En route pour Nha Trang

Il est temps de quitter Hoi An. Je sais, c’est un peu triste car cette petite ville est bien agréable. Mais avec le vol de vélo, il vaut mieux qu’on prenne le large avant que l’hôtel ne se rende compte qu’il lui en manque un. Ma prochaine destination, Nha Trang, plus au sud, une ville réputée pour sa grande plage et ses hordes de touristes russes. Je ne sais pas pourquoi. Sans doute des restes de l’époque soviétique.

Tout d’abord nous allons jouer à un petit jeu, celui de la prononciation. J’ai bien tenté de faire comprendre à certaines personnes que j’allai à Nha Trang mais sans grand succès jusqu’à ce que je me rende compte que le nom de la ville ne se prononçait absolument pas comme cela se lit en français. Oubliez « na trangue », ça ne fonctionne pas. La véritable prononciation s’approche plus d’un « na tchangue ». A partir de là, la conversation avec les autochtones peut reprendre. Ils comprennent mieux. Les vietnamiens sont certes sympathiques mais leur langue est plutôt hostile.

Pour descendre jusqu’à ma prochaine destination, il me reste un dernier tronçon de train à effectuer. Le départ s’effectue de Da Nang (qui se prononce bien « da nangue », merci) ce qui impose un premier transfert en bus local de Hoi An (Hoï anne, puisqu’on y est) vers sa grande ville voisine. Je prends donc un nouveau xe om vers la gare de bus sans la moindre angoisse. Je crois même que je commence à aimer ça.

Je monte dans un bus très simplement estampillé « Da Nang » ce qui laisse peu de doute sur sa destination. Je me trouve une place avec mes deux sacs et une femme au chapeau conique arrive pour les billets. Après m’être enquéri du prix pour aller à Gâ Da Nang, 20 kDongs, je lui tends un billet de cinquante. Elle fait mine de ne pas me rendre la monnaie puis me la tends avec un sourire. Hahaha. Elle m’a fait peur. « Il n’y a pas de tickets ? », lui demande-je, constatant qu’elle se tourne vers quelqu’un d’autre. « Non, non. Pas de tickets ici ». Il faut vraiment que je me débarrasse de mes réflexes d’occidentaux.

Nous partons dans le bruit habituel de vieux diesel et rejoignons Da Nang en milieu de journée sans grand soucis après une grosse demi-heure de trajet. Après quelques minutes dans la ville, la vendeuse de ticket m’interpelle gentiment et me fait signe de descendre ici pour la gare. Le bus s’arrête juste pour moi et je descends en la remerciant. Voilà une affaire rondement menée.

Comme j’ai pris beaucoup de marge (je ne sais pas, une sorte de mélange d’expérience et d’angoisse), j’ai le temps de commander un café vietnamien (assez épais et parfois servi avec du lait concentré sucré) et même de manger un bout dans un petit restaurant à côté de la gare. Si tout ce passe bien, je devrais arriver à Nha Trang en soirée vers 23h. L’estomac devrait couiner mais je devrais survivre.

L’heure du départ approche et je trouve mon wagon sans trop de soucis, selon un scénario relativement proche de mon départ de Hanoi, le retard en moins. Je me retrouve donc de nouveau dans une cabine couchette mais cette fois-ci je n’y dormirai pas. J’ai d’ailleurs du réserver une chambre à la dernière minute à Nha Trang, pensant que j’allais passer la nuit dans le train. Encore une fois, j’arrive alors que des personnes sont déjà dans le compartiment : une dame et sa fille. Nous échangeons donc des « sin tchao » polis et souriants alors que je pose mes affaires. Vous allez finir par croire que j’aime détailler tout les voyages que je fais. Je vais donc accélérer.

Un peu plus tard, le train roule vers le sud et alors que je suis en train de lire les aventures de Richard Bolitho (il n’est toujours pas mort alors que tout le monde crève autour de lui), la dame sort une boite en plastique, l’ouvre et sort des petits fruits verts de la taille d’une grosse balle de ping pong. Elle en prend un et en donne à sa fille. Manifestement, ça a l’air croquant. Voyant que je jette un œil discret à ce qu’ils mangent, la dame me tends la boite avec un sourire et me fait un signe m’invitant à en prendre. Quel con. Je vais encore me retrouver avec un truc répugnant dans la bouche.

