Une nuit infiniment droite

Avertissement préalable pour les personnes malentendantes ou dénuées de hauts-parleurs: ce billet est sonore. Ne vous inquiétez donc pas si une musique parvient jusqu’à votre cortex cérébral.

Pour rejoindre Alice Springs, au centre du Red Center, l’immensité rouge au cœur de l’Australie, je suis dans un bus de la compagnie Greyhound. Je suis parti de Darwin en début d’après midi et l’arrivée est prévu au matin. Seules deux autres destinations sont desservies, Katherine et Tenant Creek, deux villes au parfum de far west. Heureusement, régulièrement nous faisons des pauses dans des relais, souvent attenant aux bâtiments d’immenses cattle ranches.

Mes compagnons de voyage sont rares, une grosse poignée. Quelques blancs mais surtout des aborigènes trimbalant leurs affaires dans une armée de grands cabas de supermarché. Tout le monde se met à distance les uns des autres, peut être pour reproduire la distance du pays à l’intérieur de la cabine. Le chauffeur, un vieux monsieur de soixante ans, nous annonce les arrêts d’une voix douce. Tout est feutré.

Le paysage défile. Le bush.

Encore du bush.

Je dort.

Toujours du bush.

Je lit.

Du bush mais d’une couleur légèrement différente.

C’est fou ce que ce pays est monotone. Ces chauffeurs sont des surhommes ou sont défoncés aux amphétamines pour pouvoir tenir des heures sur ces longues lignes droites de décor répétitif. Progressivement le ciel décline, puis se retire dans un fondu de dégradés tous aussi pures et magnifiques les uns que les autres. La magnificence du ciel compense la phénoménale insipidité du paysage. Comment ne pas éviter de développer une spiritualité dans ce genre d’endroit où le seul espace changeant est au delà ?

Du bush.

Il fait nuit et un vague défilement flou de bush témoigne encore de notre mouvement. Le ciel étoilé est extraordinaire de pureté mais les timides éclairages de l’intérieur du bus se reflétant sur les vitres suffisent à nous en isoler. Toujours des lignes droites. Des images de « Lost Highway » de David Lynch me viennent à l’esprit alors que je vous écrit. Bande son :

De nuit, cette route, infini quasi-parfait de rectitude, est le territoire des uniques road trains et quelques fous sous stimulants. Les stations services deviennent surréalistes, uniques puits de lumière et de modernité dans une étendue millénaire sous immensité cosmique, de minuscules relais le long de cette mince ligne de perfusion entre Darwin et la civilisation.

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Sens engourdis. Je rêve.

Les gens

L’intérêt des tours guidés est multiple. Premièrement, il évite de devoir se coltiner des tonnes de lecture car un autre être humain doté d’une connaissance à priori supérieure à la vôtre sur le sujet de votre tour est spécialement présent pour vous la déverser dans le cerveau. Souvent ça déborde, en plus. Deuxièmement, la plupart du temps, vous n’avez pas à conduire / pédaler / ramer / marcher ou alors c’est que vous êtes particulièrement malchanceux ou consentant. Toute votre énergie est donc concentrée sur l’absorption de cette information vous arrivant dessus par courts jets haute pression mais également sur la contemplation du paysage, la nuque en arrière, la bouche ouverte et les paupières closes. Malheureusement, comme la vie est injuste, pour des questions budgétaires, vous êtes fréquemment contraint de partager le dit guide et le dit moyen de transport avec un certain nombre d’autres individus (je part du principe que mon lectorat est de classe moyenne. Si vous vous sentez plutôt de classe supérieure, envoyez moi un chèque et je vous écrirai une version spécialement adaptée pour vous, de ce billet). La bonne nouvelle est que vous pouvez du coup rencontrer des gens. La mauvaise nouvelle est que vous devez supporter leur présence pendant la durée du tour.

Si je devais comparer ce tour Kakadu – Litchfield avec celui, similaire dans la durée, de Ba Tu Long – Ha Long, il me vient deux différences majeures qui me sautent aux yeux. C’est reparti pour une nouvelle énumération. Déjà, mon guide est un guide alors qu’au Vietnam, ma guide était une guide. Ça change pas mal de choses, figurez-vous. Entre une jolie petite femme aux lunettes de soleils à la Brigite Bardot et un grand quasi-quinquagénaire sec à la coiffure ras, je choisi la première, même si le deuxième m’a permis de me découvrir un certain goût pour le léchage de cul d’insecte. Mais surtout, et là ça dépend vraiment de la compagnie qui organise et de la mentalité du pays, au Vietnam l’accent était mis sur les activités et les paysages alors qu’à Darwin, Adam nous a fait tout un discours sur la nécessité que chacun discute avec chacun pour qu’il y ait une bonne osmose de groupe, lui n’étant pas disponible en permanence pour que les gens fassent connaissance. En même temps, je ne lui avais rien demandé de ce côté là, moi.

Fort heureusement, l’incitation à la sociabilisation s’est arrêté là mais ce que j’en déduis est que notre guide australien attachait beaucoup d’importance à cette ambiance de groupe afin d’en faire partie et d’en profiter. En clair, une partie de son plaisir dépendait des rencontres que lui allait faire. Pi Lu, aussi sympathique soit-elle n’avait pas forcément un désir aussi féroce de nous connaître. En plus de nous inciter à parler entre nous et de boire, Adam demandait également régulièrement que chacun change de place dans le camion afin de se mélanger. La place de choix, d’après moi, était bien entendu le poste de copilote, à l’avant à côté d’Adam. Les gens étant ce qu’ils sont (et surtout comme ils sont éduqués), une bonne moitié restaient accrochés à leur siège et peu de monde osait monter à l’avant. Moi, je crois bien avoir fait tout les sièges possibles, hormis ceux occupés en permanence.

