipel. Vous allez voir que, dans quelques années, les scientifiques découvriront qu’il s’agit de l’île de Ré, déjà incités à fuir par le prix galopant de l’immobilier. Quel enfer ce serait, obligé de vivre pour le restant de l’éternité sur une île plate, tourmenté par un ennui sur-mortel l’hiver et des embouteillages automobiles l’été.
Comme ils étaient un peu prévoyant, ces premiers colons avaient eu la bonne idée d’emporter, en plus de femmes et enfants, quelques cochons (vivants) ainsi que la patate douce locale des îles future Cook, la kumara. C’était chouette pour eux parce qu’ils purent, enfin, se taper des côtes de porc aux frites, base de l’alimentation en absence de steak, mais pour cette terre, cela marqua le début de l’invasion. Car, en l’absence de discours politiquement correct, il faut bien avouer qu’il n’a pas fallu attendre l’arrivée des premiers colons anglais pour que l’homme façonne en partie la terre selon ses désirs. Bien entendu, l’échelle n’est pas la même et en comparaison, les maoris sont des écologistes radicaux. N’empêche que ce furent les premiers à entamer la déforestation et la culture de plants endogènes.
Lorsque la population augmenta, il se forma des clans regroupés géographiquement et avec, de façon concomitante, des guerres. Les peuples polynésiens sont des peuples avec une forte composante guerrière et pour ce qui est de foutre sur la gueule de son voisin, ils ne sont pas les derniers. A ce propos, il doit être intéressant de visionner le film « Once we were warriors » dont le sujet est la population pauvre maori dans les quartiers défavorisés d’Auckland, ce que je n’ai toujours pas fait. Non, côté guerre, ils étaient même plutôt sanglants, mais c’était l’époque. Par exemple, il n’était pas exceptionnel de trucider tout les guerriers adverses en cas de victoire ou d’autres choses assez sanglantes.
Cet entraînement régulier à la baston leur fut d’un grand secours à l’arrivée des colons britanniques. La culture maori, comme toutes les cultures polynésiennes, encore une fois, est une culture sédentaire dont le village est le cœur, pratiquant l’agriculture et l’élevage. Il y eu donc rapidement des affrontements territoriaux avec les britanniques puis de grandes batailles. Les maoris se battant férocement (certains même diraient avec cruauté, mais ce n’est peut être qu’un manque de culture esthétique, comme ne pas apprécier le vin la première fois) et tenant tête avec les soldats de sa majesté Victoria (ce qui valu leur respect par les soldats adverse), un traité fut signé entre les maoris et le gouvernement des Royaumes-Unis, traité selon lequel ils (que l’on ne peut traiter de peuple autochtone, finalement) se fondaient dans la nation néo-zélandaise tout en conservant des pouvoirs politiques quasiment à égalité avec l’envahisseur. C’était sans compter sur les clauses écrites en corps 6 en bas de page. En réalité ils se sont fait un peu bananés mais, fait notable, à ma connaissance, de tout les peuples « conquis » par le colonialiste britannique, c’est sans doute celui qui s’en ai sorti le mieux.
Détail intéressant de l’histoire, je trouve, lors du premier contact entre les maoris et l’équipée du capitaine Cook, ils ont pu très rapidement communiquer. La raison est d’une simplicité enfantine pour peu que vous ayez en tête le parcours du capitaine à travers le Pacifique. Avant la Nouvelle-Zélande, il était passé par Tahiti et y avait embarqué un prince autochtone. Ce fut celui-ci qui, dans son tahitien natale, parvint à communiquer approximativement avec les maoris, leur langues étant très proches.