Ma curiosité l’emporte sur mon instinct de survie et je tends la main pour me saisir d’un fruit, avec un grand « kam eune » pour la remercier. Avec un sourire elle arrache un nouveau morceau croquant de son fruit après avoir saupoudré des petits granulés marrons dessus. Elle me fait d’ailleurs signe d’en prendre un peu, également. Je m’exécute. Effectivement, le fruit est croquant et a un très léger goût de pomme. Je dirait même qu’il a un goût qui évoque la pomme, quelque part là bas au fond. J’apprendrai plus tard, en d’autres occasions qu’il s’agit d’une pomme chinoise. On va finir par croire que les chinois ne sont pas très bons pour les imitations. Par contre, pour ce qui est des granulés marrons, je ne sens pas trop l’effet ou alors un vague goût salé. Mais la bonne nouvelle, c’est que ça ne provoque aucun réflexe vomitif chez moi. Je fini donc mon fruit en croquant joyeusement dedans tout en continuant mon Bolitho.

Plus tard dans la journée (vous pouvez donc sereinement estimer qu’il ne sait pas passé grand chose depuis), les employés du train commencent à faire des aller-retours dans les allées pour proposer de la nourriture. Ma voisine commande un plat pour sa fille. Moi stoïque et ne sachant pas trop ce que c’est, je continue ma lecture. La fille commence à attaquer son repas dans un plat en polystyrène : du riz, du porc, un gros œufs dur avec une sauce. Le supplice commence. Ça a l’air pas mauvais son truc et j’ai du mal à empêcher mon estomac de grogner.

La mère finalement décide elle aussi qu’elle mangerait bien un bout et arrête l’employé des trains alors qu’il repasse. Il prend note et revient quelques dizaines de minutes plus tard avec un nouveau plat pour la mère. Entre temps, je crois que je commence à baver et finalement, craque. Je fait donc un signe à l’employé pour avoir la même chose que la fille, là, celle qui bafre de manière provocante. Celui-ci me réponds par la négative légèrement agacé. Manifestement, je m’y prend un peu tard et il est déjà revenu spécialement pour la mère. Crotte. Il repart.

Ceci dit, ma voisine de compartiment décide de prendre les choses en main et avec des gestes et quelques mots d’anglais simplistes me demande si je veux un plat. Ben, euh, oui, je veux bien. Avec un sourire elle me donne le prix et part dans l’allée avec mon argent. Mince, je m’attendais pas à ce qu’elle parte chercher le plat. Finalement, quelques minutes plus tard elle revient avec une nouvelle boite en polystyrène fermé et je la remercie avec un nouveau « kam eune », mais alors kam eune beaucoup. Qu’est-ce qu’ils sont sympas, c’est pas dieu possible.

Au bord de l’hypoglycémie, j’ouvre l’emballage et découvre une grosse cuisse de poulet sur un lit de riz. Bon, c’est pas exactement ce qu’elles ont eu mais c’est pas mal quand même. J’y goutte. Aïe. C’est un peu trop salé. Et le riz et un peu trop cuit et sec. Ce n’est pas le moment de faire mon difficile et je fini mon plat. Au moins, ça cale. Mais c’est peut être le pire repas que j’ai eu au Vietnam. Ma bienfaitrice me demande même si j’aime. Après une petite hésitation je fait une moue genre « couci-couça ».

Finalement, nous entrons en gare approximativement à l’heure prévu pour l’arriver à Nha Trang. Je demande confirmation à mes voisines qui me répondent par l’affirmative. Je les quitte donc avec de nouveaux remerciements et des « bye, bye » pour me retrouver rapidement devant la gare, où, sans hésiter, je hèle un nouveau xe om. Cette fois-ci, ce sera mon premier trajet nocturne. Nous convenons donc d’un prix (heureusement, j’ai entre temps trouvé sur un internet un vague barème pour les courses de xe om en fonction du kilométrage) et ppppppppprrrrrrèèèèèèttttte, c’est parti. Je dois avouer que de nuit, les sensations sont plus fortes même si la conduite reste quand même assez douce.