Je confirme, le plus amusant est à l’avant surtout qu’il permet de bavarder avec un grand australien pilotant un haut camion de plusieurs tonnes à 80km/h sur des pistes gravillonneuses. De manière assez surprenante, on arrive à avoir une conversation assez large avec lui, y compris sur des sujets plus personnels. La plupart des guides gardent une distance professionnelle. Adam, non. Il faut dire que le gars a de la bouteille et, ce qui ne fini jamais de m’étonner, moi, a changé de métier plusieurs fois. Pour tout vous dire, puisque je vous sait curieux de la vie des autres, il s’est marié, il a divorcé, il a deux petits garçons qui font du motocross, il a rencontré sa copine lors d’un tour, il a une maison à Bondi qu’il a construit lui même mais qui est maintenant à son ex, c’est un fan de sports mécaniques, il a un 4×4 tout équipé avec téléphone satellitaire pour passer des jours dans le bush, c’est un audiophile qui a tendu des câbles en or dans sa maison (maintenant à son ex), il a visité une partie de la France, adore les Gorges du Verdon et il bosse six mois de l’année en tant que guide et l’autre partie du temps aide son père qui est dans la construction immobilière.

Avec tout cette sociabilisation, il s’est rapidement dégagé pendant ces trois jours un groupe de gens que j’appellerai les « couche tard », non pas que ce soient de gros fêtards (on se lève quand même avant l’aurore) mais parce que lors des soirées glamping, c’étaient les seuls à rester autour des tables à discuter pendant quelques heures en sirotant des bières, moi compris. En voici donc les membres et fort agréablement, Adam en faisait parti, malgré les tâches ménagères qu’il prenait en charge.

Mon collègue d’hostel, Phil, le jeune ORL américain, occupait le rôle d’électron libre, papotant plus ou moins avec tout le monde. On a plutôt bien sympathisé, au point de partager un dernier petit-déjeuner au soleil sur la marina de Darwin, le lendemain de notre retour. Son histoire récente consistait en une année de post-doc à Melbourne en charge d’étudier les différents grands systèmes de santé mondiaux. Avant de commencer son premier boulot dans un hôpital du Texas, il s’est payé un petit mois de vacances.

Max, le troisième célibataire, un peu plus discret et réservé initialement, s’est avéré assez passionnant lorsque j’ai découvert son métier, lobbyiste à Washington D.C. Tout d’abord, ce n’est pas commun d’en croiser un mais surtout un de 35 ans dirigeant une équipe de plusieurs personnes au sein d’une organisation a but non lucratif qu’il a lui-même créé. J’étais un peu méfiant initialement car j’imaginais que son activité de lobbying portait sur le pétrole ou les armes à feu, mais nous avons pu rapidement engager la conversation sur des sujets plus neutres lorsqu’il m’a appris qu’il s’agissait du domaine de la santé. Toute la majeure partie de son activité de l’année passé portait sur la réforme de santé d’Obama que son organisme tentait de soutenir. Il y a quelque chose d’incroyablement passionnant de discuter avec quelqu’un fréquentant d’aussi près les arcanes du pouvoir et habitué aux basses tractations politiciennes. Comme il a conclut lui-même, y compris pour un domaine comme la santé : « it’s all about jobs ». Convainquez un député que votre idée lui apportera des emplois dans sa circonscription, et vous l’aurez dans votre poche. C’est quasiment aussi simple que ça. Autant dire que ça ne se prête pas forcément à des réformes sur le long terme. Bref, Max après une période assez intensive a décidé de quitter son boulot, de lâcher son appartement et de partir un an en voyage.

Martins et Aija, le couple lituanien, qui se trouvent être de jeunes économistes furent également présent lors de ces longues discussions nocturnes. Parlant un excellent anglais à l’accent américain, ils étaient particulièrement agréables et souriants. Il était d’ailleurs surprenant et rigolo de les entendre parfois soutenir des thèses économiques assez libérales, pour des citoyens d’un ancien pays communiste. Il faut dire que le rejet anti-russe doit jouer un rôle dans cette affaire. A côté de cela, ces opinions étaient contrebalancés par un regard positif sur les pays scandinaves, notamment sur leur couverture sociale, abordé lorsque Phil, selon la caricature américaine, c’est insurgé contre le taux astronomique d’impôts en Suède. Venant d’un citoyen du pays qui s’est révolté parce que l’impôt sur le thé était trop élevé, ça n’a rien d’étonnant. Du coup, c’était agréable de constater comme certains pays restent historiquement et culturellement proches malgré des années de séparation lors de la guerre froide. En discutant avec Martins et Aija, je découvre à quel point la Lituanie et les états baltes sont notamment tournés vers la Suède. Au passage, pour les plus intéressés d’entre vous, j’apprend que les derniers calculs de PIB incluent le secteur public. C’est fou, non?

Pour finir sur les « couche tards », parlons de Nick et Jane, un couple de néo-zélandais installés à Sydney dans le quartier de Bondi. Soyons honnête, mon premier contact, timide, avec Nick s’est fait autour du rugby, fatalement. A l’évocation de Toulouse, il m’a tout de suite parlé des deux ou trois All Blacks jouant dans le championnat français. Manque de bol, moi, le championnat français de rugby, je le suis de loin. La conversation c’est donc arrêtée un peu tôt. Fort heureusement, lors de nos discussions du soir nous avons pu continuer un peu à faire connaissance. Le garçon est banquier dans la haute finance. Ah. Mince. Personne n’est parfait. C’est con, pour une fois, voilà un métier pour lequel je n’ai pas particulièrement de curiosité, ou alors pour poser des questions délicates et joyeusement provocantes (Non mais pourquoi t’as choisi ce métier, dis moi ? J’veux dire à part pour l’argent?). Quand à sa femme, Jane, elle met au point des recettes de yaourts pour un gros fabricant. Ah. Mince. Décidément, l’un bosse dans la haute finance et l’autre dans l’industrie agro-alimentaire. Voilà qui n’est pas très « paix et amour ». A part ça, ils sont assez sympathiques et parlent assez lentement avec un accent néo-zélandais que je découvre pour la première fois de près. Quoique, Nick mais un peu moins sympathique lorsque lors d’une dernière soirée (voir plus bas) il nous montre fièrement une photo de sa voiture, une Ferrari des années 80. Il a de la chance que je n’avais pas de smartphone. J’aurais pu lui montrer en retour une photo de mon Opel Astra bringuebalante.

Au final tout ce petit monde est fort agréable même si les liens se tissent plus entre la bande d’anglo-saxons, et notamment entre l’australien et les néo-zélandais. La preuve, ils sont tout le temps à l’avant du camion ou à côté de lui lorsqu’on marche, à papoter avec notre guide. Résultat, vers la fin du tour, j’avais presque peur de les déranger en posant une question à Adam.