N’ayant pas vécu assez longtemps là bas pour en tirer une véritable conclusion, j’ai néanmoins constaté une présence non négligeable de personnes d’origines maoris aussi bien dans les médias, le politique et bien évidemment, le sportif. Finalement, j’ai l’impression que le mélange s’est bien fait, y compris dans l’autre sens. Lorsqu’on se ballade dans le pays, on est surpris par la prévalence de la culture maori en tant que socle sur lequel vient se poser une couche occidentale. C’est même particulièrement mis en avant par les institutions touristiques. Ça m’a laissé une impression vraiment positive même si je suis certain que ça n’a pas forcément été tout le temps le cas. Par rapport à la culture aborigène en Australie, c’est vraiment frappant et je n’ai pas eu l’impression de domination comme on peut l’avoir dans d’autres pays vis à vis des cultures « indigènes ». Finalement se sont sans doutes des cultures « compatibles », les deux, maoris et occidentales, étant sédentaires et colonialistes.
Dans l’excellent musée Te Papa, à Wellington, ou le plus modeste musée de Rotorua, on peut contempler de plus près des maisons ancestrales ou des totems arborant ces figures si typiques de la Nouvelle Zélande. On reconnaît facilement les mimiques des hakas, un visage les yeux grand ouverts et tirant la langue. Ce doit être une grande insulte là bas. L’autre trait particulier de l’esthétique maori sont bien entendu ces motifs aux volutes complexes que l’on retrouve aussi bien sur les tatouages que sur les armes, maisons ou totems. Grâce au rugby des All Blacks, ces deux choses se sont maintenant propagées dans les deux hémisphères et à Toulouse, il n’est pas rare de croiser des personnes arborant ces motifs sur leur corps, même si, comme moi, ils doivent en ignorer la signification.
Non, en dehors de ces deux choses fort connus, j’ai appris (mais surtout retenu) certaines choses concernant la culture maori. D’après eux, tout élément vivant ou minéral est empli d’une force magique ou spirituelle, le mana. Je suis quasiment certain que c’est un concept partagé par toutes les cultures polynésiennes, même si je ne suis pas ethnologue. C’est un concept un peu plus complexe qu’un simple « potentiel magique ou spirituel » car il peut également inclure le charisme. Par exemple, un chef très influent possède un grand mana même s’il ne possède pas de « pouvoir magique ». En perdant une bataille, il va en perdre. Il s’agit donc d’une notion un peu flou sans équivalent dans le vocabulaire français qui regroupe pouvoir, influence, spiritualité, charisme et vertu. Moi par exemple, j’ai pas mal de mana (ben si, ne faites pas semblant, vous le sentez, non?), sauf saisi par une gastro-entérite, ce qui m’arrive, fort heureusement, quasiment jamais.
L’autre concept fondamental maori (même si encore une fois, il est fort possible qu’il soit présent à Tahiti ou Hawaï) décrit un état antinomique à « sacré » que je pourrais qualifier (du bout des lèvres et sous contrôle d’un huissier) de similaire au « haram » dans l’islam. Quelque chose de « tapu » est un peu vil, maudit ou interdit même si ces qualificatifs sont peut être un peu fort lorsque l’on sait qu’une femme qui a ses règles devient tapu. C’est un peu rude, tout de même. Encore une fois, le concept est flou et difficile à cerner en l’absence d’équivalent français. En tout cas au sein de la culture maori, de la même manière que certains actes apportent du mana (donner aux Restos du Coeur ou payer ses impôts sans défiscalisation), d’autres peuvent vous rendre tapu. Des lieux ou des objets peuvent l’être, bien entendu, même si je suis incapable de vous en décrire les circonstances.
Pour finir, si vous avez des enfants, ouvrez les à la culture maori en employant ces deux termes. Une bonne note et gratifiez les d’une hausse de mana. Les matins, charmez votre compagnon en lâchant un « Dis donc, t’as un joli mana, ce matin, je me trompe ? ». Inversement, si votre petit dernier veut jouer avec ses excréments, proférez doctement un « non, le caca, c’est tapu !! ». La même chose s’applique si vous passez devant votre banque, lieu tapu par excellence. Le voyage n’est pas uniquement physique, finalement.