Nous roulons un peu le long de grandes avenues un peu désertes à cette heure-ci (quasiment minuit) bordées de hauts immeubles. Mon chauffeur s’arrête, cherche, puis repart. Il s’engage dans une ruelle, regarde à droite et à gauche, s’arrête au niveau d’une terrasse, interroge le serveur, puis repart. J’ai bien l’impression qu’il ne sait pas où se trouve mon hôtel. Il recommence le cirque une nouvelle fois puis finalement, avec quasiment un soupir de soulagement, on aperçoit l’enseigne du petit hôtel au fond d’une petite allée.

Je descends de mon xe om en le payant puis le remercie et il me quitte avec une tape amicale dans mon dos et un grand sourire. Il a du sentir que j’étais complètement serein et zen, à l’arrière. Je rentre dans le petit hôtel où je dois rester qu’une nuit mais le réceptionniste me fait signe de ressortir puis me précède pour m’amener à une autre adresse une vingtaine de mètres plus loin. Mmmh, voilà qui sent la combine. Je suis un homme dans un escalier qui mène à ce qui semble être une salle de séjour d’une maison et m’ouvre la porte d’une chambre au fond. Un autre escalier mène aux étages supérieurs. Effectivement, je me retrouve plutôt dans une chambre d’hôte, j’ai l’impression. Mais au moins la chambre est malgré tout fort convenable.

Le lendemain matin (je ne vous cache pas que pendant la nuit j’avais fermé ma porte à clé), je descends pour payer et sans surprise le propriétaire me demande du liquide. Heureusement le tarif est celui prévu.

Bienvenu à Nha Trang.

Green tea

Dans le genre « qu’est ce qu’on boit quand il fait chaud ? » la plupart du temps on répondrait « d’la bière » d’une part parce que c’est rafraîchissant et d’autre part pour faire genre. Sauf qu’il y a des fois où la bière on en veut pas parce que quand il fait chaud, elle monte vite à la tête.

J’ai donc testé pour vous une boisson qu’on trouve partout au Vietnam, le thé vert au citron légèrement sucré vendu en bouteille sous la marque « Khong Do », je crois, ou alors c’est le nom du produit, allez savoir. En tout cas voici à quoi ça ressemble :

khongdo

Plutôt sympa je trouve. Une très jolie harmonie de verts et de jaunes qui inspire le dynamisme et rappel plutôt pas subtilement le côté vert du thé. Mais vous devez vous moquer complètement de l’aspect visuel et vous demander ce qu’il en est en bouche. Et bien moi, j’aime. J’aime même beaucoup. C’est frais (enfin, surtout si c’est un peu mis au réfrigérateur avant, bien entendu), c’est très légèrement sucré, à peine citronné, et il doit avoir un additif dedans car quand j’en fini un, j’ai tout de suite envie d’un deuxième. Le seul problème c’est que je ne sais toujours pas comment ça se prononce et j’ai un mal de chien à le commander dans les restaurants ou les échoppes. Quand j’ai de la chance, il y a une bouteille quelque part en vitrine et il me suffit de la pointer du doigt. Sinon je galère comme pas possible et parfois, frustré, je me repli sur du Pepsi.

La sieste

Je commence à me répéter mais je trouve vraiment la plupart des vietnamiens sympathiques. J’économise d’ailleurs pour payer la tournée générale de bia hoi à mon départ de Saigon. Les raisons de cette sympathie surnaturelle vous ont déjà été énoncées : ils sourient voir ils rigolent et en plus ils ne s’embarrassent pas de manières et sont assez directs. Je viens de découvrir un troisième point positif : ils aiment faire la sieste.

Comme il fait chaud (si, si, ne faites pas semblant, il fait chaud) au Vietnam, entre midi et deux, la vie tourne au ralenti. C’est, pour être honnête, surtout vrai en dehors des grandes villes telles que Hanoi ou HCMV (soit Ho Chi Minh Ville, pour faire court). Il n’est pas rare lorsqu’on se promène comme un con de touriste pendant le pic de chaleur (qui je vous rassure, et beaucoup plus supportable, en ce qui me concerne, que le pic de chaleur indien. Peut être est-ce une question d’habitude) de découvrir des dames vendant des mets dans la rue, comateuses, la tête en arrière sur leur chaise pliante, les yeux clos et la respiration régulière. Si on jette un rapide coup d’œil dans les salles de séjour des maisons ouvertes sur la rue (comme la plupart des maisons vietnamiennes, encore une fois) on aperçoit fréquemment un ou deux corps allongés en chien de fusil sur une natte. Ou encore, au détour des allées d’un marché couvert, le même con de touriste ne manquera pas de faire attention à ne point piétiner une femme nonchalamment allongée le long de son stand et méditant profondément sur le sens de la vie. Autre exemple, dans ce même marché, à l’extérieur cette fois-ci, alors que vous prenez discrètement des photos d’ambiance vous apercevez une vieille dame assise en tailleur le buste en arrière et le menton en avant, visiblement en train de rêver d’une égale profondeur. Alors, une voisine taquine viendra discrètement vous proposer de photographier la grand-mère, en rigolant. Ceci aura pour effet de réveiller l’ancêtre en sursaut qui instinctivement, les paupières encore alourdies, vous lancera un : « Achetez mes fruits ! ».