Le soir de notre retour à Darwin, après ce lamentable épisode de ratage d’avion, toute cette bande c’est retrouvée dans un restaurant asiatique recommandé par Adam. Les hollandais étaient restés entre eux et les français étaient fâchés (bizarrement, je m’exclus du terme français). Notre guide nous rejoint sur le tard, après avoir du ranger et vider le camion puis essuyer quelques foudres de son employeur, rapport à l’incident franco-aéronautique. C’est donc légèrement sur les nerfs et en demande de bière qu’il s’est lâché gentiment et sauf mon respect sur l’attitude « typiquement frenchie ». Que pouvais-je répondre à cela? J’étais même particulièrement gêné et tentait de prendre timidement la défense d’Emilie et Gustave. Peine perdue.

Vous devez vous dire que tout ceci est vraiment fort gentil et vous devez vous réjouir que je vous décrive mes copains de vacances. En vérité, je garde un souvenir humain de ce tour et notamment de cette dernière soirée légèrement teinté de quelque chose de désagréable. Je crois que c’est du en partie à l’incident de l’avion, mais aussi par un « je ne sais quoi » (en français dans le texte) de malaise dans ma perception du niveau d’intimité entre ces gens. Les deux lituaniens et Phil exclus, que je trouvais vraiment sympathiques et dotés d’un sourire franc, je ne savais toujours pas après ces trois jours et trois nuits (avec le restaurant) si c’était devenu des gens qui m’appréciait et que j’appréciai. Mettez cela sur la soi-disante « hypocrisie » anglo-saxonne, mais il y avait toujours une retenue ou quelque chose de forcé dans nos relations. J’espère pas que c’était du à ma nationalité.

Rater l’avion

A quoi ça tient les souvenirs d’une jolie expérience touristique, je vous le demande ? Malgré cette sagacité aiguë qui vous caractérise, car j’ai une haute opinion de mon lectorat, vous, rares lecteurs de ce blog (mon ego est malgré tout doté d’un esprit réaliste), vous devez néanmoins vous demander où je veux bien en venir avec cette phrase d’introduction fortement générale, hormis de vouloir placer une nouvelle digression verbeuse, à croire que quelqu’un me rémunère au mot. Là où je veux en venir, c’est évoquer à quel point le souvenir d’une expérience riche et positive peut soudainement virer au cauchemar traumatique du fait d’une conclusion malheureuse, de ces cauchemars qui, à notre retour, l’on narre aux assemblées attentives (consentantes ou pas) empli d’un concentré maximal de colère et d’outrage jusqu’à en oublier les 90% autres anecdotes positives qui constituent la dite riche expérience. Ce billet sera écrit dans un style proustien ou ne sera pas. Tout ça pour dire, impatient lecteur pressé de retourner à ses activités normatives, qu’il suffit d’une conclusion malheureuse pour que les trois jours deux nuits Kakadu-Litchfield partent en eau de boudin.

Rassurez-vous, je ne suis pas la victime de cette histoire. Mon karma positif accumulé en Inde puis au Vietnam, bien que s’étiolant de nouveau au contact de la société occidentale bourgeoiso-consumériste, me prémuni de ce genre de choses. Non, les acteurs principaux de cette terrible farce touristique sont deux de mes concitoyens, et pas des moins sympathiques puisqu’il s’agit en l’occurrence (comme le veut l’expression logique dans ces cas là) du jeune couple Émilie et son copain. C’est dramatique, mais j’ai complètement oublié son prénom. Nous allons donc le prénommer Gustave, dans un soucis de lubrification narratif. Gustave, c’est plutôt classe comme prénom et en plus ça sonne complètement 19ème siècle, époque proustienne. J’aurai pu tout aussi bien le prénommer Lucien ou Émile, mais avec Émilie comme partenaire, ça aurait été trop facile. Arrêtez de vous attacher à des détails, enfin.

Il se trouve que les jeunes Émilie et Gustave ont eu la sotte idée de réserver des billets d’avion, le dernier jour des fameux 3 jours et 2 nuit, et ceci pour 20h à Darwin. Les sots. La brochure spécifiait un retour en ville pour 17h le dernier soir mais seul des bisounours ou à la rigueur des schtroumpfs y aurait prêté foi. Mais en disant cela, je dévoile déjà en partie le dénouement de cette passionnante histoire que j’espère captivante en misant très fort sur votre taux présent d’alcoolémie ou de THC dans le sang.

Le matin donc de cette troisième journée, nous nous levons de bonne heure. Pour l’anecdote, je dort dans la même tente que Phil, l’ORL américain, bien que dans des lits séparés afin de couper court à toute forme de commérage. Ceci n’a quasiment aucune incidence sur le court de l’histoire, mais avec l’effet papillon, comment en être sur ? Adam, dans un soucis de timing nous avait enjoint hier soir de nous lever si possible autour de 5h du matin. La vie dans un milieu rustique tel qu’un glamping australien ne pardonne pas. Était-ce la dure journée riche en émotion de la journée précédente (nous y avions léché du cul riche en vitamine C), les kilomètres avalés dans un camion tressautant sous une bande son aléatoire ou bien plus simplement la soirée animée de passionnants échanges intellectuelles stimulés par des bières australiennes bon marché ? Je ne saurez conclure mais toujours est-il que le réveil fut difficile pour moi et mon collègue de chambrée. De plus, les autres avaient pris bien soin d’opérer leur réveil en mode furtif, tels des Delta Force intervenant au Pakistan.

C’est donc plutôt vers les 5h30 que je me suis extrait du lit pour aller prendre le petit déjeuner dans la tente centrale permanente prévu à cet effet. Autant vous dire que je me suis battu jusqu’à notre départ avec cette fatale demi-heure de retard, essayant de caser un petit déjeuner, une douche, un habillage et un rangeage dans une petite heure. En vérité, j’étais plutôt dans un timing normal jusqu’à ce que Phil vienne me voir dans ma tente, que j’étais patiemment en train de balayer, pour m’annoncer que tout le monde était casé dans le camion, moteur tournant, Adam au volant, n’attendant que moi. J’aime la lumière mais là, c’était pas forcément la meilleure situation. C’est donc avec une toute petite demi-heure de retard sur son planning d’origine que notre guide prend la route. Hormis quelques quolibets et regards ironiques, l’affaire ne prêtait à aucune conséquence.

En route, c’est là que j’apprend en discutant avec eux qu’Émilie et Gustave ont un avion à prendre le soir même à Darwin et qu’ils ont laissé leurs bagages à l’hôtel. Moi, je suis un angoissé des horaires d’avions. Quand j’ai un vol j’arrive entre 2h et 3h avant à l’aéroport. Pour avoir eu quelques ratages de vol, je connais la terrible humiliation et frustration qui en découle et fait tout pour ne plus me retrouver dans ce genre de situations. En entendant leur planning, je lève donc un sourcil d’étonnement et pense en mon fort intérieur qu’ils doivent être tout les deux sérieusement zens pour tenter pareil expérience. Après, chacun ses angoisses, les peurs et les risques étant deux choses différentes.

La matinée passe, la plupart du temps sous forme de somnolence ou de contemplation dans un véhicule en vibration. Lors d’un nouvelle arrêt pipi (normal, vu tout ce qu’on nous force à ingérer comme liquide) Emilie et Gustave informent Adam de leur contrainte horaire. Nous reprenons la route.

Quelques heures plus tard, face à l’immensité plate et mystérieuse de la plaine d’Arnhelm, sur le site aborigène d’Ubirr, nous méditons sur 30000 ans de culture indigène inchangée. Il est autour de 15h et des nuages poussés par un vent régulier viennent ponctuer ce paysage intemporel de ronds sombres. Accessoirement, nous sommes à 300km de Darwin. Je contemple, je contemple mais je médite pas mal également sur l’incroyable défi lancé à la science moderne pour combler 300 bornes de distance sur des pistes et des routes en moins de quatre heures si possible. Après, ce n’est pas moi le pilote.

Finalement, Adam sonne le rappel en rappelant à tout le monde qu’il y a un couple de frenchies à déposer à l’aéroport, couple qui commence tout doucement à se tendre. L’heure n’est plus à la rigolade. Maintenant il s’agit de bouffer de l’hectomètre en pelletées. Nous montons tous dans le camion et par un curieux hasard, je me retrouve à l’arrière en compagnie des deux couples français, Émilie et Gustave ainsi que Pierre et Sophie. Devant, à côté et autour d’Adam se regroupent les deux néo-zélandais, un américain et les deux lettoniens. Phil est juste devant moi et à nous deux, nous opérons une sorte de cordon de communication entre l’arrière du véhicule et le poste de pilotage.

Car voici la situation : le temps filant comme vous le savez comme du sable entre les doigts, le gros camion quatre-roues motrices en tôle faisant un boucan métallique, les frenchies parlant anglais avec un accent à couper à la truelle, il devient vite pénible et compliqué pour Adam et le couple Gustavo-Emilien de se synchroniser sur le plan A ou l’éventuel plan B. Il faut dire que pendant le trajet, Adam continu à parler tranquillement dans son micro, nous déversant de nouvelles anecdotes soit touristiques soit culturelles. Dans ces moments de tension croissante, on a souvent envie de sentir que l’on est le centre d’intérêt du moment. Pour communiquer avec Adam, ils commencent donc à écrire des petits mots sur des papiers que nous sommes chargés, Phil et moi, comme à l’école, de faire passer à l’avant, retour compris. Tout naturellement, il est difficile de maintenir une conversation de fond de cette manière et la chose doit s’avérer frustrante pour tout le monde. Pour ne rien arranger, Émilie parle très mal anglais et Gustave, malgré son année à Melbourne, le parle à peine mieux.

Rapidement, nos deux héros commencent à s’épancher sur l’autre couple français. Nous sommes tous d’accord pour conclure que le timing sera très certainement chaud bouillantissime, voir au-delà. Les demi-heures passent et le temps continue de filer. Depuis lors, la bande de français s’acharnent à coup de smartphones pour trouver un plan B. Parce que les désagréments n’arrivent jamais seuls, ces jeunes gens plein d’optimisme ont déjà réservé un autre tour guidé de quelques jours le lendemain, à Cairns. Rater leur avion ce soir signifie donc pour eux perdre l’argent du vol ainsi que l’argent du tour. J’en ai mal à la bourse pour eux. Bien entendu, il est inutile de préciser que la température monte également très légèrement entre Émilie et Gustave. Avec plein de sagesse et d’ironie, un des vieux hollandais se penche vers Phil et moi en glissant « si leur couple survit à ça, ils sont bons pour durer ». De manière assez amusante, la tension monte également très légèrement au sein de l’autre couple. Les deux ne sont pas d’accord sur le plan B à adopter. Quand à moi, le dernier frenchie du lot, je balance entre tenter de les convaincre de prendre ça avec philosophie (échec), de donner mon avis (mauvais idée, je l’abandonne rapidement) et de les aider. De ce côté là, à part les flatter dans leur outrage (ah oui, non mais je vous jure, c’est n’importe quoi ces brochures qui vous certifie que vous serez rentré à 17h pétante à l’heure pour Stade 2) je ne voyais pas trop ce que je pouvais faire. Une oreille compatissante, éventuellement.

Alors que pour tout le monde il est dorénavant clair que les carottes sont carbonisées (un appel à l’aéroport les convainc qu’ils ne pourront pas faire attendre le vol), Émilie et Gustave en sont maintenant au point où, vexés, ils cherchent à s’auto-convaincre (avec un peu d’aide de l’autre couple) qu’ils sont dans leur bon droit pour demander réparation auprès de l’agence gérant notre expédition. Il n’y a jamais très loin entre la victime et le mauvais perdant. Dans ce cas là, notre honnêteté voudrait qu’on leur dise « non mais vous vous êtes plantés les gars, assumez » mais notre patriotisme et notre humanité milite pour un plus doux mais parfaitement hypocrite « rhalala, mais complètement, c’est des salauds ces agences. Ça va pas être simple, mais vous avez raison de vouloir les émasculer ». Moi j’opte pour une action totalement machiavélique et fielleuse : je leur passe ma copie de mon contrat signé avec mon agence pour qu’ils puissent à loisir lire les petites clauses en corps 8 listant les cas possibles de réclamation. Il faut dire que je commence légèrement à me sentir coupable pour ma demi-heure de retard matinal.