Oui, car quand le vietnamien fait la sieste il faut croire qu’il n’oublie pas le sens des réalités. Je précise encore une fois qu’il ne faut pas imaginer une seconde que ce sont tous des fainéants qui roupillent tout le temps car la plupart commencent la journée extrêmement tôt. La quasi totalité des magasins sont ouverts à 8h et il est très commun de se réveiller à 6h du matin. Alors, la sieste, je vous prie de croire qu’elle n’est pas superflue.

Pour finir, je vous laisse avec ce monsieur, confortablement installé dans un hamac public auprès d’un petit lac de Hanoi. Et n’oubliez pas de faire la sieste. C’est bon pour la santé.

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La tombe d’un japonais

Les gens sont formidables. Et certains vietnamiens sont vraiment encore plus formidables que d’autres. Je pourrai vous laisser là dessus et reprendre le court normal de ma vie qui est présentement de manger une pomme mais je ne goûte pas trop à la torture psychologique. Non, moi je préfère la torture physique sur des petits animaux sans défense. Mais je m’éloigne encore du sujet.

Au court de ma ballade à vélo dans les environs de Hoi An (il m’est pénible de devoir subtilement faire un rappel des épisodes précédents donc j’aimerai que vous soyez un peu plus assidus), quelque part vers la fin, alors que je revenais sur la longue ligne droite de la route de Da Nang et que de lourds nuages menaçants commençaient à dominer le paysage, je décidai de prendre un brusque virage à gauche (oui, les lourds nuages menaçants étaient un leurre narratif). La raison en était fort simple : je venais d’apercevoir un nouveau petit chemin de terre qui traversait les rizières et une sorte de petit monument dans cette direction. A partir de maintenant je vais passer le temps de la narration au présent pour que vous soyez encore plus immergé dans l’action qui s’annonce drôlement trépidante.

Je m’engage donc dans le chemin de terre en pédalant, le vélo tout couinant, en croisant un autochtone au chapeau conique qui me hèle. Étant de nature extrêmement ouverte depuis maintenant dix jours, je m’arrête. Chic, une nouvelle interaction avec un de ces sympathiques indochinois, pense-je. J’attends qu’il arrive à ma hauteur et tout de suite me dit, en anglais bien sur (je me permet donc de basculer automatiquement en sous-titrage français pour les moins anglophones d’entre vous) et en pointant son doigt vers l’espèce de monument à deux cents mètres :

« Il y a une tombe d’un homme japonais, là-bas.

  • Ah ?
  • Oui. Homme japonais amoureux femme vietnamienne.
  • Ah ? Ok. Merci beaucoup.

Je repart sur le chemin, cahin, cahan et jette mon vélo à gauche sur l’étroit chemin en béton menant à la tombe.

« Stop ! No ! No ! », crie alors l’homme au chapeau conique. Je freine donc brutalement, enfin, autant que le peuvent mes freins usés et attend qu’il revienne encore une fois à ma hauteur.

« C’est sacré. Vous pouvez pas avec le vélo !, me dit-il

  • Ah, pardon. Désolé.

Il me prend donc le vélo, met la béquille et m’entraîne par le bras sur le chemin. Alors que nous marchons vers la tombe (qui est bien à cent mètres) il commence à me montrer les rizières en m’expliquant qu’elles sont à lui. D’ailleurs, il descend dans une rizière, arrache une touffe de riz et me propose de le prendre en photo. Moi, faut pas me le demander deux fois. Clic.