C’est donc de nuit, autour de 19h30, que nous déposons Émilie et Gustave devant leur hôtel. La tension entre eux et Adam est palpable, lui étant particulièrement agacé par leur attitude, sachant qu’il vient de se taper un bon paquet d’heures de conduite sans mollir. Il a du vouloir jongler entre les souhaits de la majorité qui était de prendre son temps et les impératifs de deux frenchies un peu maladroits dans leur planning. Un peu plus tard, j’apprendrai que l’incompréhension était également de son côté sachant qu’il avait suggéré d’appeler un taxi pour les amener plus tôt à Darwin. Mais dans ces cas là, une réaction normale quand on a un budget tendu, comme ce devait être leur cas, est de vouloir tenter l’option la moins chère, quitte à tout perdre.

Tout ceci serait presque anecdotique si, encore une fois plus tard, Adam m’avouera qu’il avait trouvé la réaction et la gestion des choses par Émilie et Gustave « typiquement française » c’est à dire, distante, peu expansive. Il faut bien admettre que les deux couples français ont passé la plupart de leur temps ensemble et que l’épisode des petits billets en papier a du lui laisser cette impression.

Mais pourquoi donc est-ce que je vous raconte tout ça, me demanderiez-vous ? Et bien tout simplement car je la trouve symptomatique d’une certaine façon française de gérer les aléas, toujours à chercher à blâmer les autres pour ses propres bêtises (Peut-être est-ce un trait commun à toutes les cultures, après tout). Mais aussi, car cet épisode avec d’autres anecdotes m’amènent à penser qu’il y a fondamentalement une incompatibilité culturelle entre les français et les anglo-saxons sur certains points.

Pour conclure, l’histoire ne dit pas si Émilie et Gustave sont toujours en Australie et encore moins ensemble. Et en plus, ce billet n’était pas plus proustien que ça.

Animaux Australiens

C’est le diable si dans ces trois jours à travers l’outback je n’avais point croisé une quelconque faune autochtone. Fort heureusement, l’Australie en est fort pourvue et j’ai de quoi écrire un billet sur le sujet. Attention, je vous préviens, ça va finir bizarrement. Il vaudrait mieux que vous vous preniez un petit verre d’alcool au préalable car cela risque de s’achever dans le surréalisme.

Commençons doucement. A Darwin et du coup dans tout ces territoires du nord, le gouvernement Australien, car en bon français je ne peut imaginer qu’une telle initiative ne soit pas du à une grandiose décision ministérielle, les pigeons sont absents. A leur place, on a substitué de mignons cacatoès blancs à crête jaune. C’est autrement plus classe. On ne peut pas dire autant de leur cri, malheureusement. On en vient presque à regretter le doux « prrrou, prrrouuu » du pigeon urbain car cet esthétique animal enroué ne parvient qu’à extraire d’horribles « SQQQWWWAAAAAKK » de son jabot. Ce n’est pas très romantique et Paris aurait été bien différent si la substitution y avait été opéré.

DSC_6439_DxOPuisque je vous parle d’oiseaux, j’ai été abreuvé de milles anecdotes sur divers volatiles que j’ai parfaitement oublié. Lorsque nous flottions mollement sur notre barcasse métallique à fond plat, heureusement motorisée, le long de la rivière entouré de crocodiles, dont je parlerai plus tard, notre guide ne ratait pas une occasion pour nous pointer quoi un aigle, quoi un canard, quoi un autre machin à plume s’envolant plus ou moins gracieusement. Il m’est resté, malgré tout, une tendre anecdote marshmallowesque qui fera fondre DSC_6409_DxOmême les plus bûcherons d’entre vous. Il s’agit d’une race d’oiseaux (dont j’ai oublié le nom, faut il encore que je le précise) qui se mettent en couple pour la vie. L’incroyable et le surprenant dans cette histoire n’est pas l’absence totale de paperasserie administrative en rapport à ce lien indéfectible, mais de la conséquence funeste qui en découle. Si l’un des deux partenaire meurt, l’autre le suit, accablé par le chagrin. On est en plein Goethe et c’est à vous arracher une larme… de crocodile. Non, je parlerai des crocodiles plus tard.

DSC_6360_DxOSans transition, car la seule que j’ai trouvé était particulièrement capillo-tractée et je préfère m’abstenir, j’ai eu la joie de voir des termitières géantes. A vrai dire, j’ai même eu l’embarras du choix car aux environs du parc national de Litchfield, le bush en est rempli. Je vois joint une photo car je suis sur que vous allez me prendre pour un Marseillais, mais ces termitières font plus de 3m de haut pour la plupart. C’est véritablement impressionnant. Autant vous dire qu’à Darwin, quand ils ne sont pas accablés par la chaleur, frappés par un typhon ou torturés par l’ennui, les habitants doivent encore se protéger de ces petites bêtes particulièrement voraces. Pour l’anecdote, la matière constituant ces termitières, que j’imagine être une sorte de sable régurgité (beurk!), est aussi dure que du béton. D’ailleurs, techniquement, ça s’en rapproche.

DSC_6454_DxOJe ne vous parlerai toujours pas des crocodiles car, présentement, j’ai plutôt envie de vous parler de cheval. Je ne vous ferai pas l’affront de vous expliquer en quoi consiste ce quadrupède. Non, ce qui m’intéresse ici, c’est de vous expliquer que dans ces territoires sauvages, on croise des chevaux de même nature, sauvages. Vous ne serez pas surpris si je vous explique que ce sont des descendants des premiers chevaux importés par les occidentaux puis relâchés dans la nature. Comme il n’y a pas beaucoup de prédateurs dans ce continent, la population a plutôt augmentée. D’ailleurs, maintenant que j’y pense, les seuls prédateurs sont les crocodiles. C’est donc le moment d’en parler.

Alors pour faire simple, mais néanmoins précis, il y a deux types de crocodiles dans le nord de l’Australie, et plus particulièrement dans la grande région autour de Darwin, la plus riche dans le domaine. Les plus petits ne se trouvent que dans des eaux douces, c’est à dire les rivières et les billabongs. Au fait, mais qu’est-ce donc qu’un billabong ? C’est bien beau d’avoir ça sur son t-shirt, encore faut-il en comprendre la signification. Un billabong est le terme aborigène pour désigner une poche d’eau douce restant d’une zone inondée par une rivière. A la saison humide, les billabongs se retrouvent de nouveau connectés aux cours d’eau tandis qu’à la saison sèche, ils ressemblent à des lacs, des étangs ou des mares. Ces petits crocodiles d’eau douce ne sont pas très dangereux ni agressifs même si leur morsure peut faire des dégâts.

DSC_6393_DxO

DSC_6399_DxOLa deuxième espèce est quand à elle beaucoup plus létale. Il s’agit des crocodiles marins, ou d’eaux salés, affectueusement surnommés « salties » par les australiens, qui en plus de vivre sur la côte (et donc de chasser un peu au large des plages) remontent également les cours d’eaux douce et s’installent dans les billabongs. Ces bestiaux là peuvent atteindre facilement les 3 à 4m de long avec des individus records d’environ 7m. En sachant qu’un animal de cette taille peut sprinter pendant un court moment beaucoup, beaucoup plus vite que vous, vous imaginez l’angoisse. Accessoirement, lorsqu’ils sont motivés, par exemple par un poulet mort tendu au bout d’une perche tenu par un guide retors, ils peuvent également jaillir à la vertical hors de l’eau de toute la hauteur de leur corps. Fort heureusement, ils sont territoriaux, on peut donc facilement les retrouver, s’inquiéter s’ils sont absent, et étant à sang froid, plutôt léthargiques le matin.

Adam nous fait donc un rapide topo sur ces bêtes et les consignes de sécurité à respecter, qui consiste pour l’essentiel à ne pas s’approcher d’un DSC_6427_DxOquelconque plan d’eau. Pour enfoncer le clou, il nous narre quelques anecdotes de touristes allemands emportés par des crocos de 4m ou bien sauvés par la police de Kakadu alors qu’ils avaient noyé leur 4×4 en plein milieu d’un billabong plus profond qu’ils n’imaginaient. Oui, bizarrement, l’Allemagne paye le plus lourd tribut en ce qui concerne les décès par morsure de crocodile. La seule explication un peu sérieuse (excluant donc toute anecdote en rapport à la bière ou un passé fasciste douteux) est uniquement statistique : les allemands ne seraient-ils pas les touristes les plus représentés en Australie ? Mais je préfère vous laissez écouter Adam parler des consignes de sécurité. En prime, vous aurez le droit à une blague, que moi, personnellement, je n’ai pas entièrement saisie.

Maintenant, pour revenir au bizarre et surréaliste, et puisque j’évoque notre guide Adam, j’ai fait quelque chose que je ne suis pas peu fier. Alors que nous étions tous dehors au milieu du bush, à côté d’un billabong pour une pause pipi, Adam nous appelle pour nous montrer quelque chose. J’étais déjà un peu stressé par toutes ces consignes de sécurité en rapport aux crocodiles. Je me suis approché de l’eau pour uriner « Non ! Pas prêt de l’eau », je suis parti dans l’autre sens vers les arbres « Attention, parfois ils remontent jusqu’à 30m à l’intérieur ! », j’ai fait super attention où j’arrosais « Faites attention, ils ressemblent à des troncs d’arbres » et tout ça en gardant en tête que si un de ces gros reptile décidait de me sauter dessus, je n’avais aucune chance au sprint. Surtout avec une main prise et la braguette ouverte. Bref, je m’attendais à un truc hyper-dangereux et je n’aurais pas été surpris s’il nous avait ramené un bestiaux de 4m sur son épaule, occis à l’aide d’un couteau en plastique. Pour entretenir la confusion voilà qu’il nous demande « Vous voulez lécher du cul ? ».

Il nous fait signe de nous approcher de lui en tendant sa main vers nous, tout en étant pris de petit gigotement, comme subissant une démangeaison irrépressible. J’imagine déjà un dangereux dérapage scabreux. « Dépêchez-vous, elles sont en train de me mordre ! », dit-il. Complètement intrigué, je jette un œil à sa main tendu pour y apercevoir de grosses fourmis. Avant qu’on ai pu l’arrêter, ce rustre dégénéré, il se saisit délicatement d’un insecte entre deux doigts et se l’amène à hauteur de bouche pour lui lécher l’arrière train. Je crois bien que la surprise l’a emporté sur le dégoût. Pris d’un grand frisson, il repose la fourmi et arbore un gigantesque sourire. « Vous voulez essayer ? ». De plus prêt, on constate que chaque insecte, hormis celui qui s’est fait lécher le cul, possède une poche verte vif à l’arrière train. Notre guide nous explique qu’il s’agit d’une réserve d’acide ascorbique, autrement dit, de vitamine C. Moi, j’ai pour principe de goûter à tout du moment que quelqu’un y a déjà survécu. Je me saisit donc également d’une fourmi vierge (si on peut dire comme ça) et d’un petit mouvement de langue lui donne un rapide coup de langue sur les fesses, qu’elle a toute verte. Effectivement, c’est puissamment acide, comme un jus de citron hyper-concentré mais c’est loin d’être désagréable. C’est même aussi amusant que de sucer des bonbons acidulés.

Pour finir, on a remis les fourmis sur le sol. Et puis d’abord, si ça se trouve, elles aiment ça aussi qu’on leur lèche le cul.

Kakadu & Litchfield

C’est donc un matin très tôt, alors qu’il fait encore nuit, aux alentours de 6h, à la fraîche, les paupières encore un peu collantes, alors que j’attends devant mon hostel, qu’un gros camion blanc quatre roues motrices tirant une remorque s’arrête. Un grand gars sec d’une grosse quarantaine d’année en chemise bleu et pantalon de toile, cheveux ras, en bondit et s’approche de nous. Je n’étais pas seul avec mes bagages posés sur le trottoir. Un deuxième gars faisait de même. Le grand sec, c’est Adam, notre guide. Mon voisin, un trentenaire au type asiatique, c’est Phil, un américain de Melbourne. Mais ça, je l’apprendrai plus tard. Tout ça pour dire qu’aujourd’hui, je vous narre le tour guidé 3 jours / 2 nuits de Kakadu – Litchfield.

Comme souvent, l’aventure commence par un ramassage des différents acteurs, disséminés dans les différents hostels et hôtels de Darwin. A cette heure les gens sont encore un peu dans le pâté et la conversation s’en ressent. Rapidement nous nous retrouvons donc à 16 dans le camion et Adam, le guide, triture son micro-casque. C’est l’heure des présentations. Chacun notre tour nous divulguons notre nom et nationalité. Voici donc le casting. En sachant qu’il y aura peut être un meurtre, je vous suggère d’être attentifs.