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Il me propose ensuite de me prendre en photo avec le chapeau conique en train de faire semblant de recueillir le riz. Là, par contre, aucune chance. C’est une idée très bête, si je peux me permettre.

Nous repartons donc vers la tombe et il commence à m’expliquer l’histoire du japonais. Pour résumer, car je ne me souviens plus trop des rebondissements, je ne serai pas dans le faux si je vous disait qu’il s’agit d’une version vietnamienne de « Roméo et Juliette » avec notre homme japonais dans le rôle de Roméo et la jolie vietnamienne (enfin, j’imagine qu’elle n’était pas moche) dans le rôle de Juliette. Le contraire aurait fait encore plus sensation à l’époque.

Arrivé à la tombe, mon guide improvisé qui est très bavard et enthousiaste, me montre une dame courbée en deux dans les rizières en contrebas, en train de trimer.

« C’est ma femme.

  • Ah, bien. Sin tchao.

Je ne sais pas s’il se rend compte de l’image qu’il donne en disant ça mais j’estime qu’un gars qui glande le long de la route et qui amène le premier venu montrer sa femme bosser est un peu fainéant sur les grandes largeurs. Après, je ne suis pas d’ici. Peut être s’agit-il d’une marque de fierté.

J’ai à peine le temps de finir de dire bonjour à sa femme qu’il me reprend le bras et s’agenouille devant la tombe en me faisant signe de faire pareil. Il part ensuite cueillir une fleur de lotus et revient me la donner en m’indiquant qu’il faut que je la place dans un petit vase prévu à cet effet. Moi, je m’exécute bêtement. Ensuite, toujours suivant ses indications, nous effectuons trois courbettes les mains jointes. Qu’est-ce qu’il faut pas faire pour faire couleur locale. Dernière étape du rituel, il me propose de laisser un don monétaire dans un petit orifice dans la pierre. Hihihi, s’il croit que je ne la sentais pas venir celle-là. Je prend mon air le plus innocent possible et sort un billet de 2 kDongs (soit dix centimes. Je sais. Je suis un pingre mais j’aime pas qu’on me force la main).

« Non, non, non !, me dit-il avec force oscillation de la tête.

  • Ah ? Bon, ok.
  • Plus.
  • Ah ben non, moi je le connais pas ce monsieur. Je ne vais pas donner plus.
  • Ok, ok.

Il se lève alors, manifestement un peu énervé et je fais de même. Je le remercie et repart vers mon vélo. Ne me serais-je pas conduit comme un gros rapiat d’occidental incapable d’honorer un défunt en faisant offrande d’une modeste somme monétaire ? Ceci dit, il me semble que les vietnamiens font offrandes de faux billets à leurs anciens, donc là culpabilité, ce sera pour plus tard.

Arrivé à mon vélo, je me retourne pour voir arriver mon guide à chapeau conique courant en petite foulée vers moi.

« L’ami, les temps sont durs ici en ce moment présentement donc il me coûte drôlement et je me sens humilié et sale en te demandant si tu ne pourrais pas te délester d’un peu de ton argent en ma faveur ?, me demande-t-il de manière beaucoup plus simpliste, vous pensez bien. Mais dans l’intention, c’était ça. Mon couillon, déjà t’es un peu fainéant sur les bords et en plus t’es un peu maladroit. Je ne lui dis pas, mais j’y pense drôlement. Je lui réponds : « Ah, bien sur. Tenez. » et lui sort de nouveau mon billet de 2 kDongs.

« Non, non. Plus !

  • Ah ? Ok.

Je remet mon billet dans mon portefeuille et me remet en selle. J’aperçois venant vers nous un autre vietnamien. Je commence à pédaler et mon guide mendiant m’appelle :

« Bon, ok pour 2000 dongs. »

En souriant je m’arrête et sort mon billet qu’il empoche en me remerciant. En passant, le nouveau venu qui est arrivé à notre hauteur rigole et donne une tape sur l’épaule de mon guide avec un mouvement de tête qui semble lui dire « T’es pas croyable » ou bien « T’es pathétique ».

Les deux étant totalement vrais.