  • Votre serviteur,
  • Adam, le guide australien de Bondi, Sydney
  • Phil, un américain, ayant habité la dernière année à Melbourne
  • Max, le deuxième américain, jeune trentenaire également, de Washington D.C.
  • Nick & Jane, un couple de néo-zélandais habitant également Bondi, Sydney
  • Martins & Aija, un jeune couple lettonien de Riga
  • Pierre & Sophie, encore un couple, français et lorrains de Nancy
  • Emilie et son copain, un autre couple français en fin de visa touriste-travail.
  • Un vieux couple de hollandais en voyage prolongé
  • Et finalement, un jeune bachelier hollandais et son père en vacances

Vous l’aurez compris, la France est en force et le groupe d’une taille respectable. Je suis néanmoins rassuré en voyant la moyenne d’âge, quand même plus proche de 35 ans que de 20. Quand à Adam, notre guide à l’accent typiquement australien, c’est un peu notre Crocodile Dundee à nous. Il faut dire qu’il a deux obsessions : l’eau et les crocodiles. Toutes les heures, il nous rappel de boire ce que je trouve particulièrement paternaliste. Bientôt ils vont nous avertir quand il faut inspirer puis expirer. L’explication : ils ont eu un cas d’une dame ayant souffert du manque d’eau dans un précédent tour. Si on ne peut même plus faire jouer la sélection naturelle, maintenant, pfff. Par contre, pour ce qui est des crocodiles, je vous en parlerai une autre fois.

La plupart du temps, on roule. Au début, tout va bien. L’asphalte est nickel et la route passablement rectiligne. La conversation s’engage un peu timidement parmi certains groupes, DSC_6461_DxOnotamment les hollandais qui papotent. Après un ou deux arrêts pipi, on commence à briser un peu la glace avec certaines personnes. Mais finalement, il faut attendre le repas du midi pour que la convivialité du déjeuner aidant, les présentations se fassent réellement. D’ailleurs, si vous voulez vraiment que les gens se parlent, prévoyez des sandwichs à faire soi même, les ingrédients posés sur un buffet, en quantité insuffisante. Par contre, on boit beaucoup sous le regard lourd et insistant de notre guide. Fort heureusement, l’Australie étant un pays civilisé, des toilettes sont habilement disséminés à chaque arrêt.

Les choses sérieuses commencent quand on s’engage sur les routes non asphaltés. Dans un décor de rallye automobile, le camion se met un peu plus à bringuebaler, la musique se fait plus forte (car musique il y a, les gens étant naturellement terrorisés par le silence) et Adam se met à adopter une conduite coulée tout en glissades contrôlées, le tout à plus de 80km/h. Voici d’ailleurs un extrait de l’ambiance à l’intérieur.

DSC_6367_DxODans ce fameux parc national de Litchfield, il y a des cascades. C’est très simple, pendant la saison humide, ce sont des trombes d’eau qui tombent sur cette vaste bande côtière quasiment totalement plate. DSC_6375_DxOAutant vous dire, que ça stagne pas mal. Néanmoins, il y a quelques plateaux et ce sont à leurs extrémités que l’on peut admirer quelques jolies chutes au débit variable suivant la saison du nom de Wangi Falls et Florence Falls. Ce sont d’ailleurs des occasions de petites baignades collectives que j’évite, le tibia gauche toujours en convalescence depuis le Vietnam. N’oubliez pas de boire.

Nous reprenons la route pour rejoindre une rivière et laissons le camion pour parcourir le cour d’eau pendant deux heures à bord d’un bateau à fond plat. Le soleil décline et nous profitons de l’ambiance paisible malgré la présence de quelques spécimens de crocodiles.

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De retour au camion, nous buvons et reprenons une nouvelle fois la route pour rejoindre notre premier camping pour la nuit. Effectivement, le bilan de la journée se limite à deux cascades et une ballade à bateau.

Pour ce qui est de l’hébergement, soyons honnête, il ne s’agit presque plus de camping dans la mesure où les tentes sont permanentes, équipées de moustiquaires, hautes de plafond et dotés de lits de camps forts confortables. De plus, au centre du campement se trouve une grande tente fermée de 20m de long et 5 de large abritant une grande table, des chaises, un frigidaire, un lavabo mais surtout un barbecue et des feux au gaz. Autant dire que côté confort, ça n’a rien à voir avec le camping de base. Le seul trait commun concerne la salle de bain et les toilettes, communs. Adam nous apprend d’ailleurs que la grande mode australienne est le camping « de luxe », appelé également « glamping », contraction de glamour et de camping. Les riches australiens aiment les grands espaces et la nature, mais faut quand même pas déconner avec le confort. Quand à Adam, il lui arrive pendant ses journées de repos de prendre son 4×4, son sac de couchage et sa glacière de bières (autrement appelé « esky » ici) pour partir seul s’isoler dans le bush ou dans un coin reculé et connu de lui seul de Kakadu. La vrai vie, en somme, toi sirotant bruyamment une bière seul sous l’insondable profondeur du cosmos. En ce qui nous concerne, après un repas collectif concocté par notre guide à base de saucisses au poulet, nous nous contentons de sonder le plafond de la tente collective tout en sirotant des bières achetées en groupe dans la journée.

Le lendemain matin, nous nous réveillons avant l’aurore à 5h30. C’est dur, très dur. La journée promet d’être longue car il nous faut déjà rejoindre le parc de Kakadu à 200km. Ça tombe bien, je me met à la place du copilote, place de choix pour papoter avec notre guide et pour admirer toute sa maestria de pilote de camion sur les pistes gravillonneuses. La lumière se lève tout doucement sur un paysage légèrement brumeux.

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DSC_6466_DxO Quelques heures plus tard, nous descendons pour rejoindre une nouvelle cascade, du nom de Twin Falls. Cette fois-ci, après une petite marche dans une forêt, nous empruntons un bateau à fond plat pour remonter une gorge. Au bout, une plage d’un sableDSC_6475_DxO blanc et deux cascades chutant d’un plateau dans une eau translucide, mais fraîche. Ce sont les Twin Falls. Moi je ne me baigne toujours pas. Après trois quart d’heure (Adam étant le garant du timing), nous rebroussons chemin par le bateau puis remontons dans le camion. Bien entendu, nous buvons.

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De nouveau de la piste, de la route et de la musique avec très probablement des passages de sieste. Un arrêt déjeuner plus tard, toujours à base de sandwichs, nous repartons. Finalement nous atteignons notre deuxième centre d’intérêt de la journée : une nouvelle cascade. Pour la DSC_6501_DxOrejoindre nous devons parcourir une poignée de kilomètres à pied le long d’un chemin longeant une rivière. Après un passage facile, nous crapahutons sur de gros cailloux. Encore une fois, notre guide nous enjoint d’être prudent. C’est vraiment très paternaliste. C’est certes plus technique que de marcher sur un sentier balisé mais c’est drôlement plus amusant. Finalement, nous débouchons de nouveau sur une plage de sable d’uDSC_6482_DxOn blanc éclatant et le groupe s’octroie une nouvelle baignade sous Jim Jim Falls. J’avoue, que là, ça commence à m’embêter d’attendre bêtement que tout le monde se lasse de se baigner. A l’heure dite, Adam fini par rassembler ses ouailles et nous repartons le long des rochers.

Au camion, nous buvons. On remonte dans l’engin et repartons une nouvelle fois pour quelques dizaines de kilomètres de piste afin de rallier notre coin camping pour la nuit. Oui, vous avez bien lu. Malgré une grosse journée, nous n’aurons finalement visité que deux cascades. Quand je vous dit que ce pays n’est pas très dense. De nouveau nous nous retrouvons à coucher dans des tentes confortables autour d’un grand espace clos pour la cuisine et le repas. D’ailleurs nous ne sommes pas les seuls et de nombreux autres tours opérateurs avec leurs gros camions tout terrains occupent les espaces avoisinants.

DSC_6503_DxOLe lendemain matin, de nouveau très tôt, autour de 6h30, nous sommes déjà tous dans le camion pour une dernière journée dans le parc national de Kakadu. Aujourd’hui nous attaquons les pistes les plus difficiles pour rejoindre une nouvelle cascade à Barramundi Gorge. Après une bonne heure bringuebalante nous nous arrêtons et entamons une marche en file indienne à travers une végétation de bush humide. Des grands arbres à l’écorce décollée appelés melaleuca pulullent dans ces zones riches en eau. Ils sont d’ailleurs assez agréables au touché car leur écorce a la texture de papier buvard. Adam nous affirme que les aborigènes les utilise comme pansement. Le chemin monte et devient plus rocailleux.

Finalement nous redescendons dans les rochers pour rejoindre une série de piscines naturelles formée dans la roche par un cour d’eau qui fini par se jeter en DSC_6519_DxOcascade plus bas. De nouveau nous faisons une pause baignade mais cette fois-ci, vu la fraîcheur de l’eau et l’heure matinale, je ne suis plus le seul à m’abstenir. Une nouvelle fois, une petite heure plus tard, nous repartons en sens inverse pour rejoindre le camion. Nous buvons puis reprenons la route.

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Nous effectuons quelques temps plus tard une nouvelle pause déjeuner où nous finissons les restes de sandwich. Nous buvons. Cette après midi nous allons voir le dernier lieu du tour, un site nommé Ubirr et a ma grande joie, il ne s’agit pas d’une cascade. Situé à l’extrême est du parc, le lieu est important pour les aborigènes. C’est d’ailleurs un des seuls endroits de la région ouvert et connu du public où se trouvent des peintures sur roches. Accessoirement, ce fut aussi le lieu de tournage de quelques fameuses scènes de Crocodile Dundee.

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Nous arrivons là bas en milieu d’après midi et suivons le chemin du parcours. Le long nous apercevons quelques zones de dessins sous des surplombs rocheux, agrémentés de panneaux DSC_6526_DxOexpliquant les histoires qui y sont racontés. Enfin, j’ai l’impression de rentrer dans la culture aborigène australienne et il me tardait un peu. Les panneaux parlent « d’art aborigène » mais Adam, un peu agacé, nous livre son opinion sur le sujet. D’après lui il ne s’agit pas d’art dans l’intention d’origine puisque ces fresques sont avant tout des livres d’histoire pour les jeunes aborigènes. Ce sont sous ces surplombs rocheux, là où les fresques étaient sur d’être préservées des intempéries, que les anciens racontaient les histoires ancestrales, dessins à l’appui. Il est donc aussi ridicule d’appeler ces fresques « art » que d’appeler les illustrations d’un livre scolaire « art ». J’avoue partager son opinion sur le sujet et nous comparons cela aux vitraux et sculptures des cathédrales du moyen-âge, avant tout destinées à l’apprentissage de la bible et non pas issu d’une volonté artistique.

DSC_6528_DxOLe chemin grimpe un peu et nous atteignons finalement une vaste plate-forme rocheuse surplombant un paysage qui semble courir à l’infini. Depuis maintenant trois jours nous avions toujours le nez au niveau du sol. Comme l’a si bien exprimé Phil, pour une fois, le paysage s’ouvre devant nous. Devant nous le paysage est plat et marécageux. Derrière nous il est à l’inverse, totalement rugueux, rocailleux et ponctué de crevasses. Nous sommes à la limite d’un vaste territoire contrôlé par les aborigènes, nommé Terre d’Arnhelm, aussi grand que la DSC_6535_DxOBelgique. Pour y pénétrer, un permis délivré par les Anciens est nécessaire. Du coup, je ressent un grand mystère en regardant dans cette direction, en sachant que ces espaces encore préservés d’exploitation minière, malgré la présence constaté d’un grand gisement d’uranium, vit à l’écart du monde occidental, selon un mode de vie vieux de 30 000 ans.

Finalement, nous redescendons de ce magnifique point de vue et reprenons une ultime fois la route. Cette fois-ci, le tour est fini et il ne nous reste plus que quelques heures de route pour rejoindre Darwin. Chacun son tour nous sommes déposés devant notre hôtel, moi avec Phil, et nous nous disons au revoir.

Une pensée admirative me vient pour Adam, notre guide, qui vient de se taper trois jours de conduite intensive. Fort heureusement, il enchaîne par une journée de repos. Trois jours, cinq cascades, des fresques et un panorama pour un petit millier de kilomètres de route sur un fond de bush. C’est quand même dingue comme c’est peu dense et varié, finalement.

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