Vélo à Hoi An

Moi, quand je voyage, j’ai absolument besoin de voir la campagne. Pour moi, c’est le gras d’un pays. C’est bien de voir des villes mais on ne peut réellement sentir la nature d’une culture si on ne s’est pas promené en dehors. Je décide donc de louer un vélo à Hoi An. Pourquoi pas une mobylette, me demanderiez-vous ? Parce que j’ai envie de pédaler et que Hoi An, et bien c’est plutôt plat.

Je me dirige donc un matin à l’accueil de mon hôtel pour louer un bicycle. Le prix est complètement dérisoire puisque de 30 kDongs par jour (soit même pas deux euros, c’est dingue). Côté paperasserie, c’est réduit au minimum, c’est à dire à rien du tout et côté sécurité idem. Même pas une caution ou un otage, que dalle. Je demande quand même s’il y a un antivol et on m’amène un cadenas souple rose et une clé. Vraiment, on ne s’emmerde pas trop avec la sécurité et l’administratif ici, et je dois dire que c’est drôlement plaisant, bizarrement. On me tend donc un vélo en état moyen avec un joli panier devant. Comme tout les vélos se ressemblent je note le numéro marqué sur une petite plaque sous la potence, le 27. Ça peut toujours servir.

DSC_5919_DxOJe part donc gaillardement le sourire aux lèvres sous un chaud soleil de début de journée. La journée promet d’être chaude, très chaude. Je m’économise donc pour limiter ma transpiration. Avec mon sens de l’orientation qui fait ma fierté, je me dirige au jugé vers la plage qui devrait se situer vaguement à l’est, en traversant la vieille ville puis en empruntant une très jolie route qui longe une petite rivière. Je traverse finalement un pont qui enjambe un cours d’eau plus important puis, après avoir parcouru une rue bordée de petits restaurants, tombe sur la plage. Je vous laisse juge de la qualité du sable.

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C’est à ce moment là que je me suis souvenu que je n’avais pas pris mon maillot de bain. En même temps, je n’étais pas plus motivé que ça de prendre l’eau. Avec mon vélo, on avait plutôt envie de partir à la découverte de la campagne. La plage attendra. Je décide donc, après un peu d’hésitation, à suivre la plage vers le sud pour trouver éventuellement un endroit un peu moins « courru ». En plein soleil, je pédale mollement en longeant des résidences hôtelières de luxe sur le front de mer puis quelques maisons un peu humbles côté terre.

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Je quitte ensuite les résidences de luxes en plein activité pour longer une petite digue. Plus loin j’aperçois des bâtiments en construction. Arrivé à leur hauteur je constate qu’il s’agit d’autres hôtels mais très probablement inachevés. Il n’y a plus aucune machine sur DSC_5900_DxOle chantier et les herbes commencent à envahir certains endroits. J’avais entendu parler de ces « resorts » ou complexes touristiques bâtis un peu partout par le gouvernement, parfois vides de touristes voir abandonnés comme celui-ci. Ce doit être le résultat d’une économie planifiée un peu trop ambitieuse, j’imagine.

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DSC_5897_DxOFinalement, je tombe sur un phare et un cul de sac au bout de ce qui est donc une péninsule et découvre un petit embarcadère proposant des visites sur les îles Cham, au large. Il n’y pas énormément d’activité hormis en revenant vers le phare, un groupe d’hommes jouant aux cartes et une femme vendant des canettes de boissons. ToutDSC_5892_DxO le monde est à l’abri sous les arbres. J’achète donc un Coca à la dame et m’assoit sur les petits tabourets en plastique, comme il se doit. Au total, je reste bien une heure à savourer ma boisson et à lire un peu, profitant du farniente et de la chaleur. Il est presque midi et j’ai un peu faim.

DSC_5928_DxOJe repart donc en sens inverse vers Hoi An et m’arrête dans un restaurant de rue pour manger. Comme d’habitude quoi. Pour l’après midi je décide d’aller visiter les rizières autour de la ville et emprunte la route de Da Nang pour m’éloigner. Il commence à faire maintenant sérieusement chaud et le moindre arrêt au soleil fait monter très rapidement la température. Des petits chemins de terre partent de temps en temps vers les rizières et je bifurque sur l’un d’eux, complètement au hasard. Après des méandres je tombe sur un groupe de maisons et emprunte un chemin à l’ombre des arbres. En contrebas, des buffles d’eau se vautrent dans une mare pour se refroidir.

DSC_5917_DxOJe passe comme cela une bonne partie de l’après midi à zigzaguer sur des petits chemins, traversant des groupes de maisons colorées, DSC_5915_DxOballade que j’interromps uniquement par une petite sieste au bord de l’eau à l’ombre de quelques palmiers. Il ne faut pas plaisanter avec cette chaleur. Sur le chemin du retour, je ne résiste pas au plaisir d’une bia hoi pris à l’ombre dans un petit café qu’on croirait improvisé au coin de la route. Au retour à l’hôtel, je pose le vélo et me jette dans la piscine. Je sais c’est complètement indécent de raconter ça.

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La soirée commençant, je reprends un vélo pour aller faire quelques photos au crépuscule dans Hoi An puis pour ensuite me restaurer. Je passe donc quelques heures à mitrailler pendant que le soleil se couche et, alors que la foule commence à remplir tout doucement les rues, je repart avec mon vélo vers le vieux pont japonais pour l’immortaliser en image. Mince, je constate que la rue y menant est interdite aux vélos. Dans Hoi An, la vieille ville est interdite aux voitures et, à certains endroits, aux deux roues. Je pose donc le vélo à l’entrée de la ruelle et met le cadenas, alors que discutent à côté ce qui ressemble à des policiers. Arrivé au pont je prends quelques photos pourries en jonglant avec les autres touristes qui passent puis repart vers mon vélo.

Vous devriez sentir que je parle beaucoup de mon vélo depuis un paragraphe. Il doit y avoir anguille sous roche. Arrivé à l’entrée de la ruelle, je constate l’absence de mon bicycle. Dans ces moments là (surtout moi qui suis incroyablement distrait pour ce qui est des objets) je passe les dix premières minutes à me dire que j’ai encore oublié où je l’avais laissé. Faut vraiment être nouille pour paumer un vélo en cinq minutes. Bon je vous rassure, je me doute bien qu’on me l’a piqué (mon précédent record est d’un vélo volé en dix minutes à Toulouse le temps de rentrer et de sortir de la Fnac) mais vu le nombre de touristes ayant des vélos semblables je me dis qu’il y a peut être eu méprise. Je demande à tout hasard aux deux policiers s’ils auraient pas vu un vélo, là, garé à même pas deux mètres d’eux, mais ils me font mine que non, sans vraiment s’intéresser à mon soucis. Bon, bon.

Je fais un rapide tour des environs, des fois que, et aperçoit vingt mètres plus loin, deux vélos gris semblables au mien attachés ensembles par un cadenas très similaire à celui que l’on m’a donné. Avec ma clé de cadenas, je m’approche et jette un œil au numéro de la plaque : 27. Ah ben te voilà, salopiaud ! Qui s’est qui t’as pris ? Je met donc la clé dans le cadenas et constate que cela ne marche pas. Mince. En m’approchant encore plus, je constate que le deuxième vélo porte également le numéro 27. Du coup, ça ne va pas être simple de le reconnaître, finalement.

Me rendant à l’évidence, je repart à pied à l’hôtel pour annoncer la terrible nouvelle à la dame de l’accueil. En attendant, je m’insulte copieusement pour ne pas avoir attaché le vélo à un arbre. Faut vraiment être naïf. C’est la faute aux vietnamiens à force de sourire bêtement à tout bout de champs, aussi. On se ramollit. J’arrive donc à mon hôtel et m’approche du comptoir avec un sourire navré et en montrant la clé du cadenas : « Je crois bien qu’on m’a volé mon vélo », dis-je

  • Ok, me répond-elle avec un sourire en prenant ma clé.
  • Non mais c’est tout ce qu’il reste du vélo. On me l’a volé.
  • Comment ça ?, me demande-elle soudainement inquiète
  • On m’a volé mon vélo dans Hoi An et pourtant je l’avais attaché avec le cadenas (la mauvaise foi, c’est pas très joli joli)
  • Ah ok. Merci.<silence>
  • Bon, bon. Bonne soirée.

Je m’esquive lâchement. Soit elle n’est pas très émotive, soit ça leur arrive tout le temps, soit, plus probablement, elle n’a pas comprit ce que je voulais lui dire. Toujours est-il que quelques jours plus tard, alors que je réglais ma note, je constatai une totale absence de montant ayant trait à la perte du vélo.

Ils sont vraiment trop gentils.